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26/12/2018 | FRANCE | N°415589

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 26 décembre 2018, 415589


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 415589, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés le 10 novembre 2017 et les 29 janvier, 12 juin et 29 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Grünenthal demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande d'inscription du médicament Palexia LP sur la liste des sp

cialités remboursables, formée le 14 novembre 2016, ainsi que la décision impli...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 415589, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés le 10 novembre 2017 et les 29 janvier, 12 juin et 29 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Laboratoires Grünenthal demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande d'inscription du médicament Palexia LP sur la liste des spécialités remboursables, formée le 14 novembre 2016, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé contre cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 418856, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 8 mars, 15 juin et 29 octobre 2018, la société Laboratoires Grünenthal demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 25 janvier 2018 par laquelle le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont rejeté sa demande d'inscription du médicament Palexia LP sur la liste des spécialités remboursables ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Poulet, Odent, avocat de la société Laboratoires Grünenthal.

Vu la note en délibéré, présentée pour la société Laboratoires Grünenthal dans chacune des deux affaires, enregistrée le 6 décembre 2018 ;

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale, les spécialités pharmaceutiques ne peuvent être prises en charge ou donner lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie, lorsqu'elles sont dispensées en officine, que si elles figurent sur une liste établie, selon l'article R. 163-2 du même code, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de la sécurité sociale. En vertu de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation de ces spécialités par les collectivités publiques sont limités aux produits agréés dont la liste est établie par arrêté des mêmes ministres. Ces listes précisent les seules indications thérapeutiques ouvrant droit à la prise en charge des médicaments. Il résulte, d'une part, de l'article R. 163-4 du code de la sécurité sociale et, d'autre part, des dispositions combinées des articles L. 5123-3 du code de la santé publique et L. 161-37 du code de la sécurité sociale que l'inscription sur ces listes est prononcée après avis de la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Enfin, en vertu du I de l'article R. 163-3 et de l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale, cet avis comporte notamment l'appréciation du bien-fondé de l'inscription du médicament sur ces listes au regard du service médical rendu qu'il apporte, indication par indication.

2. Il ressort des pièces des dossiers que la société Laboratoires Grünenthal a adressé au ministre des affaires sociales et de la santé, le 14 novembre 2016, une demande de réévaluation du service médical rendu, dans l'indication relative au traitement des douleurs chroniques sévères de l'adulte d'origine non cancéreuse non neuropathique, de la spécialité Palexia LP, comprimé à libération prolongée, en vue de son inscription sur les listes prévues au premier alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique. Par un avis du 5 avril 2017 confirmé le 7 juin suivant après l'audition de la société, la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé s'est prononcée défavorablement sur cette demande en estimant le service médical rendu par la spécialité insuffisant dans l'indication considérée. Le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont implicitement rejeté la demande présentée par la société Laboratoires Grünenthal à l'expiration du délai d'instruction de 180 jours, prévu par le I de l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale, puis confirmé ce rejet par le silence qu'ils ont gardé sur le recours gracieux de la société. Par une décision expresse du 25 janvier 2018, les ministres ont pris une nouvelle décision de rejet de la demande de la société. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, la société Laboratoires Grünenthal demande l'annulation pour excès de pouvoir de ces décisions.

Sur les décisions implicites de rejet :

3. L'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance maladie prévoit, d'une part, dans son paragraphe 1, que les décisions relatives à une demande d'inscription d'un médicament sur la liste des médicaments couverts par le système d'assurance maladie sont adoptées et communiquées au demandeur dans un délai, selon le cas, de 90 ou 180 jours et, d'autre part, dans son paragraphe 2, que : " Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s'appuient. En outre, le demandeur est informé des moyens de recours dont il dispose selon la législation en vigueur, ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés ". Pour assurer la transposition de ces dispositions, d'une part, le I de l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale prévoit que : " Les décisions relatives à l'inscription du médicament sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 (...) sont prises et communiquées à l'entreprise dans un délai de cent quatre-vingts jours à compter de la réception par le ministre chargé de la sécurité sociale de la demande mentionnée à l'article R. 163-8 (...) " et, d'autre part, l'article R. 163-14 du même code dispose que : " Les décisions portant refus d'inscription sur la liste prévue au premier alinéa de l'article L. 162-17 du présent code et à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique (...) sont communiquées à l'entreprise avec la mention des motifs de ces décisions ainsi que des voies et délais de recours qui leur sont applicables ".

4. Il ressort des pièces du dossier qu'en application des dispositions du I de l'article R. 163-9 du code de la sécurité sociale, la demande de la société Laboratoires Grünenthal a fait l'objet d'une décision implicite de rejet à l'expiration d'un délai de 180 jours suivant la réception de sa demande. Bien que l'avis émis par la commission de la transparence lui ait été précédemment notifié, la société ne peut être regardée comme ayant été informée, dans ce délai, des motifs de ce refus, dès lors que, faute d'information sur ce point, elle ignorait dans quelle mesure les ministres avaient entendu s'approprier les motifs de cet avis. Par suite, la société Laboratoires Grünenthal est fondée à soutenir que la décision implicite rejetant sa demande d'inscription de la spécialité Palexia LP sur la liste des médicaments remboursables aux assurés sociaux ainsi que sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques méconnaît l'article R. 163-14 du code de la sécurité sociale, interprété à la lumière de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988.

5. Il résulte de ce qui précède que la société requérante est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, à demander l'annulation pour ce motif de la décision implicite par laquelle sa demande a été rejetée ainsi que, par voie de conséquence, la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Sur la décision expresse du 25 janvier 2018 :

6. Aux termes de l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale, l'appréciation du service médical rendu par un médicament " prend en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur la liste ".

7. En premier lieu, le respect du principe d'égalité devant la loi et les règles de concurrence imposaient aux auteurs de la décision attaquée de s'assurer que les différences pouvant exister dans les conditions d'inscription, sur les listes prévues par l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique, de spécialités étroitement comparables compte tenu de leurs effets, de leur mode d'action et de leur place dans la stratégie thérapeutique ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des motifs susceptibles de les justifier. En l'espèce, d'autres spécialités de la classe des antalgiques opioïdes de palier III se sont vu reconnaître par la commission de la transparence, dans des avis rendus le 19 mars 2014 à l'occasion de la réévaluation de seize spécialités pharmaceutiques de cette classe, puis le 15 octobre 2014 pour les spécialités à base d'oxycodone, un service médical rendu important pour les douleurs non cancéreuses non neuropathiques liées à l'arthrose du genou, de la hanche et les douleurs lombalgiques chroniques. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que cette reconnaissance découlait de nouvelles données sur l'efficacité et la tolérance de ces spécialités, publiées dans la littérature scientifique entre 2009 et 2011, pour la sous-indication créée à cette occasion des douleurs non cancéreuses non neuropathiques liées à l'arthrose du genou, de la hanche et les douleurs lombalgiques chroniques. Or, d'une part, les Laboratoires Grünenthal, qui, tout en invoquant une efficacité comparable à celle de ces spécialités, revendiquaient également pour le Palexia une place intermédiaire entre le paracétamol et les opioïdes, n'ont pas réalisé d'étude comparative d'efficacité méthodologiquement reconnue avec des opioïdes forts dont le service médical rendu a été reconnu important pour certaines douleurs non cancéreuses non neuropathiques. D'autre part, ils se sont principalement appuyés sur une étude comparative de non-infériorité par rapport au Targinact, comparateur pertinent du Palexia, auquel la commission de la transparence, par un avis du 3 juin 2015, n'a reconnu qu'un service médical rendu faible pour les douleurs non cancéreuses non neuropathiques liées à l'arthrose du genou, de la hanche et les douleurs lombalgiques chroniques et insuffisant pour les autres douleurs non cancéreuses non neuropathiques. Cette étude, comme la méta-analyse et l'étude de caractère observationnel produites, présentaient des limites méthodologiques, relevées par la commission de la transparence, de sorte que le rapport entre l'efficacité et les effets indésirables de la spécialité était insuffisamment établi. Il résulte de ces éléments que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre laboratoires doit être écarté, tout comme, par suite, celui tiré de la violation du principe de libre concurrence.

8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard aux éléments mentionnés au point précédent, que le refus d'inscrire le Palexia LP sur les listes prévues aux articles L. 162-17 du code de la sécurité sociale et L. 5123-2 du code de la santé publique serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

9. En dernier lieu, parmi les critères fixés par l'article R. 163-3 du code de la sécurité sociale pour apprécier le service médical rendu d'un médicament, figurent les effets indésirables de celui-ci et son intérêt pour la santé publique. A ce titre, les ministres, qui ont décidé de suivre l'avis de la commission de la transparence, pouvaient légalement tenir compte du risque d'abus et de dépendance présenté par la spécialité, que la commission avait pris en considération pour apprécier son intérêt pour la santé publique. Si la société requérante fait également valoir qu'au cours des débats de la commission de la transparence préalables à l'adoption de son avis, des risques liés au mésusage de l'ensemble des spécialités de cette classe thérapeutique, au demeurant bien documentés dans la littérature scientifique, ont été mentionnés, il ne ressort ni de ces débats ni des motifs de l'avis de la commission du 7 juin 2017 que celui-ci aurait été pris non au vu de l'appréciation du service médical rendu de la spécialité mais, ainsi qu'elle le soutient, dans le but de mettre en garde contre le mésusage des antalgiques de palier III. Par suite, le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 25 janvier 2018.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Laboratoires Grünenthal au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'instance n° 415589. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que cette société a présentées au même titre dans l'instance n° 418856.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision par laquelle le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l'action et des comptes publics ont implicitement rejeté la demande présentée par la société Laboratoires Grünenthal le 14 novembre 2016 et la décision implicite de rejet de son recours gracieux sont annulées.

Article 2 : La requête n° 418856 de la société Laboratoires Grünenthal est rejetée.

Article 3 : L'Etat versera à la société Laboratoires Grünenthal une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société laboratoires Grünenthal et à la ministre des solidarités et de la santé.

Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et à la Haute Autorité de santé.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 415589
Date de la décision : 26/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 déc. 2018, n° 415589
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Nevache
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 01/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415589.20181226
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