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12/12/2018 | FRANCE | N°409449

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 12 décembre 2018, 409449


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 409449, par une requête, enregistrée le 31 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCEA du Château Montel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 janvier 2017 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Sous le n° 409531, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 avri...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 409449, par une requête, enregistrée le 31 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCEA du Château Montel demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 janvier 2017 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 409531, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 avril et 3 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Collectif des vignerons du Pic Saint-Loup ", l'association " Collectif des vignerons du Pic Saint-Loup ", l'EARL Les Augustins, M. S...X..., M. R...G..., M. K...C..., M. C...-AI...U..., Mme M...Y..., M. J...O..., La SCEA Hubert Y...et Fils, M. T...AH..., M. C...-AK...AF..., M. A...V..., Mme E...AG..., l'EARL Ratier, M. F...AC..., Mme AA...B..., La SCEA Mas de Jon, M. L...H..., l'EARL Domaine Les Vigneaux, le GFR Freda, le GFR Les Augustins, M. AE...AD..., M. Q...AD..., M. C...-AJ...P..., M. S...AD..., M. W...D..., M. N...I...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 janvier 2017 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt modifiant le cahier des charges de l'appellation d'origine contrôlée " Languedoc " homologué par décret n° 2011-1508 du 10 novembre 2011 ;

2°) de mettre 5 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 409532, par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 3 avril, le 3 juillet et le 18 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Collectif des vignerons du Pic Saint-Loup ", l'EARL Les Augustins, M. S...X..., M. R...G..., M. K...C..., M. C...-AI...U..., Mme M...Y..., M. J...O..., La SCEA Hubert Y...et Fils, M. T... AH..., M. C...-AK...AF..., M. A...V..., Mme E...AG..., l'EARL Ratier, M. F...AC..., Mme AA...B..., La SCEA Mas de Jon, M. L...H..., l'EARL Domaine Les Vigneaux, le GFR Freda, le GFR Les Augustins, M. AE... AD..., M. Q...AD..., M. C...-AJ...P..., M. S...AD..., M. W...D..., M. N...I...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 31 janvier 2017 du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la consommation ;

- le décret n° 2011-1508 du 10 novembre 2011 ;

- l'arrêt du 28 juillet 2016 de la Cour de justice de l'Union européenne rendu dans l'affaire C-379/15 " Association France Nature Environnement " ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'institut national de l'origine et de la qualité, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Association Collectif des Vignerons du Pic Saint-Loup, de la Société Earl Les Augustins, de M. S...X..., de M. R...G..., de M. K...C..., de M. Z... U..., de Mme M...Y..., de M. J...O..., de la Société SCEA Hubert Y...et Fils, de M. T...AH..., de M. C...-AK...AF..., de M. A... V..., de Mme E...AG..., de la Société Earl Ratier, de M. F...AC..., de Mme AA...B..., de la Société Scea Mas De Jon, de M. L...H..., de la Société Earl Domaine Les Vigneaux, de la Société Gfr Freda, de la Société Gfr Les Augustins, de M. AE... AD..., de M. Q...AD..., de M. C...-AJ...P..., de M. S...AD..., de M. W... D...et de M. N...I...et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Q... AD..., de M. C...AJ...P..., de la Société Hubert Y...et Fils, de M. T... AH..., de la Société Les Augustins, de l'Association Collectif Des Vignerons du Pic Saint Loup, de M. C...AI...U..., de la Société Ratier, de la Société Mas De Jon et de la Société Domaine Les Vigneaux ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 novembre 2018, présentée dans l'affaire n° 409449 par l'INAO ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes n° 409449 et n° 409532 visées ci-dessus sont dirigées contre le même arrêté du 31 janvier 2017 homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pic Saint-Loup ". La requête n° 409531 est dirigée contre l'arrêté du 31 janvier 2017 modifiant le cahier des charges de l'AOC " Languedoc ", homologué par décret du 10 novembre 2011, pour tirer les conséquences de la création de l'appellation " Pic Saint-Loup " et présente à juger des questions connexes. Il y a lieu de joindre ces trois requêtes pour statuer par une seule décision.

Sur la requête n° 409532 dirigée contre l'arrêté du 31 janvier 2017 homologuant le cahier des charges relatif à l'AOC " Pic Saint-Loup " :

En ce qui concerne la procédure d'adoption de l'arrêté :

2. Les requérants soutiennent qu'en vertu de l'article L. 641-6 du code rural et de la pêche maritime, la reconnaissance d'une appellation d'origine est proposée par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) après avis de l'organisme de défense et de gestion et qu'en raison du manque de représentativité du syndicat de défense de l'appellation d'origine " Pic Saint-Loup ", la procédure d'adoption de l'arrêté attaqué aurait été entachée d'irrégularité. Toutefois, dans sa rédaction applicable à l'arrêté attaqué, le premier alinéa de l'article L. 641-6 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " La reconnaissance d'une appellation d'origine contrôlée est proposée par l'Institut national de l'origine et de la qualité, après avis du groupement d'opérateurs qui sollicite la reconnaissance en qualité d'organisme de défense et de gestion prévu à l'article L. 642-17 ". Les requérants se prévalant d'une rédaction de l'article L. 641-6 qui n'était plus applicable à la date de l'arrêté litigieux, ce moyen doit être écarté comme inopérant. Au demeurant, les requérants n'établissent pas en quoi la modification des statuts du syndicat de défense de l'appellation d'origine " Pic Saint-Loup " décidée par l'assemblée générale du 20 mars 2014 et, qui a maintenu un système de répartition des voix en proportion de la production, aurait fait perdre sa représentativité à ce syndicat.

En ce qui concerne l'aire parcellaire :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 93 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " 1. Aux fins de la présente section, on entend par : / a) "appellation d'origine", le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d'un pays, qui sert à désigner un produit visé à l'article 92, paragraphe 1, satisfaisant aux exigences suivantes : / i) sa qualité et ses caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ; (...) ". L'article L. 641-5 du code rural et de la pêche maritime dispose : " Peuvent bénéficier d'une appellation d'origine contrôlée les produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer, bruts ou transformés, qui remplissent les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 115-1 du code de la consommation, possèdent une notoriété dûment établie et dont la production est soumise à des procédures comportant une habilitation des opérateurs, un contrôle des conditions de production et un contrôle des produits ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 641-6 du même code : " La proposition de l'institut porte sur la délimitation de l'aire géographique de production, définie comme la surface comprenant les communes ou parties de communes propres à produire l'appellation d'origine, ainsi que sur la détermination des conditions de production qui figurent dans un cahier des charges ". Selon l'article R. 641-16 de ce code : " A l'intérieur de l'aire géographique délimitée par le cahier des charges d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, des zones affectées à l'une des phases de la production ou de l'élaboration ou de la transformation du produit peuvent être définies ". Enfin, aux termes de l'article L. 431-1 du code de la consommation substitué à l'article L. 115-1 auquel renvoie l'article L. 641-5 du code rural et de la pêche maritime cité ci-dessus : " Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative est tenue, pour déterminer l'aire géographique de production, de se fonder à la fois sur des facteurs naturels et des facteurs humains façonnant la qualité ou les caractères propres du produit désigné par l'appellation d'origine. Si, dans le cas d'une appellation d'origine d'un vin, l'autorité administrative décide, en application des dispositions de l'article R. 641-16 du code rural et de la pêche maritime prévoyant la possibilité de définir une zone affectée à l'une des phases de la production, de délimiter au sein de l'aire géographique de production une aire comprenant les seules parcelles de vignes aptes à produire le raisin exclusivement utilisé pour l'élaboration du vin objet de l'appellation, elle est en droit, en procédant à cette délimitation, d'exclure de celle-ci toute parcelle comprise dans l'aire géographique ne satisfaisant pas aux exigences découlant des seuls facteurs naturels retenus pour la délimitation de l'aire géographique.

5. Il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de la séance du 12 février 2015 du comité national de l'INAO et du rapport de la commission d'enquête sur l'instruction des réclamations, que l'aire parcellaire a été délimitée d'après les facteurs naturels suivants : critères de sols (privilégiant notamment les formations superficielles caillouteuses à éclats calcaires, et excluant les formations superficielles limoneuses sur marnes ou argiles) ; topographie (privilégiant notamment les situations de plateau, de banquette, de haut et de milieu de versant, et défavorisant les situations de bas de pente et de fond de talweg et les formes concaves) ; " méso-climat ", c'est-à-dire le climat à l'échelle de la parcelle (excluant notamment les parcelles gélives et celles où tendent à se former des brumes matinales) ; morphologie ; occupation des sols (excluant les zones urbanisées et les zones en forte probabilité de le devenir). Le moyen tiré de ce que l'arrêté ne se serait fondé que sur des ambitions futures pour l'appellation doit donc être écarté. En outre, il ne peut utilement être soutenu que les auteurs de l'arrêté ne se seraient pas conformés strictement aux usages préexistants.

6. En second lieu, les requérants soutiennent que la délimitation de l'aire parcellaire est entachée d'erreur d'appréciation et produisent à l'appui de ce moyen des rapports d'expert relatifs à des parcelles de M.H..., de M. I..., des domaines La Fournaca, Pech Tort et du Mas du Jon, de l'EARL Christian C...et de M.AB....

7. S'agissant des parcelles de " l'ilot 1 ", situées dans la commune des Matelles, il ressort des pièces du dossier que les parcelles numérotées C-164 à 166 sont orientées plein nord et sont situées en bordure d'une route départementale dont le talus fait obstacle à l'écoulement des eaux. Les autres parcelles de l'ilot 1 sont caractérisées par une localisation en point bas du vallon et par des colluvionnements importants. Au demeurant, M. H...n'a soulevé aucune réclamation contestant l'exclusion des parcelles de l'ilot 1 lors de la consultation publique conduite par la commission d'enquête du 19 juillet au 19 septembre 2013, se privant ainsi de la possibilité d'un examen contradictoire. S'agissant des parcelles de " l'ilot 2 " numérotées C-213, 214, 222 et 438, et de la partie non classée de la parcelle numérotée C-431, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'expertise réalisée pour le compte de l'INAO par deux experts de la géologie et des sols, qu'elles présentent des formations superficielles de silts sur argiles, ce qui a été confirmé par un second examen après réclamation et n'est pas remis en cause par les affirmations contraires de l'expert mandaté par les requérants. S'agissant de la parcelle C-402, partiellement classée dans l'aire parcellaire, il n'est pas contesté que, pour la partie non classée, elle présente une humidité trop forte, les arguments présentés par les requérants ne suffisant pas à remettre en cause la délimitation retenue. S'agissant de la parcelle AR55 située dans l'ilot 3, il ressort du rapport d'expert produit par les requérants qu'elle ne remplissait pas les critères de classement, la circonstance que la bordure des parcelles classées adjacentes ne les remplirait pas non plus ne suffisant pas, à la supposer exacte, à remettre en cause l'appréciation des auteurs de l'arrêté.

8. S'agissant des parcelles de M.I..., situées à Sauteyrargues, les parcelles D-51 à 53 sont situées en bordure d'une légère dépression comblée de formations essentiellement silteuses reposant sur des argiles et calcaires argileux. Au demeurant, elles n'appartenaient pas au périmètre de l'AOC " Languedoc " et n'ont pas fait l'objet de réclamations au cours de la consultation publique ayant précédé la création de l'AOC " Pic Saint-Loup ". Quant à la parcelle B-398, l'INAO soutient sans être utilement contredit qu'elle est située sur des formations silteuses sur un substrat argileux et présente une ressource en eau importante.

9. S'agissant des parcelles du domaine La Fournaca, situé à Claret, l'INAO soutient, sans être utilement contredit, qu'elles se trouvent sur des colluvions de bas de versant et de fonds de talweg. S'il ressort des pièces du dossier qu'une partie des parcelles litigieuses ne présentait pas les mêmes défauts, les auteurs de l'arrêté pouvaient, sans commettre d'erreur d'appréciation, décider de ne pas procéder à la partition des parcelles de faible superficie.

10. S'agissant des parcelles du domaine Pech Tort, situé à Valflaunès, au lieu-dit Le Barrou, et appartenant à MmeY..., il ressort tant du rapport de l'expert que des écritures de l'INAO qu'elles ne remplissent que partiellement les critères de classement, sont hétérogènes et présentent une faible charge caillouteuse et une certaine fertilité hydrique. Quant aux parcelles de ce domaine situées au lieu-dit Pech Sabatier, elles sont situées sur un secteur concave et frais, au fonds argileux et présentent une ressource hydrique importante.

11. S'agissant du domaine du Mas de Jon, situé à Fontanès, il ressort des pièces du dossier que, pour les parcelles numérotées A-2-90 à 96, il existe une pente faible mais significative entre la partie haute des parcelles, qui a été classée, et la partie basse, celle-ci se caractérisant en outre par l'accumulation d'éléments fins, silteux ou argileux. Pour les parcelles numérotées C-1-124 et 125, également classées de manière partielle, il est constant qu'elles sont situées sur un substrat de calcaires argileux et de marnes, avec des formations superficielles silteuses et argileuses. Ces parcelles présentent donc des caractéristiques justifiant leur exclusion partielle.

12. S'agissant du domaine de l'EARL ChristianC..., implanté à Claret, il ressort des pièces du dossier que les parcelles se situent à l'ouest de la ligne de crête, à une altitude supérieure à la très grande majorité des parcelles classées, et sont de ce fait exposées à un climat plus froid et à des vents plus importants. Parmi les critères retenus pour délimiter l'aire parcellaire, tels qu'ils ressortent du rapport de la commission d'enquête, il est prévu sous le critère de " paysage et morphologie " que la " crête qui borde le secteur à l'ouest domine le vignoble de 100 à 200 mètres et constitue son principal abri ", et que les vignes implantées au-delà de la ligne de crête se situent dans un autre milieu tant par ses caractéristiques morphologique, paysagère, climatique que par ses usages viticoles. L'exclusion de ces parcelles est donc cohérente avec les critères retenus pour délimiter l'aire parcellaire.

13. S'agissant du domaine de M.AB..., situé à Sauteyrargues, il est constant que les sols des parcelles des " ilots 1 et 2 " sont à substrat de marnes et que les formations superficielles ne sont pas caillouteuses. L'exclusion de ces parcelles est donc cohérente avec les critères retenus pour délimiter l'aire parcellaire.

14. Il résulte des points 7 à 13 que le moyen tiré de ce que la délimitation de l'aire parcellaire est entachée d'erreur d'appréciation doit être écarté.

En ce qui concerne les opérations de production :

15. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les prescriptions du cahier des charges relatives à la densité minimale en 5 500 pieds de vigne par hectare et à l'écartement maximal entre deux rangs de vigne de 2,25 mètres sont de nature à renforcer la qualité du vin, notamment par une vigueur et une production individuelle des souches plus faibles, une augmentation de la surface foliaire par hectare, une meilleure alimentation des raisins et une maturation plus précoce, et sont adaptées à la pluviométrie locale, plus importante que dans le reste du Languedoc. Si les études produites par les requérants montrent qu'un niveau de stress hydrique excessif nuit à la qualité du vin et que les épisodes de sécheresse devraient s'accroître au cours des prochaines décennies en raison du réchauffement climatique, il n'en ressort pas que les limites retenues par le cahier des charges, qui sont proches des recommandations faites par une commission d'experts de l'INAO sur la conduite du vignoble, seraient d'un niveau tel qu'elles feraient courir ce risque aux vignobles de l'appellation " Pic Saint-Loup ". Les auteurs de l'arrêté ont donc pu légalement retenir de telles règles.

16. En second lieu, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la prescription du cahier des charges selon laquelle les vins rouges doivent comporter une proportion de cépage Syrah d'au moins 50 % serait entachée d'erreur de droit au seul motif qu'elle méconnaîtrait les usages préexistants. Au surplus, il est constant qu'un usage de Syrah préexistait à l'adoption du cahier des charges contesté pour la dénomination " Pic Saint-Loup ", la création de l'AOC n'ayant conduit qu'à en relever la proportion minimale.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la requête n° 409532 doit être rejetée.

Sur les conclusions de la requête n° 409449 dirigées contre le même arrêté :

18. Eu égard aux termes dans lesquels est formulée la requête n° 409449 dirigée par la SCEA du Château-Montel contre l'arrêté homologuant le cahier des charges relatif à l'AOC " Pic Saint-Loup ", celle-ci doit être regardée comme tendant seulement à l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il homologue les dispositions du cahier des charges relatives à la définition et à la délimitation de l'aire de proximité immédiate.

19. En premier lieu, aux termes du a) du 1 de l'article 93 du règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " (...) on entend par appellation d'origine le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d'un pays, qui sert à désigner un produit (...) satisfaisant aux exigences suivantes :/ i) sa qualité et ses caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ;/ ii) il est élaboré exclusivement à partir de raisins provenant de la zone géographique considérée ; / iii) sa production est limitée à la zone géographique considérée (...) ". L'article 109 du même règlement a toutefois habilité la Commission à adopter, afin de tenir compte des spécificités de la production dans une zone géographique délimitée, des actes délégués en vue notamment d'établir des règles dérogatoires concernant la production dans cette zone géographique. L'article 6 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009, qui définit la production comme " toutes les opérations réalisées, depuis la récolte des raisins jusqu'à la fin du processus d'élaboration du vin, à l'exception des processus postérieurs à la production ", prévoit que, par dérogation au iii) du a) du 1 de l'article 93 du règlement n° 1308/2013 cité plus haut : " Sous réserve que le cahier des charges le prévoie, un produit bénéficiant d'une appellation d'origine protégée (...) peut être transformé en vin : / a) dans une zone à proximité immédiate de la zone délimitée concernée (...) ". La délimitation d'une aire de proximité immédiate doit être justifiée par des critères objectifs et rationnels, en rapport avec les facteurs naturels et humains de l'appellation d'origine, et n'introduire aucune différence de traitement entre producteurs qui ne corresponde à une différence de situation ou à un motif d'intérêt général en rapport avec les objectifs poursuivis.

20. Pour justifier le choix d'une aire de proximité immédiate de 515 communes pour les opérations d'élevage, les auteurs de l'arrêté attaqué se bornent à indiquer que ce périmètre correspond à celui de l'aire géographique de production de l'AOC " Languedoc ", sans se fonder sur des critères en rapport avec les facteurs naturels et humains propres à l'AOC " Pic Saint-Loup ". La société requérante est donc fondée à soutenir que l'arrêté est entaché d'erreur d'appréciation en tant qu'il prévoit une aire de proximité immédiate de cinq cent-quinze communes.

21. En revanche, il ressort des pièces du dossier, notamment du courrier adressé le 27 mars 2017 par le maire de Teyran à l'INAO et des chiffres communiqués par le ministère de l'agriculture et non contestés, que si la SCEA du Château-Montel revendique un usage de sa cave de vinification à Teyran (Gard) depuis 1873, elle n'a commercialisé sa première cuvée d'appellation " Languedoc " avec la dénomination complémentaire " Pic Saint-Loup " qu'en 1993, que la dénomination " Pic Saint-Loup " ne représentait que 5 % de sa production en 2015 et qu'elle est la seule société sur le territoire de la commune de Teyran à commercialiser du Pic Saint-Loup. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que des facteurs humains suffisants justifieraient l'inclusion de la commune de Teyran à titre pérenne dans l'aire de proximité immédiate. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que des facteurs humains suffisant justifieraient que l'aire de proximité immédiate couvre également les opérations de vinification, en plus des opérations d'élevage. En outre, s'agissant des opérations de vinification, l'absence d'aire de proximité immédiate se justifie par la nécessité de transformer au plus vite les raisins juste après la récolte afin de préserver leurs caractéristiques. Dès lors, le moyen tiré de ce que les auteurs de l'arrêté attaqué auraient commis une erreur d'appréciation en n'incluant pas la commune de Teyran dans l'aire de proximité immédiate et en ne prévoyant pas une telle aire pour les opérations de vinification doit être écarté.

22. En second lieu, selon l'article 96, paragraphe 3, du règlement du 17 décembre 2013 : " L'Etat membre mène une procédure nationale garantissant une publicité suffisante à la demande et prévoyant une période d'au moins deux mois à compter de la date de publication pendant laquelle toute personne physique ou morale ayant un intérêt légitime et établie ou résidant sur son territoire peut formuler son opposition à la proposition de protection en déposant auprès de l'État membre une déclaration dûment motivée (...) ". L'article R. 641-13 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, dispose : " La demande de reconnaissance d'une appellation d'origine, d'une indication géographique protégée ou d'une spécialité traditionnelle garantie est soumise à une procédure nationale d'opposition d'une durée de deux mois organisée par le directeur de l'Institut national de l'origine et de la qualité après avis du comité national compétent. / L'annonce de l'ouverture de cette procédure, de son objet et de son terme, est publiée au Journal officiel de la République française et au Bulletin officiel de la propriété industrielle. (...) / Les oppositions motivées sont adressées par écrit à l'Institut national de l'origine et de la qualité dans le délai de deux mois prévu pour la consultation. (...) / Les oppositions et, le cas échéant, l'avis de l'Institut national de la propriété industrielle sont notifiés par l'institut au demandeur qui dispose d'un délai de deux mois pour y répondre. La réponse est portée par l'institut à la connaissance de l'opposant qui dispose d'un délai de quinze jours pour formuler d'autres observations. / L'Institut national de l'origine et de la qualité notifie aux auteurs des oppositions les suites qui y ont été données ". Ces dispositions ont pour objet, d'une part, de permettre à chaque personne ayant un intérêt légitime de s'opposer de manière motivée au cahier des charges envisagé et, d'autre part, d'organiser un débat contradictoire entre l'opposant et le demandeur de la protection, afin d'éclairer l'INAO et les ministres dans l'exercice de leurs pouvoirs respectifs de proposition et d'homologation. Il en résulte que l'INAO, dans la proposition qu'il adresse aux ministres intéressés, ne peut apporter de modification qu'à la double condition qu'elle résulte des observations présentées lors de cette procédure et qu'elle n'affecte pas l'équilibre général du projet de cahier des charges tel qu'il a été soumis à la procédure nationale d'opposition.

23. Il ressort des pièces du dossier que le projet de cahier des charges soumis à la procédure nationale d'opposition, par un avis publié au Journal officiel de la République française du 3 juillet 2015, retenait une aire géographique de dix-sept communes situées dans les départements de l'Hérault et du Gard et ne prévoyait pas d'aire de proximité immédiate à titre pérenne. Le cahier des charges approuvé par l'arrêté attaqué comporte une aire de proximité immédiate pour l'élevage des vins à titre pérenne, constituée de cinq cent-quinze communes situées dans les départements de l'Aude, du Gard, de l'Hérault et des Pyrénées-Orientales. D'une part, le cahier des charges approuvé par l'arrêté attaqué autorise la réalisation d'opérations de transformation en dehors de la zone de production, ce que ne faisait pas le projet initial. D'autre part, cette modification étend de manière considérable l'aire dans laquelle il est possible de procéder aux opérations d'élevage pour l'appellation " Pic Saint-Loup ". Ce cahier des charges modifie l'économie générale du projet soumis à la procédure nationale d'opposition, et ne pouvait donc être approuvé par les ministres sans qu'une nouvelle procédure ne soit conduite.

24. Il n'est pas contesté que cette nouvelle version du cahier des charges n'a pas fait l'objet d'une seconde procédure nationale d'opposition. Ce vice de procédure, a entaché d'illégalité l'arrêté attaqué.

25. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté doit être annulé dans la mesure demandée par la requête n° 409449, telle qu'elle a été analysée au point 18 de la présente décision. En revanche, l'annulation de l'arrêté en tant que le cahier des charges qu'il homologue instaure une aire de proximité immédiate n'impliquant pas nécessairement, eu égard aux motifs d'annulation retenus, que l'auteur de l'arrêté instaure une nouvelle aire de proximité immédiate ayant la délimitation demandée dans la requête n° 409449, les conclusions à fin d'injonction présentées par la SCEA du Château-Montel ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions de la requête n° 409531 dirigées contre l'arrêté du 31 janvier 2017 modifiant le cahier des charges de l'AOC " Languedoc", homologué par le décret du 10 novembre 2011 :

26. L'arrêté contesté par la requête n° 409531 a pour objet de tirer les conséquences de la création de l'AOC " Pic Saint-Loup " en supprimant la dénomination complémentaire " Pic Saint-Loup " dans le cahier des charges de l'AOC " Languedoc ". La présente décision ne remettant pas en cause la création de l'AOC " Pic Saint-Loup ", les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation par voie de conséquence de l'arrêté contesté.

Sur la modulation dans le temps des effets de la décision d'annulation :

27. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine. S'agissant d'une annulation résultant d'une méconnaissance du droit de l'Union européenne, cette faculté ne peut être utilisée qu'à titre exceptionnel et en présence d'une nécessité impérieuse.

28. En l'espèce, les moyens accueillis aux points 20 et 24 de la présente décision sont tirés de la violation du droit de l'Union. Si les parties font valoir qu'à la date de la présente décision, 6 à 7 millions de bouteilles de vin rosé issues de la récolte 2017 ont déjà été mises en marché avec la mention de l'AOC " Pic Saint-Loup ", que les vins rouges de la récolte 2017 ont été mis en bouteille et étiquetés à compter de septembre ou d'octobre 2018 et que les vins de la récolte 2018 sont en cours d'élevage, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'effet rétroactif de l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il instaure une aire de proximité immédiate se heurterait à une considération impérieuse. Les conclusions tendant à ce que les effets de l'annulation soient modulés dans le temps doivent donc être rejetées.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la SCEA du Château Montel, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme demandée par l'association " Collectif des vignerons du Pic Saint-Loup " et autres.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêté du 31 janvier 2017 du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement, homologuant le cahier des charges relatif à l'appellation d'origine contrôlée " Pic Saint-Loup " est annulé en tant que le cahier des charges qu'il homologue instaure une aire de proximité immédiate.

Article 2 : L'Etat versera à la SCEA du Château Montel une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions des requêtes n° 409531 et 409532 et le surplus des conclusions de la requête n° 409449 sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCEA du Château Montel, à M. W...D..., représentant désigné de l'association "Collectif des vignerons du Pic Saint-Loup", premier dénommé pour l'ensemble des requérants sous les n°s 409531 et 409532, à l'Institut national de l'origine et de la qualité, au ministre de l'économie, au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Copie en sera communiquée au syndicat de défense de l'appellation d'origine Pic Saint-Loup.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 12 déc. 2018, n° 409449
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cytermann
Rapporteur public ?: M. Vincent Daumas
Avocat(s) : SCP DIDIER, PINET

Origine de la décision
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Date de la décision : 12/12/2018
Date de l'import : 18/12/2018

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 409449
Numéro NOR : CETATEXT000037802642 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2018-12-12;409449 ?
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