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04/02/2019 | FRANCE | N°417885

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 04 février 2019, 417885


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ayant résulté pour lui de la décision du 27 avril 2012 par laquelle le ministre de l'intérieur a constaté l'invalidité de son permis de conduire pour solde de points nul et lui a enjoint de restituer ce titre. Par un jugement n° 1501688 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande, lui a infligé sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative une amende pour recours abusif de 1 000 euros et lui

a retiré, sur le fondement des articles 50 et 51 de la loi du 10 ...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices ayant résulté pour lui de la décision du 27 avril 2012 par laquelle le ministre de l'intérieur a constaté l'invalidité de son permis de conduire pour solde de points nul et lui a enjoint de restituer ce titre. Par un jugement n° 1501688 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande, lui a infligé sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative une amende pour recours abusif de 1 000 euros et lui a retiré, sur le fondement des articles 50 et 51 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Par une ordonnance n° 18BX00084 du 1er février 2018, le président de la cour administrative d'appel de Bordeaux s'est fondé sur les articles R. 351-2 et R. 811-1 du code de justice administrative pour transmettre au Conseil d'Etat le pourvoi présenté devant cette cour par M.B....

Par un pourvoi, enregistré le 9 janvier 2018 au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux, et un nouveau mémoire, enregistré le 6 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande :

1°) d'annuler le jugement du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCP Ortscheidt, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la route ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de M.B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le ministre de l'intérieur a pris le 27 avril 2012 une décision constatant la perte de validité du permis de conduire de M. B...pour solde de points nul et lui enjoignant de restituer ce titre. Le tribunal administratif de Poitiers a annulé cette décision par un jugement du 22 mai 2014, en jugeant que le ministre n'avait pu légalement prendre en compte le retrait d'un point consécutif à une infraction commise le 13 avril 2011, alors que M. B...avait fait opposition le 16 avril 2012 à l'ordonnance pénale du 27 février 2012 le condamnant pour cette infraction et que, dans l'attente de la décision du juge judiciaire, la réalité de celle-ci ne pouvait être regardée comme établie à la date de la décision attaquée. M. B...a recherché la responsabilité de l'Etat au titre de l'illégalité de la décision du 27 avril 2012. Il se pourvoit en cassation contre le jugement du 9 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions indemnitaires et l'a condamné à l'amende pour recours abusif prévue par l'article R. 741-12 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier transmis par le tribunal administratif de Poitiers que, contrairement à ce que soutient le requérant, la minute du jugement du 9 novembre 2017 comporte les signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative.

Sur le bien fondé du jugement :

En ce qui concerne le rejet de la demande de M.B... :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 223-1 du code de la route : " Le permis de conduire est affecté d'un nombre de points. Celui-ci est réduit de plein droit si le titulaire du permis a commis une infraction pour laquelle cette réduction est prévue ". Le quatrième alinéa du même article précise que : " La réalité d'une infraction entraînant retrait de points est établie par le paiement d'une amende forfaitaire ou l'émission du titre exécutoire de l'amende forfaitaire majorée, l'exécution d'une composition pénale ou par une condamnation définitive ".

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif que M. B... a formé opposition le 16 avril 2012 contre deux ordonnances pénales du 27 février 2012 relatives à des infractions commises, respectivement, les 13 et 14 avril 2011, et qu'il n'a été statué sur ces oppositions que par deux jugements de la juridiction de proximité de Poitiers du 13 juin 2012. Ainsi, à la date de la décision du 27 avril 2012 constatant la perte de validité du permis, les infractions en cause, faute d'avoir donné lieu à une condamnation définitive établissant leur réalité, ne pouvaient donner lieu à retrait de points. Le solde de points du permis de M. B..., tel qu'il résultait des retraits de points opérés au titre des autres infractions alors enregistrées sur le relevé intégral d'information relatif à ce permis, était de deux points.

5. Toutefois, il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'intéressé a commis les 12 septembre et 22 décembre 2011 deux infractions, justifiant chacune le retrait d'un point, dont la réalité a été établie les 30 novembre 2011 et 7 mars 2012 par le paiement de l'amende forfaitaire. A la date du 27 avril 2012, les conditions légales du retrait des deux points correspondants, telles qu'elles résultent des dispositions précitées de l'article L. 223-1 du code de justice administrative, étaient donc réunies. Ainsi, et alors même qu'à cette date l'administration n'avait pas encore enregistré les infractions en cause au relevé intégral d'information, le tribunal administratif a exactement qualifié les faits de l'espèce et n'a entaché son jugement ni d'erreur de droit, ni de dénaturation en tenant compte de ces infractions et en jugeant que les troubles subis par l'intéressé du fait de la perte du droit de conduire n'était pas en lien direct avec l'illégalité commise par le ministre de l'intérieur.

Sur le jugement en tant qu'il prononce contre M. B...une amende pour recours abusif :

6. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".

7. Eu égard à l'objet de la requête de M.B..., aux moyens qui y étaient développés et à la circonstance que le jugement attaqué en admet partiellement le bien-fondé, en reconnaissant que l'administration a commis une illégalité de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers le requérant, le tribunal administratif de Poitiers l'a inexactement qualifiée en retenant qu'elle revêtait un caractère abusif.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du 9 novembre 2017 n'encourt l'annulation qu'en tant qu'il condamne M. B...à verser une amende pour recours abusif et lui retire le bénéfice de l'aide juridictionnelle sur le fondement des articles 50 et 51 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

9. M. B...ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Ortscheid, avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cette société.

D E C I D E :

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Article 1er : Le jugement du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers est annulé en tant qu'il condamne M. B...à verser une amende pour recours abusif et lui retire le bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Ortscheid, avocat de M.B..., une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417885
Date de la décision : 04/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

POLICE - POLICE GÉNÉRALE - CIRCULATION ET STATIONNEMENT - PERMIS DE CONDUIRE - ILLÉGALITÉ DE LA DÉCISION CONSTATANT LA PERTE DE VALIDITÉ DU PERMIS POUR DES INFRACTIONS N'AYANT PAS DONNÉ LIEU À UNE CONDAMNATION DÉFINITIVE ÉTABLISSANT LEUR RÉALITÉ - RESPONSABILITÉ DE L'ETAT - LIEN DE CAUSALITÉ - ABSENCE - DÈS LORS QUE LA PERTE DE VALIDITÉ DU PERMIS POUVAIT ÊTRE FONDÉE SUR D'AUTRES INFRACTIONS DÉJÀ COMMISES À LA DATE DE LA DÉCISION ILLÉGALE [RJ1] - ET ALORS MÊME QU'À CETTE DATE L'ADMINISTRATION N'AVAIT PAS ENCORE ENREGISTRÉ CES INFRACTIONS AU RELEVÉ INTÉGRAL D'INFORMATION.

49-04-01-04 L'illégalité d'une décision constatant la perte de validité du permis, au motif que les infractions en cause n'avaient pas donné lieu à une condamnation définitive établissant leur réalité, ne constitue pas la cause des troubles subis par l'intéressé du fait de la perte du droit de conduire dès lors que la perte de validité du permis pouvait être fondée sur d'autres infractions déjà commises à la date de cette décision et alors même qu'à cette date l'administration n'avait pas encore enregistré ces infractions au relevé intégral d'information.

PROCÉDURE - JUGEMENTS - AMENDE POUR RECOURS ABUSIF - REQUÊTE TENDANT À LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES RÉSULTANT DU CONSTAT D'INVALIDITÉ DU PERMIS DE CONDUIRE POUR SOLDE DE POINTS NUL ET DE L'INJONCTION DE RESTITUER CE TITRE - CARACTÈRE ABUSIF DU RECOURS - ABSENCE - EU ÉGARD À L'OBJET DE LA REQUÊTE - AUX MOYENS QUI Y ÉTAIENT DÉVELOPPÉS ET À LA CIRCONSTANCE QUE LE JUGEMENT ATTAQUÉ EN ADMET PARTIELLEMENT LE BIEN-FONDÉ.

54-06-055 Commet une erreur de qualification juridique des faits le tribunal qui juge que revêt un caractère abusif une requête tendant à la réparation des préjudices résultant du constat d'invalidité du permis de conduire pour solde de points nul et de l'injonction de restituer ce titre, eu égard à l'objet de la requête, aux moyens qui y étaient développés et à la circonstance que le jugement attaqué en admet partiellement le bien-fondé, en reconnaissant que l'administration a commis une illégalité de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers le requérant.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - PRÉJUDICE - CARACTÈRE DIRECT DU PRÉJUDICE - ABSENCE - ILLÉGALITÉ DE LA DÉCISION CONSTATANT LA PERTE DE VALIDITÉ DU PERMIS POUR DES INFRACTIONS N'AYANT PAS DONNÉ LIEU À UNE CONDAMNATION DÉFINITIVE ÉTABLISSANT LEUR RÉALITÉ - CAS OÙ LA PERTE DE VALIDITÉ POUVAIT ÊTRE FONDÉE SUR D'AUTRES INFRACTIONS DÉJÀ COMMISES À LA DATE DE LA DÉCISION ILLÉGALE [RJ1] - ET ALORS MÊME QU'À CETTE DATE L'ADMINISTRATION N'AVAIT PAS ENCORE ENREGISTRÉ CES INFRACTIONS AU RELEVÉ INTÉGRAL D'INFORMATION.

60-04-01-03-01 L'illégalité d'une décision constatant la perte de validité du permis, au motif que les infractions en cause n'avaient pas donné lieu à une condamnation définitive établissant leur réalité, ne constitue pas la cause des troubles subis par l'intéressé du fait de la perte du droit de conduire dès lors que la perte de validité du permis pouvait être fondée sur d'autres infractions déjà commises à la date de cette décision et alors même qu'à cette date l'administration n'avait pas encore enregistré ces infractions au relevé intégral d'information.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 6 janvier 2006, Père, n° 265688, T. pp. 985-1066.

Rappr. CE, Section, 19 juin 1981, Mme Carliez, p. 274.


Publications
Proposition de citation : CE, 04 fév. 2019, n° 417885
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Dominique Langlais
Rapporteur public ?: Mme Cécile Barrois De Sarigny
Avocat(s) : SCP ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:417885.20190204
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