La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2019 | FRANCE | N°426075

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 16 avril 2019, 426075


Vu la procédure suivante :

Le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Paris a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de Mme B...A...et de tous occupants de son chef du logement qu'elle occupe sans droit ni titre dans la résidence universitaire " Louise Bourgeois ", située 9/17 rue Louise Bourgeois à Paris (13ème arrondissement) et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnan

ce n° 1810163 du 22 octobre 2018, le juge des référés du tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Paris a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de Mme B...A...et de tous occupants de son chef du logement qu'elle occupe sans droit ni titre dans la résidence universitaire " Louise Bourgeois ", située 9/17 rue Louise Bourgeois à Paris (13ème arrondissement) et d'assortir cette injonction d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 1810163 du 22 octobre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint à Mme A...de libérer sans délai le logement qu'elle occupe sans droit ni titre dans la résidence universitaire " Louise Bourgeois ".

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 et 20 décembre 2018 et le 23 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 1er de cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge du CROUS de Paris la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'éducation ;

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 66-473 du 5 juillet 1966 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme A...et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires de Paris ;

Considérant ce qui suit :

1. Le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Paris a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de Mme B...A...du logement qu'elle occupe dans la résidence universitaire " Louise Bourgeois " située à Paris (13ème arrondissement). Par l'ordonnance attaquée du 22 octobre 2018, le juge des référés a fait droit à cette demande.

2. Les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires sont des établissements publics à caractère administratif chargés de remplir une mission de service public en vertu des articles L. 822-1, R. 822-1 et R. 822-14 du code de l'éducation, en accordant notamment, par décision unilatérale, des logements aux étudiants. Même dans le cas où une résidence universitaire ne peut pas être regardée comme une dépendance du domaine public, toute demande d'expulsion du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires vise à assurer le fonctionnement normal et la continuité du service public administratif dont il a la charge. Les demandes d'expulsion présentées par le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires relèvent ainsi de la compétence de la juridiction administrative.

3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code des procédures civiles d'exécution : " Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux ". L'article L. 412-1 dispose que l'expulsion ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux. L'article L. 412-2 du même code donne au juge la possibilité de proroger ce délai pour une durée maximale de trois mois lorsque l'expulsion aurait des conséquences d'une dureté exceptionnelle pour la personne concernée, en raison de la période de l'année ou des circonstances météorologiques. Les articles L. 412-3 et L. 412-4 prévoient que le juge peut accorder aux occupants d'un lieu habité ou de locaux professionnels dont l'expulsion a été ordonnée des délais compris entre 3 mois et 3 ans lorsque leur relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales. L'article L. 412-5 prévoit que l'huissier de justice informe le préfet, en même temps qu'il signifie le commandement de libérer les lieux, afin que le représentant de l'Etat puisse saisir la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives. Aux termes de l'article L. 412-6 du même code : " Nonobstant toute décision d'expulsion passée en force de chose jugée et malgré l'expiration des délais accordés en vertu de l'article L. 412-3, il est sursis à toute mesure d'expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu'au 31 mars de l'année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille (...) ". Enfin, selon l'article L. 412- 7 du même code : " Les dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-6 ne sont pas applicables aux occupants de locaux spécialement destinés aux logements d'étudiants lorsque les intéressés cessent de satisfaire aux conditions en raison desquelles le logement a été mis à leur disposition (...) ".

4. Les dispositions mentionnées au point 3, qui définissent les modalités selon lesquelles sont prises et exécutées les décisions d'expulsion relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, ne trouvent pas à s'appliquer lorsqu'est en cause l'expulsion d'un occupant d'un logement situé dans une résidence pour étudiants gérée par un CROUS, qui relève de la compétence du juge administratif.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

6. Les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par Mme A...sont dirigées, la première, contre les dispositions des articles L. 412-1 à L. 412-6 du code des procédures civiles d'exécution, en tant qu'elles ne s'appliquent pas aux occupants d'un logement situé dans une résidence pour étudiants gérée par un CROUS, et, la seconde, contre l'article L. 412-7 du même code.

En ce qui concerne l'article L. 412-6 du code des procédures civiles d'exécution :

7. Les dispositions de l'article L. 412-6 du code des procédures civiles d'exécution, qui prévoient un sursis des mesures d'expulsion non exécutées à la date du 1er novembre de chaque année si le relogement de l'intéressé n'est pas assuré et qui ne s'opposent pas au prononcé par le juge, même pendant la période dite de " trêve hivernale " qu'elles mentionnent, d'une décision d'expulsion, ne peuvent être regardées comme applicables, au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, au litige qui oppose Mme A... au CROUS de Paris sur la mesure d'expulsion que celui-ci a demandée au juge des référés de prononcer.

En ce qui concerne l'article L. 412-7 du code des procédures civiles d'exécution :

8. Les dispositions de l'article L. 412-7 du code des procédures civiles d'exécution sont issues de la loi du 5 juillet 1966 modifiant la loi n° 51-1372 du 1er décembre 1951 et prorogeant diverses dispositions transitoires prises en raison de la crise du logement. Il résulte de cette loi, éclairée par ses travaux préparatoires, qu'elles ne sont pas applicables aux occupants d'un logement situé dans une résidence pour étudiants gérée par un CROUS. Dès lors, les dispositions de l'article L 412-7 du code des procédures civiles d'exécution, critiquées en tant qu'elles excluent, dans certaines hypothèses, l'applicabilité des articles L. 412-3 à L. 412-6 du même code, ne sont pas applicables au litige.

En ce qui concerne les articles L. 412-1 à L. 412-5 du code des procédures civiles d'exécution :

9. Il incombe au juge administratif, saisi d'un litige relatif à l'expulsion d'un occupant d'un logement situé dans une résidence gérée par un CROUS, de prendre en compte, d'une part, la nécessité d'assurer le fonctionnement normal et la continuité du service public dont cet établissement public a la charge et, d'autre part, la situation de l'occupant en cause ainsi que les exigences qui s'attachent au respect de sa dignité et de sa vie privée et familiale. Il en va notamment ainsi lorsque, saisi d'une demande d'expulsion en application de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, le juge des référés apprécie, pour décider s'il y a lieu d'y faire droit, si les conditions d'utilité et d'urgence posées par cet article sont remplies.

10. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions des articles L. 412-1 à L. 412-5 du code des procédures civiles d'exécution seraient entachées d'une incompétence négative qui méconnaîtrait par elle-même le droit au respect de la vie privée et familiale et le principe du respect de la dignité de la personne humaine, ainsi que l'objectif à valeur constitutionnelle d'accès à un logement décent, au motif que, ainsi qu'il a été dit au point 4 ci-dessus, elles ne sont pas applicables lorsqu'est en cause l'expulsion d'un occupant sans titre d'un logement situé dans une résidence pour étudiants gérée par un CROUS, ne soulève pas une question présentant un caractère sérieux au sens de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Il en va de même du grief tiré de ce que, du fait de l'incompétence négative alléguée, elles créeraient, au détriment des usagers du service public dont les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires sont chargés, une différence de traitement méconnaissant le principe d'égalité.

11. Il résulte de ce qui a été aux points 7 à 10 qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées par Mme A....

Sur les autres moyens du pourvoi :

12. En premier lieu, il résulte ce qui a été dit au point 4 que le moyen tiré de ce que le juge des référés aurait commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions du code des procédures civiles d'exécution relatives à l'expulsion locative ne sont pas applicables lorsqu'est en cause l'expulsion d'un occupant d'un logement situé dans une résidence pour étudiants gérée par un CROUS ne peut qu'être écarté.

13. En second lieu, contrairement à ce que soutient MmeA..., le juge des référés a, pour prononcer la mesure d'expulsion en litige, pris en compte l'ensemble des intérêts en présence tels qu'ils ressortaient des arguments échangés devant lui, notamment la situation personnelle de l'intéressée. Il ressort des écritures produites devant lui que Mme A...ne faisait état d'aucune circonstance particulière liée aux exigences qui s'attachent au respect de sa dignité et de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le juge des référés, qui a statué conformément à son office, tel qu'il a été défini au point 9 ci-dessus, aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de Mme A...doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de Mme A... la somme que demande le CROUS de Paris à ce titre.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées par MmeA....

Article 2 : Le pourvoi de Mme A... est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par le CROUS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A..., au Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires de Paris et au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 426075
Date de la décision : 16/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 16 avr. 2019, n° 426075
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Domingo
Rapporteur public ?: M. Romain Victor
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:426075.20190416
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award