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27/03/2019 | FRANCE | N°427759

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 27 mars 2019, 427759


Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan, à l'appui de sa demande tendant à la décharge de la cotisation foncière des entreprises à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2017 dans les rôles de la commune de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), a produit un mémoire, enregistré le 11 janvier 2019 au greffe du tribunal administratif de Rouen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève deux questions prioritaires de constitutionnalité.>
Par une ordonnance n° 1804852 QPC du 5 février 2019, enregistrée le 7 févr...

Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan, à l'appui de sa demande tendant à la décharge de la cotisation foncière des entreprises à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2017 dans les rôles de la commune de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), a produit un mémoire, enregistré le 11 janvier 2019 au greffe du tribunal administratif de Rouen, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève deux questions prioritaires de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1804852 QPC du 5 février 2019, enregistrée le 7 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 1ère chambre de ce tribunal, avant qu'il soit statué sur la demande de la société Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du premier alinéa du II et du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010.

Dans les questions prioritaires de constitutionnalité transmises, et dans un mémoire enregistré le 11 mars 2019 au secrétariat du Conseil d'Etat, la société Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan soutient que les dispositions du premier alinéa du II et du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction en vigueur à la date du fait générateur des impositions contestées, applicables au litige, méconnaissent, respectivement, le principe d'égalité devant les charges publiques, garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le législateur ayant en outre méconnu l'étendue de sa compétence, et que les dispositions du XV de ce même article méconnaissent le droit à un recours effectif résultant de l'article 16 de cette même Déclaration.

Par un mémoire, enregistré le 21 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de renvoyer les questions au Conseil constitutionnel. Il soutient qu'elles ne remplissent pas les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. En ce qui concerne la première, il soutient qu'elle conteste l'application de la loi, et non des dispositions législatives, et à titre subsidiaire, qu'elle n'est ni nouvelle ni sérieuse. En ce qui concerne la seconde, il soutient que la question soulevée n'est ni nouvelle ni sérieuse.

Le mémoire portant question prioritaire de constitutionnalité a été communiqué au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2019, présentée par la société Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

En ce qui concerne le II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 :

2. Aux termes de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

3. Le premier alinéa du II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, repris, à compter du 1er janvier 2018, au second alinéa du I de l'article 1498 du code général des impôts, prévoit que la valeur locative des propriétés bâties est déterminée en fonction de l'état du marché locatif ou, à défaut, par référence aux autres critères prévus par cet article, et qu'elle tient compte de la nature, de la destination, de l'utilisation, des caractéristiques physiques, de la situation et de la consistance de la propriété ou fraction de propriété considérée.

4. En prévoyant, par l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, de nouvelles modalités de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales, le législateur a entendu fonder l'assiette des impositions frappant les propriétés bâties ayant un usage professionnel, jusque là fixée par référence aux conditions du marché locatif au 1er janvier 1970, sur leur valeur locative réelle et renforcer ainsi l'adéquation entre ces impositions et les capacités contributives de leurs redevables.

5. A cette fin, le législateur a prévu la constitution de secteurs d'évaluation regroupant les communes ou parties de communes qui, dans chaque département, présentent un marché locatif homogène et le classement des locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques. Il a également prévu la fixation, dans chaque secteur d'évaluation, de tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés. La valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie modulé, le cas échéant, par l'application d'un coefficient de localisation.

6. La société requérante soutient, en premier lieu, qu'en ne prescrivant pas de tenir compte, pour la délimitation des secteurs d'évaluation et la détermination des tarifs de référence, d'éventuelles différences entre les immeubles résultant de leur date de construction, de leur état d'entretien ainsi que de la nature et l'état de leurs équipements, les dispositions contestées méconnaîtraient l'égalité devant les charges publiques. Toutefois, en prévoyant que la valeur locative tient compte des caractéristiques physiques et de la consistance de la propriété ou fraction de propriété considérée, le législateur, qui a entendu que les autorités administratives compétentes prennent notamment en considération, pour procéder à l'évaluation des propriétés selon les principes rappelés au point 5, leur état d'entretien et les équipements dont elles bénéficient, sans faire de la date de construction d'un bâtiment un critère autonome de détermination de sa valeur locative, indépendamment de sa nature, sa destination, son utilisation, ses caractéristiques physiques, sa situation et sa consistance, a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts poursuivis.

7. Si la société Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan soutient, en deuxième lieu, que la grille tarifaire instituée dans le département où se trouvent ses propriétés ne ferait pas une exacte application de la loi, une telle argumentation ne met pas en cause la conformité de la loi aux droits et libertés garantis par la Constitution et ne peut être utilement invoquée à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

8. Enfin, il ne peut être soutenu pour la première fois devant le Conseil d'Etat, saisi en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la disposition législative faisant l'objet de la question prioritaire de constitutionnalité transmise par une juridiction méconnaîtrait d'autres dispositions ou principes constitutionnels que ceux qui avaient été invoqués devant la juridiction à l'appui de la question qui lui était soumise. Il s'ensuit que le grief tiré de ce que le législateur aurait, en adoptant les dispositions du premier alinéa du II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, méconnu l'étendue de sa compétence en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution, lequel n'avait pas été invoqué à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité soumise au tribunal administratif, ne peut être présenté pour la première fois devant le Conseil d'Etat.

9. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité, en ce qu'elle met en cause le II de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne le XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 :

10. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration de des droits de l'homme et du citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de ces dispositions qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

11. Le VII de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, repris, à compter du 1er janvier 2018, à l'article 1504 du code général des impôts, prévoit les modalités selon lesquelles les commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels, les commissions communales ou intercommunales des impôts directs et, le cas échéant, la commission départementale des impôts directs locaux et le représentant de l'Etat dans le département arrêtent, sur la base des avant-projets élaborés par l'administration fiscale, la délimitation des secteurs d'évaluation, les tarifs par mètre carré par catégorie de propriétés et la définition des parcelles auxquelles s'applique le coefficient de localisation.

12. Le XIV du même article, repris à compter de la même date à l'article L. 201 D du livre des procédures fiscales, prévoit que le tribunal administratif dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer sur les recours pour excès de pouvoir contre les décisions prises conformément au VII et que, si le tribunal n'a pas statué à l'issue de ce délai, l'affaire est transmise à la cour administrative d'appel territorialement compétente. Le XV du même article, dont la substance a été codifiée, à compter de la même date, à l'article 1518 F du code général des impôts, prévoit, pour sa part, que les décisions délimitant les secteurs d'évaluation et portant fixation des grilles tarifaires ne peuvent être contestées par la voie de l'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie.

13. En adoptant les dispositions du XIV et du XV de l'article 34, le législateur a entendu aménager le régime des recours contentieux susceptibles de remettre en cause les décisions relatives à la délimitation des secteurs d'évaluation et les grilles tarifaires, en privilégiant les recours directement formés contre ces décisions, devant être jugés dans de brefs délais, et en faisant obstacle à ce que leur légalité puisse être contestée à l'occasion de litiges relatifs à la valeur locative d'une propriété, afin de limiter les risques d'insécurité juridique susceptibles de résulter de la remise en cause de la stabilité des bases sur lesquelles sont fondées de très nombreuses impositions.

14. Les dispositions contestées ne privent pas les administrés du droit d'introduire devant le juge administratif, dans le délai de recours contentieux, un recours pour excès de pouvoir contre les décisions portant délimitation des secteurs d'évaluation et celles arrêtant, dans chacun de ces secteurs, les tarifs par mètre carré par catégorie de propriétés, ainsi que l'indiquent expressément les dispositions précédemment mentionnées du XIV de l'article 34, qui impartissent au tribunal administratif un bref délai pour statuer.

15. Il résulte, en outre, du X de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, repris aux I et IV de l'article 1518 ter du code général des impôts, que les tarifs de chaque catégorie dans chaque secteur d'évaluation doivent être mis à jour annuellement par l'administration fiscale à partir de l'évolution constatée des loyers. Il résulte du XII du même article, repris au III de l'article 1518 ter du même code, qu'il est procédé à la délimitation des secteurs d'évaluation l'année qui suit le renouvellement général des conseils municipaux. Il est loisible aux personnes intéressées de former un recours pour excès de pouvoir contre les décisions mettant en oeuvre ces dispositions ou, le cas échéant, contre le refus de les mettre en oeuvre.

16. Enfin, il est aussi loisible aux administrés, s'ils estiment que les décisions en cause, qui ne sont pas réglementaires et ne créent pas de droits, sont devenues illégales en raison de changements dans des circonstances de droit ou de fait postérieurs à leur édiction, après avoir vainement saisi l'autorité compétente, de former un recours devant le juge de l'excès de pouvoir tendant à l'annulation du refus qui leur aurait été opposé de modifier ces décisions, en joignant à leur recours, le cas échéant, des conclusions à fin d'injonction.

17. Dans ces conditions, les dispositions du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ne peuvent être regardées comme portant une atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction. La question prioritaire de constitutionnalité invoquée à l'encontre du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010, qui n'est pas nouvelle, ne présente ainsi pas un caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Gestion Epinal Mont-Saint-Aignan et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Rouen.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 427759
Date de la décision : 27/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2019, n° 427759
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Liza Bellulo
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini
Avocat(s) : CABINET BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:427759.20190327
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