Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 17 juillet et 6 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union de la Bijouterie Horlogerie demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes 200, 210, 220, 240, 250 et 260 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-TVA-SECT-30-20-20 ;
2°) d'annuler les paragraphes 20 et 40 des commentaires administratifs publiés le 20 octobre 2014 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-40.
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale et son premier protocole additionnel ;
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, notamment son article 121 ;
- le code général des impôts, notamment le 1° du IV de l'article 256 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, auditeur,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'Union de la Bijouterie Horlogerie demande l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes 200, 210, 220, 240, 250 et 260 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-TVA-SECT-30-20-20, ainsi que celle des paragraphes 20 et 40 des commentaires administratifs publiés le 20 octobre 2014 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-40, par lesquels l'administration commente respectivement le régime d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations de travail à façon et son application à de telles prestations lorsqu'elles portent sur l'or industriel.
Sur le recours dirigés contre les paragraphes 20 et 40 des commentaires administratifs publiés le 20 octobre 2014 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-10-10-50-40 :
2. Aux termes du 2e alinéa de l'article 121 de la directive 2006/112/CE : " Les Etats membres qui, au 1er janvier 1993, considéraient le travail à façon comme une livraison de biens peuvent appliquer aux opérations de délivrance d'un travail à façon le taux applicable au bien obtenu après exécution du travail à façon. / Aux fins de l'application du premier alinéa, on entend par "délivrance d'un travail à façon" la remise par l'entrepreneur de l'ouvrage à son client d'un bien meuble qu'il a fabriqué ou assemblé au moyen de matières ou d'objets que le client lui a confiés à cette fin, que l'entrepreneur ait fourni ou non une partie des matériaux utilisés.". En vertu de ces dispositions, ne peut être considérée comme travail à façon qu'une prestation consistant pour l'entrepreneur à réaliser, à partir de matériaux apportés de manière prépondérante par le client, sans transfert de propriété de ces derniers au profit du façonnier, un produit nouveau au travers duquel ils lui sont restitués, sous une autre forme.
3. Les commentaires administratifs en cause, qui visent à interpréter les dispositions du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts en vertu desquelles " les opérations de façon (...) sont considérées comme des prestations de services ", indiquent dans leur paragraphe 10 que l'existence d'un véritable marché de façon est subordonnée au respect de quatre conditions, qu'ils exposent aux paragraphes 20 à 50. Il est notamment indiqué au paragraphe 20 que " Le façonnier ne doit pas devenir propriétaire des biens apportés par le donneur d'ouvrage (son client) " et, au paragraphe 40, que " Les matériaux apportés par le client doivent être restitués à l'identique ou, sous certaines conditions, à l'équivalent ", ce qui " suppose que le façonnier restitue à l'identique au donneur d'ouvrage, après leur mise en oeuvre, les matières que ce dernier lui a apportées ", cette condition de restitution à l'identique nécessitant " que les matières premières fournies par le donneur d'ordre restent individualisées chez le façonnier tout au long de l'opération ". Il est ensuite exposé que le respect de cette condition peut cependant se traduire par des difficultés dans certaines situations et il est admis par l'administration, par mesure de tolérance, pour les seules opérations effectuées entre assujettis, de ne pas exiger la condition de restitution " à l'identique ".
4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 que les critères posés par les commentaires contestés tenant à l'absence de transfert de propriété des matériaux apportés par le client et tenant à ce que ceux-ci lui soient restitués " à l'identique ", c'est-à-dire avec la même matière mais sous la forme d'un produit nouveau, découlent directement des dispositions de l'article 121 précité de la directive de 2006. Le respect de ces critères implique nécessairement, ainsi que l'indiquent également ces commentaires, l'obligation pour le façonnier d'individualiser, dans sa fabrication, les matériaux apportés par le donneur d'ouvrage. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les commentaires en litige ajouteraient à la loi en définissant le travail à façon ne peut qu'être écarté.
5. En second lieu, les dispositions du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts se bornant à prévoir que les opérations de travail à façon sont considérées comme des prestations de service au regard du régime de taxe sur la valeur ajoutée sans en donner de définition, l'union requérante n'est pas fondée à soutenir, à l'appui de sa contestation des commentaires attaqués, qu'il découlerait de ces dispositions que le législateur aurait entendu soumettre à ce traitement fiscal des prestations qui ne vérifieraient pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la qualification d'un tel travail.
Sur le recours dirigé contre les paragraphes 200, 210, 220, 240, 250 et 260 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques - Impôts sous la référence BOI-TVA-SECT-30-20-20 :
6. Les paragraphes contestés des commentaires administratifs en cause ont pour objet de préciser le régime d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée des opérations de fabrication d'articles en or effectuées pour le compte de tiers. Ils précisent qu'il est admis, par voie de tolérance administrative, qu'une telle opération puisse être regardée comme une prestation de travail à façon alors même que l'or est rendu au donneur d'ordre non " à l'identique " mais " à l'équivalent " si sont réunies trois conditions tenant à ce que, en premier lieu, les matières premières mises en oeuvre soient fournies par le donneur d'ordre préalablement au façonnage, en deuxième lieu, les quantités de produits livrés par le façonnier au donneur d'ouvrage correspondent aussi exactement que possible aux quantités qu'il a mises en oeuvre et, en troisième lieu, ce dernier tienne à la disposition du service des impôts sa comptabilité matière. Les commentaires précisent que cette tolérance ne trouve à s'appliquer que lorsque le client est un assujetti, et rappellent au paragraphe 260 que " La réalisation d'ouvrage pour le compte de particuliers est toujours regardée comme la vente d'un bien fabriqué lorsque le métal fourni n'est pas restitué à l'identique. La livraison est alors taxable sur le montant total des sommes ou valeurs reçues en contrepartie des bijoux fabriqués, y compris la valeur de l'or remis par le client (RM Bergelin n° 46701, JO AN du 4 juin 1984, p. 25901 ; RM Isaac-Sibille n° 33553, JO AN du 3 janvier 2000, p. 65) ".
7. L'Union de la Bijouterie Horlogerie soutient en premier lieu que ces commentaires sont illégaux en ce qu'ils créent, dans le cas où le donneur d'ouvrage est un client particulier, une différence de traitement constitutive d'une méconnaissance du principe d'égalité, selon que l'opération de travail à façon est réalisée dans l'atelier du bijoutier auquel le client a confié son or ou dans celui d'un artisan tiers, la première étant imposée à la taxe à la valeur ajoutée sur la seule prestation de service, la seconde, regardée comme une livraison de bien, donnant lieu à une imposition sur la valeur du service fourni et de l'or restitué au donneur d'ouvrage. Il ressort cependant des commentaires attaqués que ceux-ci se bornent à prévoir une différence de traitement entre les donneurs d'ouvrage selon qu'ils sont des clients assujettis ou des particuliers, le lieu de réalisation de la prestation étant sans incidence sur les modalités de son imposition à la taxe sur la valeur ajoutée. Le moyen ne peut dès lors qu'être écarté.
8. En second lieu, l'opération consistant pour un particulier à confier son or à un artisan en vue d'en obtenir la transformation a, dans l'hypothèse où cet or ne lui est pas restitué " à l'identique " mais " à l'équivalent ", la nature d'un échange. Cette opération se traduit pour l'artisan, au regard de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, en une opération d'achat d'or auprès de son client, suivie de la vente à ce dernier d'un ouvrage fabriqué au moyen d'une quantité d'or équivalente. Par suite, ainsi que le rappellent les commentaires attaqués sans méconnaître la portée de la loi fiscale, la remise par l'artisan de l'ouvrage constitue, dans cette hypothèse, une livraison de bien, la taxe étant assise non seulement sur la valeur du service mais aussi sur celle de l'or que le client a confié à l'artisan. La règle de taxation ainsi réitérée par les commentaires attaqués ne méconnaît pas, par elle-même, contrairement à ce que soutient l'union requérante, les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si celle-ci soutient en outre que cette règle méconnait le droit de propriété protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une telle contestation de la loi fiscale ne peut être formée que par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité, soulevée par un mémoire distinct. Il en résulte que le moyen ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de ce qui précède que le recours de l'Union de la Bijouterie Horlogerie doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'Union de la Bijouterie Horlogerie est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union de la Bijouterie Horlogerie et au ministre de l'action et des comptes publics.