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13/02/2019 | FRANCE | N°406606

France | France, Conseil d'État, 4ème et 1ère chambres réunies, 13 février 2019, 406606


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 406606, par une requête, enregistrée le 4 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la juridiction administrative demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les 1° et 3° de l'article 3, l'article 5, le 1° de l'article 18 et l'article 20 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative ;

2° Sous le n° 410872, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mai et 24 août

2017 et le 29 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Cons...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 406606, par une requête, enregistrée le 4 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat de la juridiction administrative demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir les 1° et 3° de l'article 3, l'article 5, le 1° de l'article 18 et l'article 20 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative ;

2° Sous le n° 410872, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mai et 24 août 2017 et le 29 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret et la décision de la garde de sceaux du 28 mars 2017 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 419467, par une requête, enregistrée le 21 mars 2018 au greffe du tribunal administratif de Paris et transmis au Conseil d'Etat par ordonnance du 29 mars 2018 du président de ce tribunal, enregistrée le 30 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société LCJ éditions et productions demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Roux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes du syndicat de la juridiction administrative, du Conseil national des barreaux et de la société LCJ éditions et productions étant dirigées contre des dispositions du même décret du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur l'intervention de l'Ordre des avocats à la cour de Paris :

2. L'Ordre des avocats à la cour de Paris justifiant d'un intérêt suffisant à l'annulation du décret attaqué, son intervention est recevable.

Sur la fin de non-recevoir dirigée contre la requête de la société LCJ éditions et productions :

3. Le décret attaqué du 2 novembre 2016 a été publié au Journal officiel de la République française le 4 novembre 2016. Si la société LCJ éditions et productions a introduit un recours gracieux contre ce décret, il ressort des pièces du dossier que celui-ci n'a été reçu par l'administration que le 18 janvier 2018, soit au-delà du délai franc de deux mois dans lequel aurait été conservé le délai de recours contentieux. La garde des sceaux, ministre de la justice, est ainsi fondée à soutenir que la requête de cette société, enregistrée le 21 mars 2018, est tardive et, par suite, irrecevable.

Sur la légalité du décret attaqué :

En ce qui concerne l'article R. 222-1 du code de justice administrative :

4. Dans sa rédaction antérieure au décret attaqué, l'article R. 222-1 du code de justice administrative prévoyait sept cas, mentionnés aux 1° à 7° de cet article, dans lesquels les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, les premiers vice-présidents des tribunaux et des cours, le vice-président du tribunal administratif de Paris et les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours peuvent statuer sur des requêtes par voie d'ordonnance, sans audience publique.

S'agissant de la modification de la liste des magistrats susceptibles de statuer par ordonnance :

5. L'article 3 du décret attaqué modifie la liste fixant ceux des magistrats qui sont susceptibles de statuer par ordonnance dans les cas prévus aux 1° à 7° de l'article R. 222-1, en y ajoutant : " les magistrats ayant une ancienneté minimale de deux ans et ayant atteint au moins le grade de premier conseiller désignés à cet effet par le président de leur juridiction ".

6. Compte tenu des conditions de grade et d'ancienneté requises des magistrats ainsi rendus compétents pour statuer par ordonnance sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative et de ce que cette compétence est subordonnée à leur désignation individuelle par le président de leur juridiction, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

S'agissant de la modification des hypothèses dans lesquelles il est possible de statuer par ordonnance :

7. L'article 3 du décret attaqué ajoute également, au dernier alinéa du même article R. 222-1 du code de justice administrative, une hypothèse supplémentaire de rejet d'une requête par ordonnance, applicable seulement devant les cours administratives d'appel, dans les termes suivants : " Les présidents des cours administratives d'appel, les premiers vice-présidents des cours et les présidents des formations de jugement des cours peuvent, en outre, par ordonnance, rejeter (...) les requêtes dirigées contre des ordonnances prises en application des 1° à 5° du présent article ainsi que, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire les requêtes d'appel manifestement dépourvues de fondement ".

Quant au droit à un recours juridictionnel effectif :

8. Les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu'elles élargissent le champ des litiges qui peuvent être tranchés sans audience publique en permettant, notamment, que des litiges qui ont fait l'objet d'une décision prise par ordonnance en première instance, donc sans audience publique, fassent à nouveau l'objet, en appel, d'une décision prise sans audience publique sur le fondement de ces dispositions.

9. Il ressort des pièces du dossier que ces dispositions ont été prises aux fins de garantir le respect du droit à un délai raisonnable de jugement et dans un objectif de bonne administration de la justice, en permettant de porter en priorité, devant les formations collégiales des cours administratives d'appel, les affaires présentant les plus grandes difficultés. A cet égard, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'elles seraient, au motif que l'actuel délai moyen de jugement devant les cours administratives d'appel ne serait pas excessif, entachées d'erreur manifeste d'appréciation ou, en tout état de cause, qu'elles méconnaîtraient, en ce qu'elles viseraient un délai de jugement trop bref, le droit à un délai raisonnable de jugement.

10. En vue de répondre aux objectifs cités ci-dessus, ces dispositions permettent effectivement aux présidents et vice-présidents des cours administratives d'appel qu'elles désignent de rejeter par ordonnance, donc sans audience publique, des requêtes d'appel qui sont manifestement dépourvues de fondement, y compris le cas échéant, contrairement à ce qui est soutenu en défense par la garde des sceaux, des requêtes dirigées contre des ordonnances de rejet prises, en première instance, sur le fondement du 7° du même article relatif aux demandes " ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ".

11. Mais, d'une part, dans les cas où des débats publics ont été organisés en première instance, la possibilité, ouverte par ces dispositions, de statuer en appel sans audience publique est réservée aux hypothèses ne présentant pas de difficulté particulière. D'autre part, les cas dans lesquels il est, par application de ces dispositions, possible de ne tenir d'audience publique ni en première instance ni en appel, correspondent aux cas exceptionnels pour lesquels, en première instance, s'agissant de recours relevant des hypothèses énumérés aux 1° à 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, la tenue d'une audience publique n'apporterait aucun élément utile à la solution de l'affaire et où, en appel, s'agissant en particulier des requêtes dirigées contre des ordonnances prises sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1, elles ne soumettent au juge d'appel que des moyens manifestement dépourvus de fondement. Eu égard à cette circonstance et compte tenu des finalités rappelées au point 9, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ou qu'elles sont incompatibles avec les stipulations des articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les requérants ne sont pas non plus fondés à soutenir qu'elles sont, pour ces motifs, entachées d'incompétence.

Quant au principe d'égalité devant la justice :

12. L'article L. 222-1 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements des tribunaux administratifs et les arrêts des cours administratives d'appel sont rendus par des formations collégiales, sous réserve des exceptions tenant à l'objet du litige ou à la nature des questions à juger (...) ". S'il appartient au pouvoir réglementaire de préciser les catégories de matières ou de questions à juger pour lesquelles, conformément à ces dispositions, il peut être fait exception au principe de collégialité des formations de jugement, il résulte du principe constitutionnel d'égalité devant la justice que les cas dans lesquels il peut ainsi être dérogé au principe de collégialité doivent reposer sur des critères objectifs.

13. Le critère du caractère " manifestement infondé " des moyens venant au soutien d'une requête d'appel, qui figure, pour les moyens de légalité externe, au 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative et qui figure, pour les moyens de légalité interne et externe, au dernier alinéa de cet article dans sa rédaction issue du décret attaqué, ne méconnaît pas l'exigence rappelée ci-dessus et voit, à ce titre, son usage éventuellement abusif soumis au contrôle du juge de cassation. Les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir qu'il méconnaît le principe rappelé au point précédent.

14. Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces dispositions ne font pas obstacle, par les termes qu'elles emploient, à ce que les décisions de justice prises sur leur fondement soient dénommées " ordonnances " et puissent déroger à certaines des règles de procédure applicables aux " jugements " ou aux " arrêts ".

15. Il résulte de ce qui a été dit aux deux points précédents que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, dans leur rédaction issue du décret attaqué, méconnaissent celles de l'article L. 222-1 du même code ou violent le principe d'égalité devant la justice. Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir qu'elles sont, pour ce motif, entachées d'incompétence.

Quant au principe du caractère contradictoire de la procédure :

16. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la circonstance qu'une décision est susceptible d'être prise par ordonnance ne saurait l'affranchir, de ce seul fait, d'une instruction contradictoire. En tout état de cause, les dispositions en litige étant exclusivement applicables au rejet d'une requête, la circonstance qu'une telle décision de rejet serait prise sans que la requête ait été communiquée aux défendeurs ne méconnaît pas le principe du caractère contradictoire de la procédure.

En ce qui concerne les articles R. 122-28, R. 226-1 et R. 611-10 du code de justice administrative :

17. L'article R. 122-28 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 2 du décret attaqué, dispose que, au sein du secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat : " le greffier en chef de chambre assiste le président de chambre dans l'instruction des dossiers. A cette fin, il peut proposer toute mesure utile pour leur mise en état. Il est chargé de la mise en oeuvre et du suivi des mesures retenues et peut signer à cette fin les courriers en informant les parties ". L'article R. 226-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 5 du même décret, dispose notamment, s'agissant des greffes des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, que le greffier " assiste le magistrat chargé de l'instruction dans la conduite de celle-ci. A cette fin, il peut proposer toute mesure utile pour la mise en état des dossiers. Il est chargé de la mise en oeuvre et du suivi des mesures retenues par le magistrat et peut signer à cette fin les courriers en informant les parties ". Enfin, l'article R. 611-10 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 18 de ce même décret, dispose que, dans les tribunaux administratifs et, en vertu de l'article R. 611-18, dans les cours administratives d'appel, " sous l'autorité du président de la chambre à laquelle il appartient et avec le concours du greffier de cette chambre, le rapporteur fixe, eu égard aux circonstances de l'affaire, le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires (...) ".

18. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces dispositions n'ont pas pour effet, dès lors qu'elles se bornent à préciser le rôle d'assistance au magistrat conféré au greffier, de confier à ce dernier des attributions juridictionnelles. Elles ne méconnaissent donc pas le principe d'indépendance des juridictions qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne portent pas atteinte, pour le même motif, au principe d'égalité devant la justice. Les requérants ne sont pas non plus fondés à soutenir qu'elles sont, pour ce motif, entachées d'incompétence.

En ce qui concerne l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative :

19. Dans sa rédaction issue de l'article 16 du décret attaqué, l'article R. 611-7-1 du code de justice administrative dispose que " lorsque l'affaire est en état d'être jugée, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, le président de la chambre chargée de l'instruction peut, sans clore l'instruction, fixer par ordonnance la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux. / Les lettres remises contre signature portant notification de cette ordonnance ou tous autres dispositifs permettant d'attester la date de réception de cette ordonnance sont envoyés à toutes les parties en cause un mois au moins avant la date mentionnée au premier alinéa. / Le président de la formation de jugement, ou, au Conseil d'Etat, le président de la chambre, peut retirer l'ordonnance prise sur le fondement du premier alinéa par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les formes prévues au deuxième alinéa ".

20. Prises dans l'objectif de bonne administration de la justice et de respect du droit à un délai raisonnable de jugement, ces dispositions permettent aux présidents de formation de jugement et, au Conseil d'Etat, aux présidents de chambre, de limiter le délai ouvert aux parties pour présenter leurs moyens. Elles ne s'appliquent toutefois qu'aux affaires en état d'être jugées et sont subordonnées à l'information préalable des parties, auxquelles elles garantissent un délai d'au moins un mois pour présenter, le cas échéant, tout moyen nouveau. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'elles méconnaissent les droits de la défense ou le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ou qu'elles sont incompatibles avec les stipulations des articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les requérants ne sont pas non plus fondés à soutenir qu'elles seraient, pour ce motif, entachées d'incompétence.

En ce qui concerne l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative :

21. Dans sa rédaction issue de l'article 17 du décret attaqué, l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative dispose que " le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, le président de la chambre chargé de l'instruction peut (...) fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l'issue duquel, à défaut d'avoir produit le mémoire récapitulatif mentionné à l'alinéa précédent, la partie est réputée s'être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes. La demande de production d'un mémoire récapitulatif informe la partie des conséquences du non-respect du délai fixé ".

22. Prises dans l'objectif de bonne administration de la justice, ces dispositions permettent aux présidents de formation de jugement et, au Conseil d'Etat, aux présidents de chambre, de constater un désistement d'instance en cas de carence d'une partie à produire le mémoire récapitulatif qui lui a été demandé. Elles ne peuvent toutefois s'appliquer que lorsque le dossier comporte d'autres mémoires que la demande au tribunal, la requête d'appel ou le pourvoi en cassation. Par ailleurs, elles prévoient, à peine d'irrégularité de la décision constatant le désistement, que la partie concernée doit disposer d'un délai d'au moins un mois pour produire son mémoire récapitulatif et qu'elle doit être préalablement et régulièrement informée du délai dont elle dispose et des conséquences d'une abstention de sa part. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ou qu'elles sont incompatibles avec les stipulations des articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les requérants ne sont pas non plus fondés à soutenir qu'elles sont, pour ce motif, entachées d'incompétence.

En ce qui concerne l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative :

23. Dans sa rédaction issue de l'article 20 du décret attaqué, l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative dispose que : " lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt que la requête conserve pour son auteur, le président de la formation de jugement ou, au Conseil d'Etat, le président de la chambre chargée de l'instruction, peut inviter le requérant à confirmer expressément le maintien de ses conclusions. La demande qui lui est adressée mentionne que, à défaut de réception de cette confirmation à l'expiration du délai fixé, qui ne peut être inférieur à un mois, il sera réputé s'être désisté de l'ensemble de ses conclusions ".

24. D'une part, ces dispositions ont vocation à s'appliquer lorsque le magistrat qui en fait usage, sans prendre parti sur la recevabilité de cette requête ou sur le bien-fondé de ses prétentions, estime que celle-ci est susceptible de ne plus conserver d'intérêt pour son auteur. Par suite, elles ne font pas obstacle à ce que ce même magistrat statue ensuite, le cas échéant, sur la requête en question et, contrairement à ce que soutiennent les requérants, ne méconnaissent pas, pour ce motif, le principe d'impartialité.

25. D'autre part, prises dans l'objectif de bonne administration de la justice, ces dispositions prévoient, à peine d'irrégularité de la décision constatant le désistement, que la partie concernée doit être expressément invitée à maintenir ses conclusions, doit disposer d'un délai d'au moins un mois pour y procéder et doit être préalablement et régulièrement informée du délai dont elle dispose et des conséquences d'une abstention de sa part. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ou qu'elles sont incompatibles avec les stipulations des articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les requérants ne sont pas non plus fondés à soutenir qu'elles sont, pour ce motif, entachées d'incompétence.

En ce qui concerne les articles R. 411-6, R. 611-2 et R. 751-3 du code de justice administrative :

26. Dans leurs rédactions issues des articles 8, 15 et 26 du décret attaqué, l'article R. 411-6 du code de justice administrative dispose que lorsqu'une requête " est présentée par plusieurs personnes physiques ou morales, tous les actes de la procédure sont accomplis à l'égard du représentant unique mentionné à l'article R. 411-5 ", l'article R. 611-2 du même code dispose que : " lorsqu'un mémoire en défense ou en intervention est présenté par plusieurs personnes physiques ou morales, tous les actes de la procédure sont accomplis à l'égard du représentant unique mentionné aux premier, deuxième et troisième alinéas " et, enfin, l'article R. 751-3 du même code dispose que : " lorsqu'une requête, un mémoire en défense ou un mémoire en intervention a été présenté par plusieurs personnes physiques ou morales, la décision est notifiée au représentant unique mentionné, selon le cas, à l'article R. 411-5 ou à l'article R. 611-2. Cette notification est opposable aux autres signataires. / Lorsqu'une requête, un mémoire en défense ou un mémoire en intervention a été présenté par un mandataire pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, la décision est notifiée à celle des personnes désignée à cette fin par le mandataire avant la clôture de l'instruction ou, à défaut, au premier dénommé. Cette notification est opposable aux autres auteurs de la requête, du mémoire en défense ou du mémoire en intervention ".

27. L'application de ces dispositions, qui permettent à la juridiction d'effectuer les actes de procédure à l'égard d'un seul des auteurs d'une requête, d'un mémoire en défense, ou d'un mémoire en intervention présenté par plusieurs personnes physiques ou morales, doit cependant être combinée avec celles de l'article R. 411-5 du code de justice administrative, qui dispose que : " sauf si elle est signée par un mandataire régulièrement constitué, la requête présentée par plusieurs personnes physiques ou morales doit comporter, parmi les signataires, la désignation d'un représentant unique. / A défaut, le premier dénommé est avisé par le greffe qu'il est considéré comme le représentant mentionné à l'alinéa précédent (...) ", et celles de l'article R. 611-2 du même code, qui dispose que " (...) le mémoire en défense ou en intervention présenté par plusieurs personnes physiques ou morales doit comporter, parmi les signataires, la désignation d'un représentant unique. / A défaut, le premier dénommé est avisé par le greffe qu'il est considéré comme le représentant mentionné à l'alinéa (...) ".

28. Dans ces conditions, les dispositions introduites par le décret attaqué aux articles R. 411-6, R. 611-2 et R. 751-3 du code de justice administrative n'ont pour effet ni d'exclure de la procédure, sans qu'un avertissement ait été préalablement délivré, les requérants, défendeurs ou intervenants autres que le premier dénommé, ni de permettre de regarder ce dernier comme un représentant unique sans qu'il en ait été préalablement informé par la juridiction. Ainsi, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'elles méconnaissent, pour ce motif, le principe du caractère contradictoire de la procédure, le respect des droits de la défense, ou le droit à un recours juridictionnel effectif.

En ce qui concerne les articles R. 421-1 et R. 421-3 du code de justice administrative :

29. Les moyens tirés de ce que, dans leur rédaction issue du décret attaqué, les dispositions des articles R. 421-1 et R. 421-3 du code de justice administrative, relatifs aux délais de recours et à la liaison du contentieux, méconnaîtraient le droit d'accès à un tribunal et le droit à un recours juridictionnel effectif, ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne l'article R. 741-12 du code de justice administrative :

30. L'article 24 du décret attaqué a modifié l'article R. 741-12 du code de justice administrative pour porter de 3 000 euros à 10 000 euros le montant maximal de l'amende que le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive.

31. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, des dispositions qui instituent une amende pour sanctionner les auteurs de requêtes abusives, ainsi que celles qui, comme c'est le cas en l'espèce, ont pour objet d'en augmenter le montant, n'ont pas, par elles-mêmes, pour effet de restreindre le droit reconnu à toute personne de soumettre sa cause à une juridiction. Par suite, ils ne sont pas fondés à soutenir que, par le seul fait qu'elles accroissent le montant maximal susceptible d'être infligé à l'auteur d'une requête abusive, ces dispositions méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ou qu'elles sont incompatibles avec les stipulations des articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les requérants ne sont pas non plus fondés à soutenir qu'elles sont, pour ce motif, entachées d'incompétence.

32. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat de la juridiction administrative et le Conseil national des barreaux ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions du décret du 2 novembre 2016 qu'ils attaquent. Leurs requêtes doivent, par suite, être rejetées, y compris, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'Ordre des avocats à la cour de Paris est admise.

Article 2 : les requêtes du syndicat de la juridiction administrative, du Conseil national des barreaux et de la société LCJ éditions et productions sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat de la juridiction administrative, au Conseil national des barreaux, à l'Ordre des avocats à la cour de Paris, à la société LCJ éditions et production, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 13 fév. 2019, n° 406606
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Céline Roux
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber

Origine de la décision
Formation : 4ème et 1ère chambres réunies
Date de la décision : 13/02/2019
Date de l'import : 19/02/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 406606
Numéro NOR : CETATEXT000038126198 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2019-02-13;406606 ?
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