Vu la procédure suivante :
Par une décision du 27 juillet 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi de la requête de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 22 février 2014 portant extension d'un accord relatif à la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires des entreprises de travail temporaire, a sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur le point de savoir si les parties à l'accord du 10 juillet 2013 avaient compétence pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire.
Par un jugement n° 15/12932 du 15 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris s'est prononcé sur cette question.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 27 juillet 2015 ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;
- la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de la Fédération CFDT Services et à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de PRISM'EMPLOI.
Considérant ce qui suit :
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
1. Aux termes de l'article L. 2261-15 du code du travail : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, répondant aux conditions particulières déterminées par la sous-section 2, peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective (...) ". La légalité d'un arrêté ministériel prononçant l'extension d'un accord collectif de travail est nécessairement subordonnée à la validité de l'accord en cause.
2. Par l'accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires, les organisations syndicales signataires ont entendu permettre aux entreprises de travail temporaire de conclure avec certains de leurs salariés intérimaires un contrat à durée indéterminée couvrant l'exécution de l'ensemble des missions qui leur sont successivement confiées ainsi que les périodes dites " d'intermission " pendant lesquelles ces salariés demeurent.disponibles pour l'exécution de nouvelles missions et sont rémunérés à cet effet Les organisations signataires ont, en conséquence, aménagé l'application des dispositions des articles L. 1251-1 et suivants du code du travail afin de les adapter à un régime de contrat à durée indéterminée et d'exclure, en particulier, l'application de celles d'entre elles qui sont inhérentes à l'exécution d'un contrat à durée déterminée.
3. Saisi d'une requête présentée par la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 22 février 2014 portant extension de cet accord, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par une décision du 27 juillet 2015, sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Paris se soit prononcé sur le point de savoir si les parties à l'accord du 10 juillet 2013 avaient compétence pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire.
4. La Cour de cassation, annulant sans renvoi le jugement rendu le 15 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Paris sur cette question, a, par un arrêt du 12 juillet 2018, jugé que l'accord collectif du 10 juillet 2013, en instaurant le contrat à durée indéterminée intérimaire permettant aux entreprises de travail temporaire d'engager, pour une durée indéterminée, certains travailleurs intérimaires, avait créé une catégorie nouvelle de contrat de travail, dérogeant aux règles d'ordre public absolu qui régissent, d'une part, le contrat de travail à durée indéterminée, d'autre part, le contrat de mission, et fixé, en conséquence, des règles qui relèvent de la loi, ce dont elle a déduit que les parties à l'accord du 10 juillet 2013 n'avaient pas compétence pour prévoir la conclusion d'un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions de travail temporaire.
5. Il est vrai que, par des dispositions applicables aux contrats conclus jusqu'au 31 décembre 2018, l'article 56 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi a prévu qu'une entreprise de travail temporaire pouvait conclure avec un salarié un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions successives et précisé le régime de ce contrat. Le I de l'article 116 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a ensuite introduit dans le code du travail des articles L. 1251-58-1 à L. 1251-58-8 qui, de façon pérenne, prévoient cette même faculté et précisent les dispositions applicables au " contrat de travail à durée indéterminée intérimaire ". En outre, le II de cet article 116 dispose que : " Les contrats de travail à durée indéterminée intérimaires conclus entre le 6 mars 2014 et le 19 août 2015 sur le fondement du chapitre Ier de l'accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires sont présumés conformes à l'article 56 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, sans préjudice des contrats ayant fait l'objet de décisions de justice passées en force de chose jugée ". Toutefois, si, par ces dispositions, le législateur a entendu éviter que puissent être remis en cause, faute de base légale, les contrats conclus sur le fondement de l'accord du 10 juillet 2013 entre la date d'entrée en vigueur de l'arrêté attaqué procédant à son extension et celle de la loi du 17 août 2015 ouvrant aux entreprises de travail temporaire la possibilité de conclure avec un salarié un contrat à durée indéterminée pour l'exécution de missions successives, il n'en résulte pas que le moyen tiré de ce que le ministre chargé du travail ne pouvait légalement étendre un accord créant une nouvelle catégorie de contrat de travail à durée indéterminée, sans habilitation législative à cet effet, et excluant l'application de dispositions d'ordre public du code du travail relatives au travail intérimaire ne puisse plus être utilement soulevé devant le juge de l'excès de pouvoir.
6. Il suit de là que la CGT-FO est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 22 février 2014 par lequel le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a prononcé l'extension de l'accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires des entreprises de travail temporaire, dont les stipulations ne sont pas divisibles. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens de la requête.
Sur les effets de l'annulation prononcée :
7. Il résulte des dispositions de l'article 56 de la loi du 17 août 2015 et de l'article 116 de la loi du 5 septembre 2018 mentionnées au point 5 que, d'une part, les contrats à durée indéterminée intérimaires conclus entre l'entrée en vigueur de l'arrêté attaqué et celle de la loi du 17 août 2015 sont présumés conformes à l'article 56 de cette loi et que, d'autre part, la validité de ceux conclus à compter de l'entrée en vigueur de cette dernière ne pourra être remise en cause que pour autant qu'ils méconnaissent les dispositions du code du travail telles qu'elles ont été adaptées par cette loi puis par celle du 5 septembre 2018. Dès lors, la disparition rétroactive de l'arrêté du 22 février 2014 ne peut être regardée comme ayant, sur les contrats de travail conclus antérieurement à la date de la présente décision, des conséquences manifestement excessives de nature à justifier une limitation dans le temps des effets de son annulation en tant qu'il porte extension des stipulations de l'accord du 10 juillet 2013 relatives aux contrats à durée indéterminée intérimaires.
8. En revanche, il ressort des pièces du dossier que la disparition rétroactive des dispositions de l'arrêté du 22 février 2014 en tant qu'il porte extension des stipulations de l'article 5 de l'accord du 10 juillet 2013, relatif au fonds de sécurisation des parcours des intérimaires, essentiellement destiné à financer des actions de formation au profit des salariés intérimaires et alimenté par des cotisations assises sur les salaires versés à ces salariés, susceptibles de contestation dans le délai de prescription, aurait des conséquences manifestement excessives de nature à justifier une limitation dans le temps des effets de leur annulation. Dans ces conditions, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les effets produits antérieurement à cette annulation par l'arrêté attaqué en tant qu'il étend les stipulations de l'article 5 de l'accord du 10 juillet 2013 doivent être réputés définitifs.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la CGT-FO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux demandes de la Fédération CFDT Services et de PRISM'EMPLOI présentées au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 22 février 2014 portant extension d'un accord relatif à la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires des entreprises de travail temporaire est annulé.
Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les effets produits, antérieurement à cette annulation, par l'arrêté du 22 février 2014 en tant qu'il étend les stipulations de l'article 5 de l'accord du 10 juillet 2013 sont regardés comme définitifs.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à la Confédération générale du travail - Force ouvrière.
Article 4 : Les conclusions de la Fédération CFDT Services et de PRISM'EMPLOI présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à la Fédération des employés et cadres Force ouvrière, à la Fédération CFDT Services, à la Fédération nationale de l'encadrement du commerce et des services (FNECS CFE-CGC), à la Fédération CFTC commerce, services et force de vente (CSFV CFTC), à PRISM'EMPLOI et à la ministre du travail.