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19/10/2018 | FRANCE | N°421762

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 19 octobre 2018, 421762


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 26 juin et 10 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 13 avril 2018 accordant son extradition aux autorités américaines ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des dro

its de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité d'extradition entre la France et les Etats...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 26 juin et 10 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret du 13 avril 2018 accordant son extradition aux autorités américaines ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique signé à Paris le 23 avril 1996 ;

- l'accord d'extradition entre l'Union européenne et les Etats-Unis d'Amérique signé le 25 juin 2003 ;

- le code pénal ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bertrand Mathieu, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que l'article 696-15 du code de procédure pénale dispose que : " Lorsque la personne réclamée a déclaré au procureur général ne pas consentir à son extradition, la chambre de l'instruction est saisie, sans délai, de la procédure. La personne réclamée comparaît devant elle dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la date de sa présentation au procureur général. Les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l'article 696-13 sont applicables. Si, lors de sa comparution, la personne réclamée déclare ne pas consentir à être extradée, la chambre de l'instruction donne son avis motivé sur la demande d'extradition. Elle rend son avis, sauf si un complément d'information a été ordonné, dans le délai d'un mois à compter de la comparution devant elle de la personne réclamée. Cet avis est défavorable si la cour estime que les conditions légales ne sont pas remplies ou qu'il y a une erreur évidente, Le pourvoi formé contre un avis de la chambre de l'instruction ne peut être fondé que sur des vices de forme de nature à priver cet avis des conditions essentielles de son existence légale " ; que l'article 696-17 du même code prévoit que : " Si l'avis motivé de la chambre de l'instruction repousse la demande d'extradition et que cet avis est définitif, l'extradition ne peut être accordée. (...) " ; que l'article 696-18 du même code dispose que : " Dans les cas autres que celui prévu à l'article 696-17, l'extradition est autorisée par décret du Premier ministre pris sur le rapport du ministre de la justice. Le recours pour excès de pouvoir contre le décret mentionné à l'alinéa précédent doit, à peine de forclusion, être formé dans le délai d'un mois. L'exercice d'un recours gracieux contre ce décret n'interrompt pas le délai de recours contentieux. " ;

3. Considérant que les dispositions du quatrième alinéa de l'article 696-13 du code de procédure pénale prévoient que, lors de l'audience qui se déroule devant la chambre de l'instruction, la personne réclamée est entendue, en étant assistée, le cas échéant, de son conseil et, s'il y a lieu, en présence d'un interprète ; que la personne réclamée a la faculté de faire valoir ses observations jusqu'à l'intervention d'un décret d'extradition ; qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 696-17 du code de procédure pénale, aucun décret d'extradition ne peut intervenir à l'égard de la personne réclamée dans le cas d'un avis défavorable définitif de la chambre de l'instruction ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'extradition ne peut être accordée sans que l'intéressé ait pu exercer sa défense ;

4. Considérant que, si la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit, en l'espèce, ainsi qu'il a été dit au considérant précédent, le requérant ne peut soutenir que les articles 696-15 et 696-18 du code de procédure pénale portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ; que le grief d'incompétence négative ne peut donc être regardé comme sérieux;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles 696-15 et 696-18 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

Sur les autres moyens :

6. Considérant que le Premier ministre a accordé aux autorités américaines l'extradition de M. A...B...pour l'exécution d'un mandat d'arrêt décerné le 19 mai 2016 par le tribunal fédéral du nord de la Californie pour des faits de " transmission d'un programme, d'informations, de code et de commande pour causer des dommages à un ordinateur protégé et d'extorsion pour dommages à un ordinateur protégé " ;

7. Considérant qu'il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué figurant au dossier et certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement que le décret a été signé par le Premier ministre et contresigné par la garde des sceaux, ministre de la justice ; que l'ampliation notifiée à M. B...n'avait pas à être revêtue de ces signatures ;

8. Considérant que le décret attaqué comporte l'énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement ; qu'il n'avait pas à détailler les faits imputés au requérant par les autorités américaines ; qu'il satisfait ainsi à l'exigence de motivation posée à l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

9. Considérant que la décision de non-lieu à poursuivre pour insuffisance de charge prononcée par le Procureur du Roi du Royaume du Maroc à l'égard de M. A...B...n'est pas revêtue de l'autorité de chose jugée ; que, par son jugement du 9 septembre 2015, le tribunal correctionnel de Casablanca a condamné, non pas M. A...B..., mais son frère ; que ce jugement ne se prononce pas sur des faits imputés au requérant ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret méconnaîtrait l'autorité de chose définitivement jugée par les juridictions marocaines ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté ;

10. Considérant que si M. B...soutient qu'il n'a pu commettre les faits qui lui sont reprochés, il résulte des principes généraux du droit applicables à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d'erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée ; qu'en l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une erreur évidente ait été commise sur les faits reprochés au requérant ;

11. Considérant que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. " ; que M. A...B...soutient qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risque d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en raison de la peine de réclusion criminelle à perpétuité qui pourrait lui être infligée par l'effet du cumul des peines qui pourraient être prononcées ,

12. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions de la loi sur la fraude et les abus informatiques, dont une traduction a été produite par les autorités américaines à l'appui de la demande d'extradition, que les faits reprochés à M. B... ne sont pas punissables de la peine de réclusion criminelle à perpétuité et que le quantum prévisible de la peine pour ces infractions est compris entre soixante et soixante dix huit mois d'emprisonnement ; que les autorités américaines ont par ailleurs fait savoir que lorsqu'un accusé est condamné à plusieurs peines d'emprisonnement du chef de plusieurs infractions, il exécute ces peines de façon simultanée, sauf si un texte ou le tribunal ordonne qu'elles s'exécutent de façon consécutive et que les textes d'incrimination des infractions reprochées au requérant ne prévoient pas d'exécution consécutive obligatoire des peines prononcées ; que, dès lors, l'extradition litigieuse ne peut être regardée comme contraire ni à l'ordre public français, ni aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

13. Considérant que M. B...soutient que les faits pour lesquels l'extradition est demandée ayant été commis en France, il ne peut être procédé à cette extradition compte tenu des exigences de l'article 696-4 3° du code de procédure pénale qui dispose que " l'extradition n'est pas accordée (...) lorsque les crimes et délits ont été commis sur le territoire de la République " ; que, toutefois, il résulte des termes du traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique du 23 avril 1996 qu'il ne permet pas au gouvernement français de subordonner l'extradition à des conditions autres que celles qui sont prévues par la convention ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 696-3° du code de procédure pénale doit être écarté ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque ;

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par M. B....

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B....

Article 2 : La requête de M. B... est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 421762
Date de la décision : 19/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2018, n° 421762
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Bertrand Mathieu
Rapporteur public ?: Mme Sophie Roussel

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:421762.20181019
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