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15/02/2019 | FRANCE | N°406533

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 15 février 2019, 406533


Vu la procédure suivante :

La SARL Agemi a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er avril 2007 au 31 décembre 2010. Par un jugement n° 1206491 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15LY00531 du 3 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté

l'appel formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentai...

Vu la procédure suivante :

La SARL Agemi a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2007 à 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er avril 2007 au 31 décembre 2010. Par un jugement n° 1206491 du 15 décembre 2014, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 15LY00531 du 3 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 janvier et 3 avril 2017 et le 17 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Agemi demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Guibé, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la SARL Agemi.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SARL Agemi a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos les 31 mars des années 2008, 2009 et 2010 en matière d'impôt sur les sociétés, étendue pour la taxe sur la valeur ajoutée jusqu'au 31 décembre 2010, à l'issue de laquelle l'administration a notamment remis en cause l'inscription en charges déductibles au titre de l'exercice clos en 2010 de deux versements d'un montant total de 170 000 euros, effectués le 31 octobre 2009 et le 4 janvier 2010 vers le compte bancaire que son gérant avait ouvert en son nom propre pour réaliser des opérations de placement à haut risque en souscrivant des contrats financiers avec paiement d'un différentiel (contracts for difference ou CFD). L'administration a estimé que ces versements étaient constitutifs d'un acte anormal de gestion et a rehaussé en conséquence le bénéfice imposable selon la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales. La SARL Agemi se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 novembre 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 15 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondants.

2. D'une part, aux termes du III de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier : " III. - Les contrats financiers, également dénommés " instruments financiers à terme ", sont les contrats à terme qui figurent sur une liste fixée par décret. " Aux termes de l'article D. 211-A du même code : " I. - Les contrats financiers mentionnés au III de l'article L. 211-1 sont : (...) 6. Les contrats financiers avec paiement d'un différentiel ; (...) ". Ces contrats s'analysent comme des contrats bipartites aux termes desquels le vendeur s'engage à payer à l'acheteur la différence entre le prix actuel d'un actif sous jacent et sa valeur à une date déterminée, ce dont il résulte un effet de levier important pour l'investisseur, qui peut recevoir un gain ou devoir supporter une perte supérieurs à sa mise de fonds initiale.

3. D'autre part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

4. En premier lieu, la cour a relevé qu'il ne résultait pas de l'instruction que la société aurait conservé la propriété des sommes en litige après leur virement sur le compte de courtage ouvert au nom de son gérant, qui devait être regardé comme étant son compte personnel, et que l'administration faisait valoir sans être contredite qu'elle ne disposait d'aucun moyen d'exiger la restitution de ces sommes ou des éventuels gains réalisés sur le compte. En statuant ainsi et en écartant comme dénuées de valeur probante, d'une part, une déclaration d'origine des fonds, qui avait été déposée par le gérant en son nom propre, et d'autre part, une assignation adressée par sa banque le 6 mai 2014 en vue du paiement d'un solde débiteur ainsi que le jugement du tribunal correctionnel constatant l'extinction de l'instance subséquente, qui ne présentaient tous deux aucun lien établi avec les virements en litige, la cour a suffisamment motivé son arrêt et porté sur les faits et pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

5. En deuxième lieu, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait méconnu les dispositions des articles 38 et 39 du code général des impôts et de l'article D. 211-1 A du code monétaire et financier, ni insuffisamment motivé son arrêt, en jugeant qu'elle ne justifiait pas d'une comptabilisation correcte des virements litigieux enregistrés sous la forme d'une perte immédiate sans contrepartie comptable ni inscription corolaire d'une créance au compte courant d'associé du gérant, et en ne répondant pas au moyen tiré de ce que, par nature, la souscription d'un CFD imposerait à l'acheteur un décaissement immédiat lors de sa clôture en cas d'évolution défavorable des cours de l'actif sous-jacent ou permettrait de forts rendements financiers dans l'hypothèse inverse, lequel était inopérant dès lors qu'en tout état de cause il n'était pas établi que les CFD en cause auraient été contractés par la société ou pour son compte.

6. En troisième lieu, la société requérante fait grief à la cour d'avoir relevé qu'elle supportait la charge de la preuve de ce que l'opération comportait une contrepartie présentant un intérêt pour elle, alors qu'il résulte des règles de dévolution de la charge de la preuve énoncées au point 3 ci-dessus qu'elle n'était tenue de justifier l'existence que d'une contrepartie, tandis que c'est à l'administration qu'il appartenait ensuite, le cas échéant, d'apporter la preuve que cette contrepartie était dépourvue d'intérêt pour elle. Toutefois, il ressort des motifs de l'arrêt attaqué que la cour s'est bornée à rechercher si la société établissait l'existence d'une contrepartie aux transferts de fonds réalisés sur le compte de courtage du gérant et à constater qu'elle ne s'acquittait pas de cette obligation. Si la cour a d'abord fait improprement référence, en énonçant la règle générale dont elle entendait faire application, à la notion d'intérêt pour l'entreprise, cette erreur est restée sans incidence sur la solution retenue. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit au regard des règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve.

7. En quatrième lieu, et par suite, la cour n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits en jugeant, après avoir relevé que la société requérante n'apportait pas la justification qui lui incombait de l'existence d'une contrepartie aux virements litigieux, que l'administration était fondée à réintégrer les sommes en cause dans son résultat imposable. Il en résulte que la société n'est pas davantage fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit et porté atteinte aux stipulations du premier protocole à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en jugeant que l'administration avait établi l'existence d'un manquement délibéré justifiant l'infliction de la pénalité de 40% prévue par l'article 1729 du code général des impôts.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Agemi n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Par conséquent, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la SARL Agemi est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL Agemi et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 406533
Date de la décision : 15/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 fév. 2019, n° 406533
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Guibé
Rapporteur public ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:406533.20190215
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