Vu la procédure suivante :
Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 19 octobre et le 23 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du conseil d'État, la Section française de l'observatoire international des prisons demande au conseil d'Etat, en application de l'article 23- 5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation de l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 34 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2019, notamment son article 34 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Raphaël Chambon, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section francaise de l'observatoire international des prisons ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. L'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 dispose que : " Les prévenus dont l'instruction est achevée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement peuvent bénéficier d'un rapprochement familial jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement ". Aux termes de l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale créé par le décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 pris pour son application, " Le directeur interrégional des services pénitentiaires, après avis conforme du magistrat saisi du dossier de la procédure, peut faire droit à la demande de rapprochement familial de la personne détenue prévenue dont l'instruction est achevée et qui attend sa comparution devant la juridiction de jugement. / Le ministre de la justice peut, dans les mêmes conditions, faire droit à une telle demande lorsqu'elle a pour effet le transfert : / 1° D'une personne détenue d'une direction interrégionale à une autre ; / 2° D'une personne inscrite au répertoire des détenus particulièrement signalés ; / 3° D'une personne prévenue pour acte de terrorisme ".
3. La Section française de l'observatoire international des prisons soutient que l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire méconnaît l'article 34 de la Constitution, en tant qu'il est entaché d'incompétence négative, porte atteinte au droit à un recours effectif, tel que garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, et au droit à mener une vie familiale normale protégé par l'alinéa 10 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dès lors, notamment qu'il n'est assorti d'aucune voie de recours effectif permettant de contester le refus opposé à la demande d'une personne détenue en prévention de bénéficier d'un rapprochement familial.
4. Alors même que le rapprochement familial d'une personne détenue en prévention dont l'instruction est achevée et qui attend sa comparution devant la juridiction de jugement est nécessairement subordonné, ainsi que le rappelle l'article R. 57-8-7 du code de procédure pénale précité, à l'accord du magistrat saisi du dossier de la procédure, la décision par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires ou le ministre de la justice refuse de l'accorder se rattache au fonctionnement du service public pénitentiaire et peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.
5. S'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une telle décision de refus de rapprochement familial, d'exercer un contrôle de légalité sur celle-ci, il ne lui appartient, dans l'hypothèse où ce refus ferait suite à l'avis conforme défavorable émis par le magistrat saisi du dossier de la procédure, ni d'examiner les moyens de forme ou de procédure invoqués à l'encontre de la régularité de cet avis ni de contrôler et de remettre en cause l'appréciation à laquelle s'est livrée le magistrat.
6. Les dispositions contestées sont applicables au présent litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'en ne prévoyant pas la possibilité de contester, le cas échéant, l'avis conforme défavorable au rapprochement familial émis par le magistrat saisi du dossier de la procédure, elles méconnaissent l'article 34 de la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a donc lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article 34 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de Section française de l'observatoire international des prisons jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité mentionnée à l'article 1er.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'observatoire international des prisons, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.