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12/12/2018 | FRANCE | N°415334

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 12 décembre 2018, 415334


Par un mémoire et cinq nouveaux mémoires, enregistrés les 14 septembre, 4, 8, 21 et 22 octobre et 5 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme B... demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 3 août 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de blâme, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et liber

tés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 48 ...

Par un mémoire et cinq nouveaux mémoires, enregistrés les 14 septembre, 4, 8, 21 et 22 octobre et 5 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme B... demande au Conseil d'État, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 3 août 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a prononcé à son encontre la sanction de blâme, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 48 et des articles 58-1 à 66 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 61-1 et 64 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- les décisions n° 78-103 DC du 17 janvier 1979, n° 93-336 DC du 27 janvier 1994, n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de MmeA....

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 novembre 2018, présentée par Mme A....

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Mme A...soutient que les dispositions de l'article 48 et des articles 58-1 à 66 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature méconnaissent le principe de la séparation des pouvoirs, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celui de l'indépendance de l'autorité judiciaire, protégé par l'article 64 de la Constitution, le principe d'égalité devant la loi ainsi que le droit à un procès équitable et le principe du respect des droits de la défense garantis par les articles 6 et 16 de la même Déclaration.

3. Toutefois, l'article 58-1, le second alinéa de l'article 59, l'article 63, à l'exception de son premier alinéa, l'article 63-2, la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 63-3 et le deuxième alinéa de l'article 64 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ne régissent pas la procédure à l'issue de laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, prononce, après avis du Conseil supérieur de la magistrature, une sanction disciplinaire à l'égard d'un magistrat du parquet. L'article 66 de la même ordonnance n'a pas été appliqué dans la procédure de sanction de MmeA.... Dès lors, ces dispositions ne sont pas applicables au litige relatif à la sanction disciplinaire prononcée le 3 août 2017 par le garde des sceaux, ministre de la justice, à l'encontre de MmeA..., alors substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux.

4. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel, par ses décisions n° 78-103 DC du 17 janvier 1979, n° 93-336 DC du 27 janvier 1994, n° 2001-445 DC du 19 juin 2001, n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016, a, dans leurs motifs et leurs dispositifs, déclaré conformes à la Constitution les articles 59, 63, 63-1, 63-3, 65 et 66 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ainsi que son article 48, à l'exception des mots " Le pouvoir disciplinaire est exercé (...) à l'égard des magistrats du parquet (...) par le garde des sceaux, ministre de la justice ". Contrairement à ce que soutient la requérante, ni l'existence d'un débat de nature politique sur l'indépendance du parquet ni l'évolution de la législation relative à l'état d'urgence ne constituent à elles seules des changements de circonstances de nature à justifier que la question de la conformité à la Constitution de ces dispositions soit de nouveau soumise au Conseil constitutionnel.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il n'appartient au Conseil d'État de se prononcer sur le caractère sérieux ou nouveau de la question invoquée par Mme A...qu'en tant qu'elle porte sur les mots : " Le pouvoir disciplinaire est exercé (...) à l'égard des magistrats du parquet (...) par le garde des sceaux, ministre de la justice " figurant à l'article 48 de l'ordonnance du 22 décembre 1958.

6. Aux termes de l'article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. / Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. / Une loi organique porte statut des magistrats. / Les magistrats du siège sont inamovibles ". L'article 65 dispose que : " (...) La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme. / La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les magistrats du parquet. / La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. (...) / La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. (...) ". Ces dispositions de la Constitution organisent elles-mêmes une différence de traitement en matière disciplinaire entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet. Par suite, la requérante ne saurait utilement soutenir que, en n'instaurant pas pour les magistrats du parquet la même procédure disciplinaire que pour les magistrats du siège, les dispositions critiquées de l'ordonnance du 22 décembre 1958 méconnaitraient le principe d'égalité devant la loi, ni, en tout état de cause, un principe d'unité de la magistrature judiciaire.

7. Il résulte également de ces dispositions de la Constitution qu'il appartient au Conseil supérieur de la magistrature de donner un simple avis sur les sanctions disciplinaires qui concernent les magistrats du parquet. Par suite, Mme A...ne saurait utilement soutenir que les dispositions, citées au point 5, de l'article 48 méconnaîtraient le principe de séparation des pouvoirs et l'indépendance de l'autorité judiciaire, faute de prévoir un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

8. En confiant le pouvoir disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet au garde des sceaux, ministre de la justice, le législateur organique a tiré les conséquences des dispositions de la Constitution citées plus haut. Il n'a pas méconnu le principe de séparation des pouvoirs dès lors que l'exercice de ce pouvoir disciplinaire est entouré des garanties propres à assurer le respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire, notamment l'obligation pour le ministre de recueillir au préalable l'avis du Conseil supérieur de la magistrature ainsi que la possibilité pour le magistrat sanctionné de contester devant le juge de l'excès de pouvoir la légalité de la sanction prononcée par le garde des sceaux.

9. En dernier lieu, les dispositions de l'article 48 citées au point 5, dont le seul objet est de confier au garde des sceaux, ministre de la justice, le pouvoir disciplinaire à l'égard des magistrats du parquet, ne régissent pas la procédure disciplinaire. Par suite, Mme A...ne saurait utilement faire grief à ces dispositions d'avoir organisé une procédure disciplinaire méconnaissant le principe du respect des droits de la défense, le principe d'impartialité et le droit à un procès équitable.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MmeA....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 415334
Date de la décision : 12/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 déc. 2018, n° 415334
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415334.20181212
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