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21/11/2018 | FRANCE | N°412741

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 21 novembre 2018, 412741


Vu la procédure suivante :

D'une part, M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 décembre 2012 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice l'a affecté à la maison centrale d'Arles, ainsi que l'ordre de transfèrement pris pour son application exécuté le 6 décembre 2012, et d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice, de l'affecter et de le transférer dans un établissement pénitentiaire situé en Corse.

D'autre part, M. B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 11 juille

t 2013, exécutée le lendemain, par laquelle le garde des Sceaux, ministre d...

Vu la procédure suivante :

D'une part, M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 3 décembre 2012 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice l'a affecté à la maison centrale d'Arles, ainsi que l'ordre de transfèrement pris pour son application exécuté le 6 décembre 2012, et d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice, de l'affecter et de le transférer dans un établissement pénitentiaire situé en Corse.

D'autre part, M. B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 11 juillet 2013, exécutée le lendemain, par laquelle le garde des Sceaux, ministre de la justice a décidé de le changer d'affectation et a ordonné son transfèrement de la maison centrale d'Arles au centre pénitentiaire de Réau et d'enjoindre au garde des Sceaux, ministre de la justice de l'affecter et de le transférer dans un établissement pénitentiaire situé en Corse.

Par un jugement nos 1301696-1312362 du 23 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 15PA00891 du 24 mai 2017, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 juillet et 24 octobre 2017 et le 27 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laure Durand-Viel, auditeur,

- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M.B....

1. M. A...B...a été condamné par la cour d'assises de Paris le 20 juin 2011 à une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Le pourvoi qu'il avait formé contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation le 11 juillet 2012. Incarcéré au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède depuis le 30 août 2011, M. B...a été admis du 21 octobre au 2 décembre 2012 au centre national d'évaluation du centre pénitentiaire sud-francilien à Réau (Seine-et-Marne). A l'issue de son évaluation, le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a affecté, le 3 décembre 2012, à la maison centrale d'Arles (Bouches-du-Rhône). Le garde des sceaux, ministre de la justice a ensuite ordonné, par une décision du 11 juillet 2013, son affectation au centre pénitentiaire sud-francilien de Réau en quartier " maison centrale ". Par un jugement du 23 décembre 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation, d'une part, de la décision du 3 décembre 2012 ordonnant son affectation à la maison centrale d'Arles et de l'ordre de transfèrement subséquent, d'autre part, de la décision du 11 juillet 2013 ordonnant son affectation et son transfert au centre pénitentiaire de Réau. La cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre ce jugement par un arrêt du 24 mai 2017 contre lequel il se pourvoit en cassation.

Sur l'arrêt en tant qu'il porte sur les décisions d'affectation et de transfèrement à la maison centrale d'Arles :

2. Les décisions d'affectation consécutives à une condamnation, les décisions de changement d'affectation d'une maison d'arrêt à un établissement pour peines ainsi que les décisions de changement d'affectation entre établissements de même nature constituent des mesures d'ordre intérieur insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus.

3. Dès lors, la cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que le tribunal administratif de Paris avait à bon droit rejeté comme irrecevables les conclusions dirigées contre la décision du 3 décembre 2012 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a affecté l'intéressé à la maison centrale d'Arles au motif qu'une telle décision n'était pas, par elle-même et en l'absence de circonstances particulières, de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie familiale tel qu'il est garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, c'est sans erreur de droit qu'après avoir jugé que la décision litigieuse ne portait pas atteinte aux droits fondamentaux de l'intéressé, elle a écarté comme inopérants les moyens dirigés contre cette décision tirés de la méconnaissance des stipulations du premier paragraphe de l'article 6 de la même convention relatives au droit à accéder à un tribunal et de son article 13 relatives au droit à un recours effectif.

Sur l'arrêt en tant qu'il porte sur la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau :

4. Aux termes de l'article 717-1-1 du code de procédure pénale : " Le juge de l'application des peines donne son avis, sauf urgence, sur le transfert des condamnés d'un établissement à l'autre. " Aux termes du troisième alinéa de l'article D. 82-1 du même code : " La décision de changement d'affectation est prise, sauf urgence, après avis du juge de l'application des peines et du procureur de la République du lieu de détention. ". Pour écarter le moyen présenté par M. B...tiré de ce que la décision d'affectation litigieuse avait été prise au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédée des consultations obligatoires prévues par les articles 717-1-A et D. 82-1 du code de procédure pénale, notamment celle du juge d'application des peines, la cour s'est fondée sur ce que ce moyen n'était pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. En statuant ainsi alors que, si le requérant invoquait par erreur l'article 717-1-A qui ne prévoit aucune consultation, il ressortait sans ambiguïté de son argumentation qu'il entendait en réalité se référer à l'article 717-1-1, ainsi d'ailleurs qu'il est indiqué dans les visas de l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a méconnu la portée des écritures du requérant.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que M. B...n'est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué qu'en tant qu'il rejette les conclusions dirigées contre le jugement attaqué en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la décision d'affectation et de transfert au centre pénitentiaire de Réau. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau :

6. Pour se prononcer sur une requête, assortie d'allégations sérieuses, dirigée contre une décision d'affectation et de transfèrement justifiée par un motif d'ordre public, le juge de l'excès de pouvoir doit être en mesure d'apprécier, à partir d'éléments précis, le bien-fondé du motif retenu par l'administration. Il appartient en conséquence à celle-ci de verser au dossier, dans le respect des exigences liées à la sécurité publique, les renseignements nécessaires pour que le juge statue en pleine connaissance de cause. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une telle requête, d'ordonner la production des éléments qui peuvent être versés au dossier dans le respect des exigences liées à la sécurité publique.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif qu'en réponse aux arguments de M. B...faisant valoir que la décision d'affectation et de transfèrement à Réau, compte tenu notamment de l'éloignement de ce centre pénitentiaire par rapport à son domicile familial et du régime de visites restrictif qui y est appliqué, portait une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale, le garde des sceaux, ministre de la justice s'est borné en défense à faire valoir que le motif d'ordre public retenu par l'administration était corroboré par " l'existence de plusieurs informations concordantes, attestant de l'existence de préparatifs d'évasion par le requérant " en indiquant que l'administration pénitentiaire, en raison de l'ouverture d'une enquête pénale sur ces faits, ne pouvait communiquer la teneur de ces informations. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en se fondant sur ces seules déclarations très générales et dépourvues de toute précision ainsi que sur le profil pénal du requérant pour écarter le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise l'administration en prenant la décision litigieuse, le tribunal a méconnu son office.

8. Il résulte de ce tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête d'appel, que M. B...est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant seulement qu'il se prononce sur la demande d'annulation de la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau. Il y a lieu d'évoquer dans cette limite et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B...devant le tribunal administratif de Paris tendant à l'annulation de la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 11 juillet 2013.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions tendant à l'annulation de la décision d'affectation et de transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau :

9. Ainsi qu'il a été dit au point 2, une décision de changement d'affectation d'un établissement pénitentiaire vers un établissement de même nature ne constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, et non une mesure d'ordre intérieur, que si sont en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus. La décision de transfèrement de M. B...de la maison centrale d'Arles vers le quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau, qui est un établissement de même nature situé à environ 700 kilomètres de celui-ci, a eu pour effet d'accroître significativement son éloignement du domicile de son épouse et de leur fils, situé près d'Ajaccio, et donc de compliquer leurs visites dans des conditions rendant plus difficile l'exercice de son droit au respect de sa vie familiale, compte tenu notamment des faibles ressources de son épouse, allocataire du revenu de solidarité active et en charge de trois enfants mineurs. Dans les circonstances de l'espèce, cette décision doit être regardée comme mettant en cause le droit fondamental du détenu à une vie familiale. Par suite, cette décision fait grief à M. B...et les conclusions tendant à son annulation sont recevables. La fin de non-recevoir opposée par le ministre doit donc être écartée.

En ce qui concerne la légalité externe de cette décision :

10. En premier lieu, d'une part, aux termes des deuxième à cinquième alinéas de l'article D. 82 du même code : " La décision de changement d'affectation appartient au ministre de la justice, dès lors qu'elle concerne : / 1° Un condamné dont il a décidé l'affectation dans les conditions du deuxième alinéa de l'article D. 80 et dont la durée de l'incarcération restant à subir est supérieure à trois ans, au jour où est formée la demande visée au premier alinéa ; / 2° Un condamné à raison d'actes de terrorisme tels que prévus et réprimés par les articles 421-1 à 421-5 du code pénal ; / 3° Un condamné ayant fait l'objet d'une inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, prévu par l'article D. 276-1 (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 717-1-1 du code de procédure pénale : " Dans l'année qui suit sa condamnation définitive, la personne condamnée à une peine de réclusion criminelle d'une durée égale ou supérieure à quinze ans pour l'une des infractions visées à l'article 706-53-13 est placée, pour une durée d'au moins six semaines, dans un service spécialisé permettant de déterminer les modalités de la prise en charge sociale et sanitaire au cours de l'exécution de sa peine. Au vu de cette évaluation, le juge de l'application des peines définit un parcours d'exécution de la peine individualisé. (...) ". Ces dispositions, relatives aux attributions du juge d'application des peines en matière d'individualisation du parcours d'exécution de la peine, n'ont ni pour objet ni pour effet de donner à celui-ci compétence pour décider de l'affectation des détenus dans les différents établissements pénitentiaires.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a été condamné définitivement en 2012 à une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté jusqu'en 2021 et qu'il a fait l'objet d'une inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés. Par conséquent, en vertu des dispositions précitées de l'article D. 82 du code de procédure pénale, le garde des sceaux, ministre de la justice était seul compétent pour décider d'une modification de son affectation. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit être écarté.

12. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, alors en vigueur : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) - subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions (...) ". La décision litigieuse n'entre dans aucune des catégories d'actes qui doivent être motivés en application de ces dispositions et, par suite, n'est pas au nombre des décisions mentionnées à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, qui ne peuvent intervenir qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter ses observations, à l'exception notamment des cas d'urgence. Dès lors, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse n'est pas motivée et que l'intéressé n'a pas été mis à même de présenter ses observations doivent être écartés comme inopérants.

13. En troisième lieu, l'article 717-1-1 du code de procédure pénale dispose que " Le juge de l'application des peines donne son avis, sauf urgence, sur le transfert des condamnés d'un établissement à l'autre. ". Le troisième alinéa de l'article D. 82-1 du même code prévoit que " La décision de changement d'affectation est prise, sauf urgence, après avis du juge de l'application des peines et du procureur de la République du lieu de détention. ".

14. Il est constant que le juge d'application des peines et le procureur de la République du lieu de détention n'ont pas rendu d'avis sur la décision litigieuse. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le transfert litigieux a été motivé par des soupçons de préparatifs d'évasion résultant notamment d'informations transmises à l'administration pénitentiaire que le ministre relate de façon circonstanciée dans ses écritures devant le Conseil d'Etat tout en maintenant l'anonymat des sources pour des raisons de sécurité. Ces soupçons ont conduit à la saisine du parquet antiterroriste et à l'ouverture d'une enquête pénale. Eu égard au profil du détenu, condamné notamment pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, et à ces éléments laissant craindre la réalisation imminente d'un projet d'évasion, la condition d'urgence prévue aux articles 717-1-1 et D. 82-1 du code de procédure pénale doit être regardée comme satisfaite. Par suite, le moyen tiré de l'absence d'avis du juge d'application des peines et du procureur de la République sur le transfèrement litigieux doit être écarté.

Quant à la légalité interne de cette décision :

15. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

16. D'une part, ces stipulations, telles qu'interprétées par la Cour européenne des droits de l'Homme, n'imposent pas, par la seule mention du terme de " loi ", que l'ingérence de l'autorité publique dans l'exercice du droit qu'elles consacrent soit prévue par un texte de nature législative au sens donné à cette catégorie d'actes normatifs par la Constitution, mais seulement qu'elle trouve son fondement dans une norme claire, accessible et prévisible. Les dispositions de l'article D. 82 du code de procédure pénale, et notamment celles de son dernier alinéa qui disposent que " L'affectation ne peut être modifiée que s'il survient un fait ou un élément d'appréciation nouveau ", alors même qu'elles ne déterminent pas l'ensemble des hypothèses, par nature contingentes, dans lesquelles le ministre peut décider de procéder à un changement d'affectation d'un détenu dans de telles circonstances, apportent aux pouvoirs de ce ministre une limite effective, sous le contrôle du juge administratif, permettant d'en prévenir l'usage arbitraire. Il s'ensuit que le garde des sceaux, ministre de la justice a pu légalement, sans méconnaître les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, se fonder sur les dispositions du dernier alinéa de l'article D. 82 du code de procédure pénale pour prendre la décision de changement d'affectation litigieuse eu égard à l'élément d'appréciation nouveau que constituaient les soupçons de préparatifs d'évasion.

17. D'autre part, si la décision litigieuse est de nature à rendre plus difficiles les visites de la famille de M. B...pour les motifs indiqués au point 9, il ressort des pièces du dossier que son transfèrement vers le centre pénitentiaire de Réau a été motivé par la suspicion de préparatifs d'une évasion de la maison centrale d'Arles. Dans ces circonstances, et alors que la décision litigieuse n'a pas pour effet de rendre impossibles les visites de sa famille à M.B..., le moyen tiré de ce que la décision litigieuse porterait une atteinte disproportionnée au droit qu'il tire de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

18. En deuxième lieu, aux termes de l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : " (...) 3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. " Aux termes de l'article 1er de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Le régime d'exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions. ". Aux termes de l'article 707 du code de procédure pénale : " Sur décision ou sous le contrôle des autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. / L'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive (...). ". Aux termes de l'article D. 71 du code de procédure pénale : " Les maisons centrales et les quartiers maison centrale comportent une organisation et un régime de sécurité renforcé dont les modalités internes permettent également de préserver et de développer les possibilités de réinsertion sociale des condamnés. ". Aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale : " A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale. ".

19. M. B...soutient que la décision de changement d'affectation litigieuse a été prise en violation de l'obligation pesant sur l'administration pénitentiaire de préparer sa réinsertion, eu égard aux conditions de détention dans le quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il ne pourrait pas y bénéficier d'une formation, d'un emploi ou d'un classement en tant que " détenu auxiliaire ". Dès lors, cette décision, qui ne méconnaît pas par elle-même son projet de réinsertion, n'a été prise en méconnaissance ni des stipulations précitées de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni des dispositions de l'article 1er de la loi susvisée du 24 novembre 2009 et des articles 707, D. 71 et D. 189 du code de procédure pénale.

20. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 14 de la présente décision que l'administration disposait d'informations relatives à des soupçons de préparatifs d'évasion de l'intéressé de la maison centrale d'Arles qui, à la date de la décision litigieuse, étaient de nature à rendre ces soupçons suffisamment crédibles, alors même que l'enquête sur un éventuel projet d'évasion a par la suite été classée sans suite faute d'éléments de nature à permettre des poursuites pénales. Par suite, le garde des sceaux, ministre de la justice a pu sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation se fonder sur ces informations pour décider, afin de prévenir le risque d'une telle évasion, de transférer M. B...vers un autre établissement pénitentiaire de même nature.

21. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 20 que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 11 juillet 2013 du garde des sceaux, ministre de la justice ordonnant son affectation et son transfèrement au quartier " maison centrale " du centre pénitentiaire de Réau. Ses conclusions de première instance, y compris aux fins d'injonction, doivent être rejetées en tant qu'elles concernent cette décision.

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par M. B...soient mises à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 24 mai 2017 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B...relatives à la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 11 juillet 2013.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 23 décembre 2014 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. B...relatives à la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 11 juillet 2013.

Article 3 : Les conclusions de M. B...dirigées contre la décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 11 juillet 2013 sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M.B..., y compris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 412741
Date de la décision : 21/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2018, n° 412741
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Laure Durand-Viel
Rapporteur public ?: Mme Julie Burguburu
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:412741.20181121
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