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24/10/2018 | FRANCE | N°404817

France | France, Conseil d'État, 4ème chambre, 24 octobre 2018, 404817


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée 2 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 150 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi, d'une part du fait de la durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative et, d'autre part, du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice et des fautes qu'il impute au ministre de la défense et au ministre des affaires étrangères dans l'instructio

n de sa demande de détachement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la s...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée 2 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat :

1°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 150 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi, d'une part du fait de la durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative et, d'autre part, du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice et des fautes qu'il impute au ministre de la défense et au ministre des affaires étrangères dans l'instruction de sa demande de détachement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de M. A...;

1. Considérant que M. A...demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'il estime avoir subi en raison de la durée excessive de procédures devant la juridiction administrative, de fautes que cette dernière aurait commises dans l'exercice de la fonction juridictionnelle et, enfin, de fautes que l'intéressé impute au ministre de la défense et au ministre des affaires étrangères à l'occasion de l'instruction de la demande de détachement dans un emploi de secrétaire administratif au ministère des affaires étrangères ;

Sur les conclusions tendant à la réparation de préjudices causés par la durée excessive des procédures juridictionnelles :

2. Considérant qu'il résulte des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ; que, si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu'ainsi, lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation de l'ensemble des dommages, tant matériels que moraux, directs et certains, ainsi causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière à la fois globale, compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours, particulières à chaque instance, et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu'il soit tranché rapidement ; que lorsque la durée globale du jugement n'a pas dépassé le délai raisonnable, la responsabilité de l'Etat est néanmoins susceptible d'être engagée si la durée de l'une des instances a, par elle-même, revêtu une durée excessive ;

3. Considérant que si M. A...soutient que les différents recours qu'il a introduits entre 1997 et 2015 relèvent d'une seule et même procédure qui aurait duré 18 années, il résulte de l'instruction que les requêtes qu'il a introduites à compter de 2008, qui sont consécutives notamment aux démarches entreprises pour obtenir la communication de certaines décisions prises lors de l'instruction de sa demande, doivent être regardées comme indépendantes du recours pour excès de pouvoir qu'il avait introduit en 1997 ; que M. A...n'est fondé à demander réparation que de celles de ces procédures dont la durée a été excessive ;

En ce qui concerne le contentieux né du refus de détachement :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A...a saisi le tribunal administratif de Paris le 4 avril 1997 d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite résultant du silence gardé par le ministre de la défense sur sa demande de détachement dans un emploi de secrétaire administratif au ministère des affaires étrangères ; que, par une ordonnance du 21 juin 2000, le vice-président de la 5ème section de ce tribunal a rejeté sa demande ; que, saisie le 7 septembre 2000, la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 6 avril 2004, rejeté l'appel formé par M. A...contre cette ordonnance ;

5. Considérant que la procédure rappelée ci-dessus devant le tribunal administratif de Paris et la cour administrative d'appel de Paris a duré au total six ans et neuf mois ; qu'une telle durée apparaît excessive, s'agissant d'un litige qui ne présentait aucune difficulté particulière ; que M. A...est, par suite, fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement a été méconnu à ce titre ;

En ce qui concerne le contentieux né du refus d'indemniser le défaut d'agrément de la candidature de M.A... :

6. Considérant que, par un courrier du 10 mars 2008, M. A...a adressé au ministre de la défense une demande tendant à la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi par suite du défaut d'agrément de sa candidature ; qu'à la suite du rejet implicite opposé à cette demande, M. A... a saisi la commission des recours des militaires le 7 octobre 2008 qui a rejeté sa requête comme irrecevable ; que, saisi le 15 décembre 2008, le tribunal administratif de Paris a annulé cette décision par un jugement du 15 octobre 2009 ; que M. A...n'est pas fondé à soutenir que la durée de cette procédure présenterait un caractère excessif ;

En ce qui concerne le contentieux né du refus d'agrément du 9 mai 1996 :

7. Considérant, en premier lieu, que M. A...a saisi le tribunal administratif de Paris le 8 juillet 2008 d'une demande tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait de la faute des services du ministre de la défense à l'occasion de l'instruction de sa demande de détachement ; qu'il a en outre saisi, par une requête enregistrée en 2010, le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de la note du 9 mai 1996 des services du ministre de la défense refusant d'agréer sa candidature en vue de son détachement ; que par le même jugement du 12 juillet 2011, le tribunal a annulé la décision du 9 mai 1996 mais rejeté ses conclusions indemnitaires ;

8. Considérant que M. A...a alors saisi, le 16 avril 2012, le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'exécution du jugement mentionné au point précédent, en sollicitant, en outre, l'indemnisation du préjudice qu'il estimait avoir subi " en raison du comportement du ministre de la défense " ; que, par un jugement du 9 avril 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes en relevant, notamment, que l'administration avait entièrement exécuté le jugement d'annulation en procédant à un nouvel examen de la demande de l'intéressé et en refusant à nouveau, le 26 février 2013, d'agréer son détachement ; que la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement par un arrêt du 1er juin 2015 ; que le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par une décision du 23 décembre 2015, décidé de ne pas admettre son pourvoi en cassation ;

9. Considérant, d'une part, que s'agissant de la procédure tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la note du 9 mai 1996 dont M. A...a obtenu l'annulation par le jugement du 12 juillet 2011, il résulte de l'instruction que si, face à l'inaction de l'administration, le requérant a demandé au juge administratif l'exécution de la décision sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, l'intéressé a obtenu de l'autorité administrative, le 26 février 2013, l'entière exécution du jugement du 12 juillet 2011 ; que, par suite, si l'instance engagée devant le juge de l'exécution doit en principe être incluse dans le décompte du délai mis par le juge administratif pour se prononcer à titre définitif, ce n'est toutefois que jusqu'à la date du 26 février 2013 que doit s'apprécier le délai mis par la juridiction administrative pour se prononcer sur le litige que M. A...lui avait soumis, alors même que la cour administrative d'appel de Paris, puis le Conseil d'Etat ont eu à statuer sur le litige d'exécution par leurs décisions des 1er juillet 2015 et 23 décembre 2015 ; que, la durée globale de jugement déterminée dans ces conditions étant d'un peu plus de deux ans, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la procédure aurait présenté en l'espèce un caractère excessif ;

10. Considérant, d'autre part, que la procédure indemnitaire engagée en 2008 par M. A... a, ainsi qu'il a été dit au point 7, fait l'objet d'un jugement de rejet par le jugement tribunal administratif de Paris le 12 juillet 2011 ; que la circonstance que M A...ait cru pouvoir, à l'occasion du litige d'exécution mentionné au point précédent, contester la régularité et le bien fondé de ce jugement dont il n'avait pas fait appel, ne saurait être prise en compte dans l'appréciation de la durée de la procédure qui a été définitivement tranchée le 12 juillet 2011 ; que la durée globale de jugement, déterminée dans ces conditions, qui est de trois ans, n'a pas présenté, dans les circonstances particulières de l'espèce, de caractère excessif ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la durée excessive des procédures contentieuses mentionnées au point 5 a occasionné pour M. A... un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 2 000 euros ; que les conclusions de M. A...relatives à la durée des autres procédures doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à la réparation de préjudices nés de l'exercice de la fonction juridictionnelle ;

12. Considérant qu'en vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité ; que si l'autorité qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait définitive, la responsabilité de l'Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ;

13. Considérant d'une part, qu'aucun des griefs allégués par M. A..., ayant trait au contenu du jugement du tribunal administratif de Paris du 12 juillet 2011 ainsi que de la décision du 23 décembre 2015 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, ne se rattache à une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers ; que, d'autre part, contrairement à ce que soutient M.A..., il ne résulte pas de l'instruction que le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 avril 2014 mentionné au point 8 aurait été rendu par une formation de jugement irrégulièrement composée et serait, par suite, entaché d'irrégularité ; qu'ainsi, en tout état de cause, ses conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur le surplus des conclusions de M.A... :

14. Considérant que les conclusions de M. A...tendant à être indemnisé du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de fautes commises par le ministre de la défense et par le ministre des affaires étrangères dans l'instruction de sa demande de détachement n'ont été précédées d'aucune demande d'indemnisation préalablement formée devant l'administration ; qu'il y a lieu par suite, par application des dispositions de l'article R.351-4 du code de justice administrative, de les rejeter comme entachées d'une irrecevabilité manifeste, insusceptibles d'être couverte en cours d'instance ;

15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'État est condamné à verser à M. A...la somme de 2 000 euros.

Article 2 : L'Etat versera à M. A...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3: Le surplus des conclusions de la requête de M. A...est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre des affaires étrangères et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 404817
Date de la décision : 24/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 oct. 2018, n° 404817
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-François de Montgolfier
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:404817.20181024
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