Vu la procédure suivante :
La société anonyme Cicobail a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 à raison d'un immeuble situé à Houdemont (Meurthe- et-Moselle). Par un jugement nos 1500475, 1602980 du 20 juin 2017, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés le 21 août 2017 et le 6 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société Cicobail demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Cicobail.
Considérant ce qui suit :
1. La société Cicobail se pourvoit en cassation contre le jugement du 20 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 à raison d'un immeuble dont elle est propriétaire dans la commune de Houdemont (Meurthe-et-Moselle).
2. D'une part, aux termes des dispositions du I de l'article 1520 du code général des impôts, applicable aux établissements publics de coopération intercommunale, dans sa rédaction applicable à l'imposition en cause : " Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal (...) ". La taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées. Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu'il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) A compter du 1er janvier 1993, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ainsi que les syndicats mixtes qui n'ont pas institué la redevance prévue à l'article L. 2333-76 créent une redevance spéciale afin d'assurer l'élimination des déchets visés à l'article L. 2224-14 (...) Cette redevance est calculée en fonction de l'importance du service rendu et notamment de la quantité des déchets éliminés. Elle peut toutefois être fixée de manière forfaitaire pour l'élimination de petites quantités de déchets. (...)". Les déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du même code sont les déchets non ménagers que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'instauration de la redevance spéciale est obligatoire en l'absence de redevance d'enlèvement des ordures ménagères, d'autre part, que, compte tenu de ce qui a été dit au point 2, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas pour objet de financer l'élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n'aurait pas été instituée.
4. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient au juge de l'impôt, pour apprécier la légalité d'une délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et quel qu'en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée.
5. Pour écarter le moyen soulevé par la société par la voie de l'exception, tiré de ce que les délibérations du conseil de la métropole du Grand Nancy, compétente en matière d'ordures ménagères, fixant les taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les années 2013 et 2014 étaient illégales en raison du caractère manifestement disproportionné de ces taux par rapport au montant des dépenses du service non couvertes par des recettes non fiscales, le tribunal administratif s'est fondé sur ce que l'excédent du produit de taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le total des dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères non couvertes par les recettes non fiscales de ce service, redevance spéciale incluse, s'élevait à seulement 5,8 % pour 2013 et à 13,6 % pour 2014.
6. En statuant ainsi, sans rechercher, au besoin au moyen d'un supplément d'instruction s'il estimait non probants les éléments produits par la société sur ce point, quelle était la part des coûts du service relatifs aux déchets non ménagers, pour procéder à la comparaison, conformément à la règle rappelée au point 4 ci-dessus, entre le produit de la taxe et le coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, après déduction des recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale, le tribunal administratif a, ainsi que le soutient la société requérante, entaché son jugement d'une erreur de droit.
7. Il en résulte, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que la société Cicobail est fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à la société Cicobail au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Nancy.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à la société Cicobail au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Cicobail et au ministre de l'action et des comptes publics.