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18/07/2018 | FRANCE | N°410896

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 18 juillet 2018, 410896


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 410896, par une requête sommaire et un mémoire rectificatif, et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mai et 25 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SERC Fun Radio demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la communication du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 23 novembre 2016 sur la méthode de vérification du respect par les radios de leurs obligations de diffusion de chansons d'expression française, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;


2°) de mettre à la charge du CSA une somme de 5 000 euros au titre de l'article...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 410896, par une requête sommaire et un mémoire rectificatif, et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mai et 25 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société SERC Fun Radio demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la communication du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 23 novembre 2016 sur la méthode de vérification du respect par les radios de leurs obligations de diffusion de chansons d'expression française, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge du CSA une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2° Sous le n° 410963, par une requête sommaire et trois mémoires complémentaires, enregistrés les 29 mai, 4 et 30 août 2017 et 20 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Lagardère Active Broadcast, Europe 2 Entreprises et RFM Entreprises demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la communication du CSA du 23 novembre 2016 sur la méthode de vérification du respect par les radios de leurs obligations de diffusion de chansons d'expression française, ensemble la décision du 9 juin 2017 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a rejeté leur recours gracieux contre cette communication ;

2°) de mettre à la charge du CSA une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

3° Sous le n° 412296, par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 10 juillet 2017 et 24 janvier et 23 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat des radios indépendantes (SIRTI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la communication du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 23 novembre 2016 sur la méthode de vérification du respect par les radios de leurs obligations de diffusion de chansons d'expression française, ensemble la décision du 31 mai 2017 par laquelle le CSA a rejeté son recours gracieux dirigé contre cette communication ;

2°) d'enjoindre au CSA, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'adopter une nouvelle communication comportant une méthode de calcul conforme à l'objectif poursuivi par le législateur dans un délai de deux mois à compter de sa décision et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

3°) subsidiairement, d'enjoindre au CSA, sur le fondement de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, de réexaminer sa méthode de calcul dans un délai de deux mois à compter de sa décision et sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge du CSA une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 34 et 56 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;

- la décision du 14 février 2018 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Syndicat des radios indépendantes ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société SERC Fun Radio, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de la société Lagardère Active Broadcast, de la société Europe 2 Entreprises et de la société RFM Entreprises et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat du Syndicat Des Radios Indépendantes.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 juin 2018, présentée par la société SERC Fun Radio.

1. Considérant que l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication subordonne la délivrance de l'autorisation d'usage de la ressource radioélectrique à tout service diffusé par voie hertzienne terrestre, autre que ceux exploités par les sociétés nationales de programme, à la conclusion d'une convention passée entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au nom de l'Etat et la personne qui demande l'autorisation ; qu'aux termes du premier alinéa du 2° bis de cet article, cette convention porte notamment sur " la proportion substantielle d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France, qui doit atteindre un minimum de 40 % de chansons d'expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions, diffusées aux heures d'écoute significative par chacun des services de radio autorisés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour la part de ses programmes composée de musique de variétés " ; que les alinéas suivants de ce même 2° bis prévoient, pour les radios répondant à certains critères, des règles de quotas dérogatoires portant notamment sur la programmation de nouveaux talents et de nouvelles productions ; que la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a complété le 2° bis par un alinéa introduisant un mécanisme dit de " plafonnement des rotations " ou " malus ", ainsi défini : " Dans l'hypothèse où plus de la moitié du total des diffusions d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France se concentre sur les dix oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France les plus programmées par un service, les diffusions intervenant au-delà de ce seuil ou n'intervenant pas à des heures d'écoute significative ne sont pas prises en compte pour le respect des proportions fixées par la convention pour l'application du présent 2° bis " ;

2. Considérant que, par une communication du 23 novembre 2016, le CSA a énoncé la méthode qu'il entendait mettre en oeuvre pour vérifier le respect, par les éditeurs de services de radio, de ces dispositions législatives ; que les sociétés SERC Fun radio, Lagardère Active Broadcast, Europe 2 Entreprises, RFM Entreprises et le Syndicat des radios indépendantes (SIRTI) demandent l'annulation de cette communication ainsi que de décisions par lesquelles le conseil supérieur a rejeté des recours gracieux tendant à ce qu'elle soit retirée ; qu'il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par une seule décision ;

3. Considérant que la communication attaquée constitue une prise de position de l'autorité de régulation revêtant le caractère de dispositions générales et impératives et ayant, de surcroît, pour objet d'influer sur le comportement des services de radio ; qu'elle peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

Sur la légalité externe :

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne peut délibérer que si quatre au moins de ses membres sont présents. Il délibère à la majorité des membres présents. Le président a voix prépondérante en cas de partage égal des voix " ; qu'il ressort des pièces des dossiers, d'une part, que huit membres étaient présents lors de la séance du 23 novembre 2016 au cours de laquelle a été adoptée la communication litigieuse et, d'autre part, que sept membres étaient présents lors de la séance du 31 mai 2017 au cours de laquelle le CSA a décidé de rejeter les recours gracieux formés contre cette communication ; que, contrairement à ce qui est allégué, il ne ressort pas de ces pièces que les règles de majorité applicables aux délibérations du conseil supérieur aient alors été méconnues ; que les moyens tirés de ce que la communication du 23 novembre 2016 et le rejet du recours gracieux formé à son encontre par le SIRTI seraient intervenus au terme de procédures irrégulières doivent, par suite, être écartés ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le procès-verbal de la séance au cours de laquelle la communication attaquée a été adoptée est revêtu de la signature du directeur général du CSA, lequel disposait d'une délégation du président pour signer tout acte relatif au fonctionnement et à l'exercice des missions du conseil supérieur ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait irrégulière faute d'être signée manque en fait ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des termes de la communication litigieuse qu'elle a pour objet, ainsi qu'il a été dit au point 2, d'indiquer la méthode retenue par le CSA pour appliquer le dispositif de " plafonnement des rotations " ; que cet acte n'a pas la nature d'un acte réglementaire que le CSA n'aurait pas eu compétence pour adopter ; que le moyen tiré de ce qu'en ne qualifiant pas cet acte de " délibération " ou de " recommandation ", le CSA l'aurait entaché d'un vice de forme et n'aurait pas permis aux éditeurs de services de radio " d'apprécier le régime juridique applicable ", ne peut qu'être écarté dès lors que la dénomination donnée à un acte administratif est sans incidence sur sa légalité ;

7. Considérant, enfin, que, sauf dispositions contraires, le CSA n'est pas tenu de procéder à des consultations préalablement à l'exercice de ses attributions ; que si, aux termes du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 tel que modifié par la loi du 7 juillet 2016 précitée, le CSA doit procéder à une consultation publique avant de définir les modalités selon lesquelles les éditeurs de services de radio souscriront des engagements substantiels et quantifiés en matière de diversité musicale, le législateur n'a pas prévu une telle formalité préalablement à la mise en oeuvre du dispositif de " plafonnement des rotations " issu de la loi du 7 juillet 2016 ; que doivent, dès lors, être écartés les moyens tirés, d'une part, de ce que la communication attaquée serait irrégulière faute de consultation préalable et, d'autre part, de ce que le CSA aurait méconnu les dispositions du 2° bis de l'article 28 en adoptant cette communication avant l'issue de la consultation publique relative aux engagements en matière de diversité musicale ou en s'abstenant d'étendre cette consultation au dispositif de " plafonnement des rotations " ; que les requérants ne peuvent, enfin, utilement soutenir qu'une telle consultation s'imposait en vertu d'une pratique constante observée par le CSA ou compte tenu des controverses ayant précédé l'introduction de ce dispositif ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le respect des dispositions du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 :

8. Considérant qu'aux termes de la communication attaquée : " Pour vérifier le respect des quotas, le Conseil ne prend pas en compte les diffusions des dix titres francophones intervenant au-delà de 50 % du total des titres francophones diffusés. Ces diffusions sont par conséquent retirées du sous-total des diffusions des titres francophones, c'est-à-dire du numérateur " ; qu'il résulte des dispositions du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, citées au point 1, que les quotas qu'elles prévoient sont calculés en proportion de l'ensemble de la programmation de musique de variétés de chaque radio ; que par suite, en ne prévoyant pas la soustraction des diffusions excédentaires du total des diffusions qui figure au dénominateur servant au calcul du quota, le CSA a fait une exacte application de ces dispositions ;

En ce qui concerne la compatibilité entre ces dispositions et le droit de l'Union européenne :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation... " ; que les sociétés Lagardère Active Broadcast, Europe 2 Entreprises et RFM Entreprises soutiennent que la communication attaquée et les dispositions législatives qu'elle met en oeuvre méconnaissent cet article en apportant à la libre prestation des services dans l'Union des restrictions qui ne sont ni nécessaires pour atteindre l'objectif d'intérêt général défini par le législateur, ni proportionnées à cet objectif ;

10. Considérant que l'obligation faite aux titulaires d'autorisations d'usage de la ressource radioélectrique de diffuser une proportion substantielle d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France constitue un élément de politique culturelle défini par le législateur dans l'intérêt général et ayant pour but d'assurer à la fois la défense et la promotion de la langue française et des langues de France et le renouvellement du patrimoine musical francophone ; que le dispositif de " plafonnement des rotations " introduit au 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 et mis en oeuvre par la communication attaquée n'a pas pour objet d'augmenter la proportion de chansons d'expression française diffusées par les éditeurs de services de radio, mais vise seulement à favoriser la diversité des titres francophones programmés ; qu'à supposer même qu'il ait pour effet indirect de conduire les éditeurs qui maintiendraient un niveau important de rotation des mêmes titres à programmer une quantité plus importante de chansons d'expression française au détriment du répertoire en langue étrangère, la limitation à la libre prestation des services qui en résulterait est justifiée par l'objectif d'intérêt général qui vient d'être rappelé, alors au surplus qu'elle trouverait son origine dans le choix des éditeurs concernés de ne pas diversifier la programmation francophone afin de maintenir une même part de chansons en langue étrangère ; qu'ainsi les dispositions de l'article 2° bis de l'article 28, telles qu'elles résultent de la loi du 7 juillet 2016 précitée, n'apparaissent pas disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi, dès lors qu'elles sont propres à en garantir la réalisation et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ;

En ce qui concerne le respect du principe de sécurité juridique :

11. Considérant que la communication litigieuse se borne à énoncer l'interprétation que le CSA retient des dispositions relatives au " plafonnement des rotations " issues de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, lesquelles étaient d'application immédiate ; qu'est, dès lors, inopérant le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait le principe de sécurité juridique en s'imposant sans délai et en ne prévoyant aucune mesure transitoire ;

En ce qui concerne les autres moyens invoqués par le SIRTI :

12. Considérant que les circonstances, alléguées par le SIRTI, que le CSA exercerait un contrôle " erratique " et " inégalitaire " du respect des quotas et adresserait des mises en garde aux opérateurs pour lesquels les écarts observés sont très faibles seraient, à les supposer établies, sans incidence sur la légalité de la communication attaquée ; que le SIRTI n'est, par ailleurs, pas fondé à soutenir que cette communication, dont l'objet porte spécifiquement et exclusivement sur la méthode de calcul retenue pour l'application du " malus ", serait illégale en tant qu'elle ne définit pas la notion de " musique de variétés " ; que le moyen tiré de ce que la communication litigieuse méconnaîtrait les libertés d'entreprendre, d'expression et de communication garanties par les articles 4, 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés et le syndicat requérants ne sont fondés à demander l'annulation ni de la communication attaquée, ni des décisions par lesquelles le CSA a rejeté les recours gracieux tendant à son retrait ; que les conclusions à fin d'injonction présentées par le SIRTI doivent être rejetées ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CSA qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes des sociétés SERC Fun radio, Lagardère Active Broadcast, Europe 2 Entreprises, RFM Entreprises et du SIRTI sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux sociétés SERC Fun radio, Lagardère Active Broadcast, Europe 2 Entreprises, RFM Entreprises, au Syndicat des radios indépendantes, au Conseil supérieur de l'audiovisuel, au Premier ministre et à la ministre de la culture.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 410896
Date de la décision : 18/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2018, n° 410896
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Leforestier
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:410896.20180718
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