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10/10/2018 | FRANCE | N°410119

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 10 octobre 2018, 410119


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A...Pouget a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 71 205,48 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du ministre des affaires étrangères du 19 avril 2010 refusant de renouveler son détachement, augmentée du montant des indemnités auxquelles elle pourrait prétendre et d'une somme réparant le préjudice correspondant à la minoration de sa pension de retraite, l'ensemble de ces indemnités portant intérêt au t

aux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, le cas éch...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A...Pouget a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 71 205,48 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la décision du ministre des affaires étrangères du 19 avril 2010 refusant de renouveler son détachement, augmentée du montant des indemnités auxquelles elle pourrait prétendre et d'une somme réparant le préjudice correspondant à la minoration de sa pension de retraite, l'ensemble de ces indemnités portant intérêt au taux légal à compter de la date de réception de sa demande préalable, le cas échéant capitalisés. Par un jugement n° 1411019 du 3 juin 2015, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme Pouget une somme de 3 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Par un arrêt n° 15PA02996 du 28 février 2017, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme Pouget, en premier lieu, annulé ce jugement en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de Mme Pouget relatives aux intérêts et à leur capitalisation, en deuxième lieu, condamné l'Etat à verser à Mme Pouget une indemnité visant à réparer le préjudice financier qu'elle a subi qui sera calculé conformément aux motifs de l'arrêt de la cour, en troisième lieu, renvoyé Mme Pouget devant l'administration pour qu'il soit procédé, conformément aux motifs de l'arrêt de la cour, à la liquidation de l'indemnité qui lui est due au titre du préjudice financier, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt de la cour, en quatrième lieu, décidé que le montant global de l'indemnité versée par l'Etat tant au titre de la réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence que de la réparation du préjudice financier sera assorti des intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2014 et les intérêts échus à la date du 6 juin 2015 puis à chaque échéance annuelle seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts, en cinquième lieu, réformé le jugement du 3 juin 2015 du tribunal administratif de Paris en ce qu'il a de contraire aux articles 2 à 4 de l'arrêt de la cour et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de Mme Pouget.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 avril et 2 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des affaires étrangères et du développement international demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de Mme Pouget.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 67-290 du 28 mars 1967 ;

- le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 ;

- le décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 ;

- le décret n° 97-215 du 10 mars 1997 ;

- le décret n° 2002-62 du 14 janvier 2002 ;

- le décret n° 2008-1533 du 22 décembre 2008 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de Mme Pouget.

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Pouget, premier conseiller du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a été placée, au titre de la mobilité statutaire, en position de détachement dans le corps des conseillers des affaires étrangères relevant du ministre des affaires étrangères pour une durée de deux ans à compter du 1er septembre 2005 ; que son détachement a été renouvelé jusqu'au 1er septembre 2008 ; que ce détachement a été prolongé pour une nouvelle durée d'un an à compter du 1er septembre 2008 afin de lui permettre d'exercer les fonctions de conseiller d'ambassade de 2ème classe à l'ambassade de France au Laos ; que cette prolongation a elle-même été renouvelée à compter du 1er septembre 2009 pour une durée d'un an dans les mêmes fonctions ; que, par une décision du 19 avril 2010, le directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères et européennes a rejeté la demande de Mme Pouget tendant au renouvellement de son détachement à compter du 1er septembre 2010 ; que, par une ordonnance du 30 juin 2010, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de Mme Pouget tendant à la suspension de cette décision ; que, toutefois, cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Paris du 10 mai 2012, confirmée par un arrêt du 27 mars 2014 de la cour administrative d'appel de Paris, devenu définitif ; que Mme Pouget a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à obtenir réparation du préjudice causé par ce refus illégal ; que par un jugement du 3 juin 2015, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme Pouget la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant de la décision du 19 avril 2010, sous réserve des sommes déjà versées à titre de provision, et a rejeté le surplus de sa demande ; que, par un arrêt du 28 février 2017, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de Mme Pouget, annulé le jugement en tant qu'il a omis de statuer sur ses conclusions relatives aux intérêts et à leur capitalisation, et condamné l'Etat à verser à l'intéressée une indemnité visant à réparer son préjudice financier, à calculer conformément aux motifs de l'arrêt ; que le ministre des affaires étrangères et du développement international se pourvoit en cassation contre cet arrêt ; qu'eu égard aux moyens qu'il soulève, le ministre doit être regardé comme demandant l'annulation des articles 2 et 3 de cet arrêt ; que Mme Pouget a formé un pourvoi incident tendant à l'annulation de l'article 3 de l'arrêt attaqué en tant qu'il rejette ses conclusions tendant au versement de l'indemnité de résidence à l'étranger ;

2. Considérant qu'en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre ; que sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité ; que, pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions ; qu'enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 231-1 du code de justice administrative : " Les membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont des magistrats dont le statut est régi par le présent livre et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'Etat " ; qu'aux termes du dernier alinéa de l'article 13 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire détaché dans un corps ou cadre d'emplois qui est admis à poursuivre son détachement au-delà d'une période de cinq ans se voit proposer une intégration dans ce corps ou cadre d'emplois " ; qu'aux termes de l'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 modifié portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " (...) A l'expiration de son détachement, le fonctionnaire est, sauf intégration dans le corps ou cadre d'emplois de détachement, réintégré dans son corps d'origine (...) " ; qu'aux termes de l'article 22 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'Etat, à la mise à disposition, à l'intégration et à la cessation définitive de fonctions : " Trois mois au moins avant l'expiration du détachement de longue durée, le fonctionnaire fait connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement du détachement ou de réintégrer son corps d'origine. / Deux mois au moins avant le terme de la même période, l'administration ou l'organisme d'accueil fait connaître au fonctionnaire concerné et à son administration d'origine sa décision de renouveler ou non le détachement ou, le cas échéant, sa proposition d'intégration. / A l'expiration du détachement, dans le cas où il n'est pas renouvelé par l'administration ou l'organisme d'accueil pour une cause autre qu'une faute commise dans l'exercice des fonctions, le fonctionnaire est réintégré immédiatement et au besoin en surnombre dans son corps d'origine, par arrêté du ministre intéressé, et affecté à un emploi correspondant à son grade. / Le surnombre ainsi créé doit être résorbé à la première vacance qui s'ouvrira dans le grade considéré. / Le fonctionnaire a priorité, dans le respect des règles fixées aux deux derniers alinéas de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, pour être affecté au poste qu'il occupait avant son détachement. / S'il refuse le poste qui lui est assigné, il ne peut être nommé à un autre emploi que dans le cas où une vacance est ouverte " ; qu'aux termes de l'article 44 du même décret : " La mise en disponibilité sur demande de l'intéressé peut être accordée, sous réserve des nécessités du service, dans les cas suivants : / (...) b) Pour convenances personnelles (...) " ;

4. Considérant, en premier lieu, que si le refus de renouvellement du détachement de Mme Pouget a été annulé pour erreur manifeste d'appréciation par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, dont l'autorité de chose jugée imposait à l'administration de renouveler ce détachement, l'intéressée avait droit, en tout état de cause, à être réintégrée immédiatement, au besoin en surnombre, dans son corps d'origine et à être affectée à un emploi correspondant à son grade, en application des dispositions précitées de l'article 45 de la loi du 11 janvier 1984 et de l'article 22 du décret du 16 septembre 1985, en l'absence d'un tel renouvellement ; que, dans ces conditions, la perte de traitement qu'elle a subie ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec le refus illégal qui lui a été opposé mais comme résultant de son choix de demander une mise en disponibilité pour convenances personnelles ; qu'en revanche, la perte de rémunération résultant de la différence entre les primes et indemnités dont l'intéressée avait, durant la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier en cas de renouvellement de son détachement et celles qu'elle aurait perçues en réintégrant son corps d'origine doit être regardée comme en lien direct avec le refus illégal qui lui a été opposé ; que, dès lors, en retenant que la perte de rémunération subie par Mme Pouget était, à l'exception de la perte de l'indemnité de résidence et de la perte de majoration familiale, en lien direct avec le refus de renouvellement de son détachement, la cour administrative d'appel de Paris a inexactement qualifié les faits de l'espèce ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son pourvoi, le ministre des affaires étrangères et du développement international est fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant, en second lieu, qu'eu égard à son objet qui est, en vertu de l'article 5 du décret du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger, de compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d'exercice de ces fonctions et aux conditions locales d'existence, l'indemnité de résidence attribuée aux personnels de l'Etat en service à l'étranger est seulement destinée à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions ; qu'il suit de là que Mme Pouget ne pouvait prétendre à cette indemnité au-delà de la date de la cessation de ses fonctions à l'étranger ; que, dès lors, son pourvoi incident doit être rejeté ;

6. Considérant, en dernier lieu, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt du 28 février 2017 de la cour administrative d'appel de Paris sont annulés.

Article 2 : Le pourvoi incident de Mme Pouget est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de Mme Pouget présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à Mme A...Pouget.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 410119
Date de la décision : 10/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 oct. 2018, n° 410119
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Rapporteur public ?: M. Olivier Henrard
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:410119.20181010
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