Vu la procédure suivante :
M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
- de suspendre la décision du président du conseil départemental de l'Isère du 12 février 2018 refusant sa prise en charge en qualité de jeune majeur ;
- d'enjoindre au département de l'Isère, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de réexaminer sa demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et, dans l'intervalle, de poursuivre sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, dans un délai de 24 heures.
Par une ordonnance n° 1801613 du 25 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 et 25 juin et le 15 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre à la charge du département de l'Isère la somme de 3 500 euros, à verser à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de M. A...et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat du département de l'Isère ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 octobre 2018, présentée pour le département de l'Isère ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que M. B...A..., né le 2 janvier 2000, de nationalité guinéenne, et entré en France, selon ses dires, le 31 août 2016, a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Isère, jusqu'à sa majorité, en vertu d'un jugement en assistance éducative du 8 mars 2017. En réponse à un courrier aux termes duquel il demandait le bénéfice d'un " contrat jeune majeur ", le président du conseil départemental de l'Isère a refusé cette prise en charge par une décision du 12 février 2018. M. A...se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 25 avril 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de cette décision.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt-et-un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d'être prises en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l'exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt-et-un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ". L'article L. 222-5-1 du même code prévoit qu'" un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l'article L. 222-5, un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l'autonomie. Dans le cadre du projet pour l'enfant, un projet d'accès à l'autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources (...) ". Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article R. 221-2 du même code : " S'agissant de mineurs émancipés ou de majeurs âgés de moins de vingt-et-un ans, le président du conseil départemental ne peut agir que sur demande des intéressés et lorsque ces derniers éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants ".
4. Il résulte de ces dispositions que s'il incombe au président du conseil départemental de préparer l'accompagnement vers l'autonomie de tout mineur pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance dans l'année précédant sa majorité, il dispose, sous le contrôle du juge, d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par ce service d'un jeune majeur de moins de vingt-et-un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants.
Sur l'urgence :
5. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Eu égard aux effets particuliers d'une décision refusant de poursuivre la prise en charge, au titre des deux derniers alinéas de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, d'un jeune jusque là confié à l'aide sociale à l'enfance, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsqu'il demande la suspension d'une telle décision de refus. Il peut toutefois en aller autrement dans les cas où l'administration justifie de circonstances particulières, qu'il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.
6. Dès lors, en jugeant que l'exécution de la décision du 12 février 2018 refusant sa prise en charge à titre temporaire comme jeune majeur ne portait pas une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation de M. A...pour que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative puisse être regardée comme remplie, alors que le département ne justifiait pas de circonstances particulières tenant, notamment, à l'existence d'autres possibilités de prise en charge, le juge des référés a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède que M. A...est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque. Le moyen retenu suffisant à entrainer cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.
8. Il y a lieu, en application du premier alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. A....
Sur l'intervention de la Cimade :
9. La Cimade justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande de M.A.... Ainsi, son intervention est recevable.
Sur l'urgence :
10. Il résulte de l'instruction que M.A..., confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Isère jusqu'à sa majorité le 2 janvier 2018, s'est vu refuser le bénéfice d'un accompagnement en tant que jeune majeur par une décision du 12 février 2018. Pour soutenir que cette décision ne porte pas une atteinte grave et immédiate à sa situation, le département de l'Isère fait seulement valoir qu'il n'établit pas ne pas pouvoir être admis dans l'un des centres provisoires d'hébergement gérés par les services de l'Etat. Dans ces conditions, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.
Sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse :
11. Aux termes de l'article R. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, applicable à l'aide sociale à l'enfance : " Les décisions d'attribution, de refus d'attribution, de modification de la nature ou des modalités d'attribution d'une prestation doivent être motivées (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une décision refusant à un jeune majeur la mesure de prise en charge temporaire qu'il sollicite doit être motivée et, à ce titre, mentionner les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde.
12. Le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du 12 février 2018 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a rejeté la demande de prise en charge de M. A...est de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'il soulève, à demander la suspension de l'exécution de cette décision du président du conseil départemental de l'Isère.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
14. La présente décision implique nécessairement que le département de l'Isère procède au réexamen de la situation du requérant. Il y a lieu, dès lors, de lui enjoindre de prendre une nouvelle décision dans un délai de quinze jours à compter de sa notification, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
15. M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M.A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge du département de l'Isère une somme de 1 000 euros à verser à cette SCP.
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 25 avril 2018 est annulée.
Article 2 : L'intervention de la Cimade est admise.
Article 3 : L'exécution de la décision du 12 février 2018 par laquelle le président du conseil départemental de l'Isère a rejeté la demande de prise en charge de M. A...est suspendue.
Article 4 : Il est enjoint au président du conseil départemental de l'Isère de statuer de nouveau sur la demande de M. A...dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.
Article 5 : Le département de l'Isère versera une somme de 1 000 euros à la SCP Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de M.A..., en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la demande de M. A...est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et au département de l'Isère.
Copie en sera adressée à la Cimade et à la ministre des solidarités et de la santé.