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26/11/2018 | FRANCE | N°413404

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 26 novembre 2018, 413404


Vu la procédure suivante :

La société 8 avenue d'Eylau - 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, d'une part, de la contribution annuelle représentative du droit au bail à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2009 à 2012, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012. Par un jugement n° 1513296/1-2 du 4 octobre 2016, le tribunal a prononcé la décharge des co

tisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en litige et rejeté le ...

Vu la procédure suivante :

La société 8 avenue d'Eylau - 7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, d'une part, de la contribution annuelle représentative du droit au bail à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2009 à 2012, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012. Par un jugement n° 1513296/1-2 du 4 octobre 2016, le tribunal a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en litige et rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 17PA00411 du 20 juin 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement, en tant qu'il a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés en litige.

Par un pourvoi, enregistré le 14 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, auditeur,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société de droit luxembourgeois Eylau-Raymond Poincaré Paris 75016 SARL a acquis le 30 septembre 2005 trois immeubles à Paris 16ème, situés 8, avenue d'Eylau et 7 et 11, avenue Raymond Poincaré, aux prix de 6 256 500 euros, 2 500 000 euros et 7 000 000 euros. Par un acte du 29 août 2008, cette société a, dans le cadre d'une opération de fusion, fait apport de ces trois immeubles à la société de droit danois 8 avenue d'Eylau - 7/11 av. Raymond Poincaré Paris 16ème APS, pour des valeurs de 5 774 103 euros, 2 403 330 euros et 6 782 280 euros. La société de droit danois a procédé à une réévaluation libre de ces immeubles en décembre 2008 avant de les affecter à sa succursale française, immatriculée le 29 juin 2009 au registre du commerce et des sociétés de Paris, qui les a inscrits à l'actif de son bilan pour leurs valeurs réévaluées, soit 14 399 880 euros, 5 365 410 euros et 14 154 900 euros. A l'occasion d'une vérification de la comptabilité de la succursale française entreprise au titre des exercices clos les 30 juin 2009, 2010, 2011 et 2012, l'administration fiscale a notamment remis en cause les dotations aux amortissements auxquelles cette succursale a procédé à raison des trois immeubles dont elle était propriétaire, ainsi que le montant des plus-values et moins-values réalisées au titre de l'exercice clos le 30 juin 2011 à l'occasion de la cession le 16 décembre 2010 de deux des immeubles, au motif que leur valeur d'inscription à l'actif du bilan excédait leur valeur vénale. La société a contesté le surplus d'impôt sur les sociétés en résultant. Par un jugement du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande de décharge des impositions supplémentaires en litige. Ce jugement a été confirmé par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 20 juin 2017, contre lequel le ministre se pourvoit en cassation.

En ce qui concerne les impositions supplémentaires mises à la charge de la société au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012 :

2. Aux termes de l'article L. 123-18 du code de commerce : " A leur date d'entrée dans le patrimoine de l'entreprise, les biens acquis à titre onéreux sont enregistrés à leur coût d'acquisition, les biens acquis à titre gratuit à leur valeur vénale et les biens produits à leur coût de production. (...) / La plus-value constatée entre la valeur d'inventaire d'un bien et sa valeur d'entrée n'est pas comptabilisée. S'il est procédé à une réévaluation de l'ensemble des immobilisations corporelles et financières, l'écart de réévaluation entre la valeur actuelle et la valeur nette comptable ne peut être utilisé à compenser les pertes ; il est inscrit distinctement au passif du bilan ". Aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré ".

3. Il résulte de ces dispositions que, si une entreprise a la faculté de procéder à une réévaluation libre de ses actifs, elle est tenue de les inscrire à son bilan à leur valeur actuelle, telle qu'évaluée à la date à laquelle elle procède à cette opération. Lorsque la valeur retenue par le contribuable ne correspond pas à la valeur vénale des actifs en cause, l'administration est fondée à corriger la valeur d'inscription au bilan et à tirer toutes les conséquences de cette erreur comptable pour la détermination du bénéfice imposable au titre des exercices non prescrits, qu'il s'agisse des montants des dotations aux amortissements auxquelles il a été procédé ou de la détermination du montant des plus-values ou moins-values constatées lors de la cession ultérieure de l'élément d'actif concerné. La preuve du caractère erroné de la valeur d'inscription au bilan d'une immobilisation incombe en principe à l'administration. Toutefois, conformément à la règle rappelée par les dispositions de l'article R.194-1 du livre des procédures fiscales, lorsque le contribuable faisant l'objet d'une procédure contradictoire de rectification s'est abstenu de présenter des observations dans le délai de trente jours qui lui était imparti, il lui incombe d'établir le caractère erroné de la valeur retenue par l'administration.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration a remis en cause la valeur comptable des trois immeubles inscrits en 2009 à l'actif de la société 8 avenue d'Eylau - 7/11 avenue Raymond Poincaré, au motif qu'elle ne correspondait pas à leur valeur vénale. Elle en a tiré les conséquences fiscales au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012 en procédant à la correction des montants des dotations aux amortissements et des plus-values et moins-values constatées à l'occasion de la cession de deux des trois immeubles, ce dont elle a informé le contribuable par une proposition de rectification du 8 mars 2013, à la suite de laquelle la société 8 avenue d'Eylau - 7/11 avenue Raymond Poincaré n'a pas présenté d'observations dans le délai de 30 jours prévu par l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.

5. En jugeant qu'il appartient dans tous les cas à l'administration de démontrer le caractère exagéré de la valeur d'un élément d'actif immobilisé retenue par le contribuable, quelle que soit la procédure d'imposition et qu'était à cet égard sans incidence la circonstance que ce dernier se soit abstenu de répondre à la proposition de rectification, alors même qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus au point 4 que la décision de l'administration ne procédait pas de la remise en cause d'un acte anormal de gestion, la cour a méconnu les règles rappelées aux points 2 et 3 et ainsi entaché son arrêt d'une erreur de droit. Le ministre est, par suite, fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que la cour a statué sur les impositions supplémentaires relatives aux exercices clos les 30 juin 2010, 2011 et 2012.

En ce qui concerne les impositions supplémentaires mises à la charge de la société au titre de l'exercice clos le 30 juin 2009 :

6. Pour juger que le ministre n'établissait par le caractère erroné de la valeur d'inscription des trois immeubles en cause à l'actif du bilan de la société et écarter, par suite, ses prétentions, la cour s'est fondée, d'une part, sur ce que les immeubles retenus par l'administration comme termes de comparaison avaient fait l'objet de mutations dans un contexte immobilier différent, marqué par une tendance haussière forte, et, d'autre part, sur ce que le seul immeuble pris comme terme de comparaison cédé à une date suffisamment proche des inscriptions en litige, situé 15, avenue Raymond Poincaré à Paris 16ème, faisait apparaitre un prix au mètre carré supérieur à celui auquel la société défenderesse avait inscrit les deux immeubles qu'elle possédait, situés aux 7 et 11 de cette même avenue, et très légèrement inférieur à celui auquel elle avait inscrit à son bilan l'immeuble qu'elle possède au 8, avenue d'Eylau. Si le ministre soutient que la cour aurait inexactement qualifié les faits de l'espèce en regardant comme non pertinents les termes de comparaison retenus par le service vérificateur et comme exactes les valeurs d'inscription des immeubles à l'actif des sociétés, la cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine qui n'est pas arguée de dénaturation. Le moyen du ministre ne peut, par suite, qu'être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant que la cour a statué sur les conclusions de la requête relatives aux exercices clos en 2010, 2011 et 2012.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 20 juin 2017 est annulé en tant qu'il statue sur les impositions supplémentaires relatives aux exercices clos en 2010, 2011 et 2012.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Paris.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du ministre est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à la société 8 avenue d'Eylau-7/11 avenue Raymond Poincaré Paris 75016 APS.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 413404
Date de la décision : 26/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-02-01-04-01 CONTRIBUTIONS ET TAXES. RÈGLES DE PROCÉDURE CONTENTIEUSE SPÉCIALES. QUESTIONS COMMUNES. DIVERS. - CAS OÙ L'ADMINISTRATION CORRIGE LA VALEUR D'INSCRIPTION AU BILAN D'UNE IMMOBILISATION - CORRECTION PROCÉDANT NÉCESSAIREMENT DE LA REMISE EN CAUSE EN CAUSE D'UN ACTE ANORMAL DE GESTION - ABSENCE - PREUVE DU CARACTÈRE ERRONÉ DE CETTE INSCRIPTION INCOMBANT NÉCESSAIREMENT À L'ADMINISTRATION - ABSENCE.

19-02-01-04-01 Société procédant à une réévaluation libre d'actifs. Administration fiscale corrigeant la valeur actuelle retenue par le contribuable au motif qu'elle ne correspond pas à la valeur vénale, et tirant les conséquences fiscales de cette erreur comptable.... ,,Entache son arrêt d'erreur de droit une cour qui juge qu'il appartient dans tous les cas à l'administration de démontrer le caractère exagéré de la valeur d'un élément d'actif immobilisé retenue par le contribuable, quelle que soit la procédure d'imposition et qu'est à cet égard sans incidence la circonstance que ce dernier se soit abstenu de répondre à la proposition de rectification, alors même que la décision de l'administration ne procède pas de la remise en cause d'un acte anormal de gestion.


Publications
Proposition de citation : CE, 26 nov. 2018, n° 413404
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville
Rapporteur public ?: M. Romain Victor

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:413404.20181126
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