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08/04/2019 | FRANCE | N°414444

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 08 avril 2019, 414444


Vu la procédure suivante :

1°, sous le n° 414444, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 septembre 2017 et 17 janvier 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 juillet 2017 du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2017-2018 ; r>
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'ar...

Vu la procédure suivante :

1°, sous le n° 414444, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 septembre 2017 et 17 janvier 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 juillet 2017 du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation, fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2017-2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2°, sous le n° 414467, par une requête, enregistrée le 21 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France nature environnement (FNE) et la Ligue française pour la protection des oiseaux (LPO) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même arrêté du 18 juillet 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à chacune d'elle, de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution et notamment son Préambule ;

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 414444 et 414467, introduites respectivement par l'association One Voice, et par l'association France nature environnement (FNE) et autre tendent à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 18 juillet 2017 fixant, en application du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2017-2018. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, qui sont dirigées contre le même arrêté, pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique applicable au litige :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive " Habitats " : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) ". Le loup est au nombre des espèces figurant à l'annexe IV point a) de la directive. L'article 16 de la même directive prévoit toutefois que : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ".

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive " Habitats " précitée, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la directive, dans sa rédaction applicable au litige : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, (...) ".

4. En troisième lieu, pour l'application de ces dernières dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) ". Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature " (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ".

5. En quatrième et dernier lieu, l'article 2 de l'arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus), alors en vigueur, qui est pris pour l'application du 2° de l'article R. 411-13 du code de l'environnement précité, dispose que : " Le nombre maximum de spécimens de loups (mâles ou femelles, jeunes ou adultes) dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé chaque année par arrêté ministériel. Cet arrêté ne peut couvrir une période excédant le 30 juin de l'année suivante. / Ce maximum annuel sera diminué du nombre des animaux ayant fait l'objet d'actes de destruction volontaire constatés par les agents mentionnés à l'article L. 415-1 du code de l'environnement durant toute la période de validité de l'arrêté visé au premier alinéa du présent article ". En application de ces dispositions, l'article 1er de l'arrêté attaqué du 18 juillet 2017 fixe à quarante le nombre maximum de spécimens de loup dont la destruction pourra être autorisée pour l'ensemble de la période 2017-2018. Son article 2 encadre les tirs de prélèvement lorsque les seuils de destruction qu'il fixe sont atteints.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

6. Le défaut de publication de la synthèse des observations du public et des motifs de l'arrêté attaqué est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de celui-ci. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement sur ces deux points ne peut, dès lors, qu'être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne la méconnaissance des dispositions de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 et des articles L. 411-1 et l. 411-2 du code de l'environnement :

7. Les associations requérantes soutiennent qu'en permettant un prélèvement maximum de quarante loups sur la période 2017-2018, alors que la population de l'espèce était estimée à 357 loups à la fin de la période 2016-2017, l'arrêté attaqué pourrait conduire à une destruction de plus de 10 % de l'effectif total de l'espèce, en contradiction notamment avec les préconisations résultant d'une expertise scientifique collective sur le devenir de la population de loups en France rendue publique en mars 2017. Elles soutiennet qu'un tel seuil de prélèvement compromet l'état de conservation favorable dans son aire de répartition naturelle, voire sa viabilité, en méconnaissance des dispositions précitées.

8. D'une part, la légalité de l'arrêté attaqué doit être appréciée non pas isolément mais au regard de l'ensemble du dispositif réglementaire résultant notamment de l'arrêté du 30 juin 2015, dans le cadre duquel il appartient au préfet d'apprécier, en fonction des circonstances locales, si des dérogations peuvent être autorisées, à charge pour lui de vérifier qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que les mesures envisagées, qui doivent être proportionnées à l'objectif de protection des élevages, ne nuisent pas au maintien de la population des loups dans un état de conservation favorable au sein de son aire de répartition naturelle. Il incombe également au pouvoir réglementaire d'adapter ce dispositif au regard de cet objectif et en particulier d'ajuster chaque année le plafond de destruction de loups, au vu des données techniques disponibles les plus récentes relatives à la population des loups, à sa répartition et aux dommages qu'elle a occasionnés aux élevages ainsi qu'aux résultats des méthodologies scientifiques pertinentes destinées à modéliser sur une période pluriannuelle l'évolution de cette population et de ces dommages.

9. D'autre part, il ressort des données les plus récentes relatives à la population de loups et à sa répartition géographique qu'à la sortie de l'hiver 2016-2017, on dénombrait huit zones de présence permanente (ZPP) de l'espèce supplémentaires par rapport à la période précédente, soit cinquante-sept ZPP contre quarante-neuf au terme de la période 2015-2016. Elles révèlent également une tendance à l'augmentation du nombre de meutes qui sont ainsi passées de trente-cinq à la fin de la période 2015-2016 à quarante-deux à la fin de la période 2016-2017. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 8, les autorités compétentes pour délivrer les dérogations individuelles dans le cadre fixé par l'arrêté du 30 juin 2015 précité et l'arrêté attaqué, ont l'obligation de prendre rapidement des mesures correctrices, éventuellement en réduisant le quota maximum de destruction de loups ou en ne délivrant pas de dérogations individuelles, si de nouvelles données font apparaître que l'objectif de maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable dans son aire de répartition naturelle n'est plus satisfait.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que le moyen analysé au point 7 ne peut être accueilli.

En ce qui concerne les autres moyens présentés dans la requête n° 414444 :

11. D'une part, aux termes de l'article 6 de la Charte de l'environnement : " Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient aux autorités compétentes de veiller à concilier, dans la conception des politiques publiques, la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. A cet égard, le cadre de la politique de protection des espèces protégées a été défini par le législateur aux articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement. Par suite, la légalité des décisions administratives prises dans ce cadre doit être appréciée au regard de ces dispositions.

12. D'autre part, aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation. / II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : / 1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; / 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; / Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ; / (...) 6° Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable sur l'environnement des territoires concernés, les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés ; / 7° Le principe de l'utilisation durable, selon lequel la pratique des usages peut être un instrument qui contribue à la biodiversité ; / 8° Le principe de complémentarité entre l'environnement, l'agriculture, l'aquaculture et la gestion durable des forêts, selon lequel les surfaces agricoles, aquacoles et forestières sont porteuses d'une biodiversité spécifique et variée et les activités agricoles, aquacoles et forestières peuvent être vecteurs d'interactions écosystémiques garantissant, d'une part, la préservation des continuités écologiques et, d'autre part, des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d'un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité ; / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 110-2 du même code : " Les lois et règlements organisent le droit de chacun à un environnement sain. Ils contribuent à assurer un équilibre harmonieux entre les zones urbaines et les zones rurales ainsi que la préservation et l'utilisation durable des continuités écologiques. / Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement, y compris nocturne. / Les personnes publiques et privées doivent, dans toutes leurs activités, se conformer aux mêmes exigences. ".

13. L'association One Voice soulève plusieurs moyens tirés d'une " violation du droit de l'environnement " et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des objectifs de développement durable et du droit des générations futures découlant du troisième considérant de la Charte de l'environnement, de l'obligation de vigilance environnementale découlant de ses articles 1er et 2, du principe de conciliation posé par son article 6, des dispositions des articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement et L. 515-14 du code civil et des principes de précaution, de solidarité écologique et de complémentarité. Elle fait notamment valoir, à l'appui de ces moyens, que les mesures prévues par la réglementation, notamment les tirs de destruction et d'effarouchement, ne sont ni nécessaires ni efficaces et sont de nature à compromettre la conservation de l'espèce et à porter atteinte au patrimoine naturel. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 9 que la population de loups continue à connaître une évolution favorable en France, comme le confirment les informations statistiques les plus récentes. En outre, l'arrêté attaqué n'a par lui-même pour objet ni de préciser les conditions de recours à des tirs létaux ou d'effarouchement à l'encontre des loups ni d'autoriser des dérogations individuelles permettant de recourir effectivement à ces tirs, ces mesures étant prévues par l'arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées puis autorisées individuellement par les préfets. Par suite, et en tout état de cause, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes nos 414444 et 414467 doivent être rejetées, y compris les conclusions relatives aux frais de l'instance.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de l'association One Voice et de l'association France Nature Environnement et autre sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association One Voice, à l'association France Nature Environnement, désignée représentant unique pour la requête n° 414467, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 414444
Date de la décision : 08/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 avr. 2019, n° 414444
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Laurence Franceschini
Rapporteur public ?: M. Stéphane Hoynck

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:414444.20190408
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