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29/06/2018 | FRANCE | N°415947

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 29 juin 2018, 415947


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 415947, par un mémoire enregistré le 7 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 septembre 2017 portant mise en oeuvre de la majoration des minima de perception prévue par l'article 575 du code général des impôts, de renvoyer a

u Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et liber...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 415947, par un mémoire enregistré le 7 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 septembre 2017 portant mise en oeuvre de la majoration des minima de perception prévue par l'article 575 du code général des impôts, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du septième alinéa de l'article 575 et du deuxième alinéa de l'article 575 A du code général des impôts, dans leur version en vigueur à la date de l'arrêté qu'elle attaque.

2° Sous le n° 416031, par un mémoire enregistré le 4 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, et par un mémoire en réplique, enregistré le 11 juin 2018, la société British American Tobacco France demande au Conseil d'Etat, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté interministériel du 22 septembre 2017 portant mise en oeuvre de la majoration des minima de perception prévue par l'article 575 du code général des impôts, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du septième alinéa de l'article 575 du code général des impôts.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Agnoux, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société British American Tobacco France.

Considérant ce qui suit :

1. Les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées portent sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes dispositions du code général des impôts. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 572 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " Le prix de détail de chaque produit exprimé aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés. Il est applicable après avoir été homologué par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes. (...) " Aux termes des deux premiers alinéas de l'article 575 du code général des impôts : " Les tabacs manufacturés vendus au détail ou importés dans les départements de la France continentale sont soumis à un droit de consommation. / Le droit de consommation sur les tabacs comporte une part spécifique par unité de produit ou de poids et une part proportionnelle au prix de vente au détail. / (...) ". Aux termes du septième alinéa du même article, dans sa rédaction applicable au litige : " Le montant du droit de consommation applicable à un groupe de produits ne peut être inférieur à un minimum de perception fixé par mille unités ou mille grammes. Le minimum de perception de chacun des groupes de produits figurant à l'article 575 A peut être majoré dans la limite de 10 % pour l'ensemble des références de produits du tabac d'un même groupe, par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget. " Aux termes, enfin, du deuxième alinéa de l'article 575 A du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le minimum de perception mentionné à l'article 575 est fixé à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos. "

4. Les dispositions du septième alinéa de l'article 575 et du deuxième alinéa de l'article 575 A du code général des impôts sont applicables au présent litige et elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

Sur la méconnaissance alléguée du principe de liberté d'entreprendre et du principe de libre concurrence :

5. Les sociétés requérantes soutiennent que les dispositions contestées méconnaissent les principes de liberté d'entreprendre et de libre concurrence, au motif qu'elles feraient obstacle à la liberté de fixation des prix en empêchant les fabricants de produits du tabac de diminuer leurs prix de vente et en les contraignant à les augmenter pour conserver leurs marges, au détriment en particulier des marques d'entrée de gamme.

6. Les dispositions de l'article 575 du code général des impôts citées au point 3 ci-dessus prévoient que le droit de consommation auquel sont soumis les produits du tabac, qui est composé d'une part proportionnelle et d'une part fixe, ne peut être inférieur à un minimum de perception, dont le montant, fixé par l'article 575 A à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos à la date de l'arrêté dont les requérantes demandent l'annulation, peut être majoré, pour l'ensemble des références de produits du tabac d'un même groupe, par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans la limite de 10 %, soit un montant maximum de 231 euros pour mille cigarettes et de 101,2 euros pour mille cigares ou cigarillos. Ces dispositions, en ce qu'elles fixent un montant minimal de charge fiscale pour les produits du tabac, quel que soit leur prix de vente, visent à prévenir la diminution de ces prix dans des proportions qui ne seraient pas compatibles avec l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique et ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à la possibilité, pour les fabricants de tabac, de modifier les prix qu'ils soumettent à l'homologation dans les conditions et sous la limite prévues au premier alinéa de l'article 572 du code général des impôts cité au point 3. En fixant cette charge minimale à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos, soit des montants d'au plus 231 et 101,2 euros en cas de majoration de 10 %, la loi n'a pas porté au principe de la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique qu'elle poursuit. En conséquence, ne peuvent être regardés comme sérieux ni le grief tiré de ce que les dispositions en litige méconnaîtraient la liberté d'entreprendre ni, en tout état de cause, le grief tiré de ce qu'elles méconnaîtraient le principe de libre concurrence.

Sur la méconnaissance alléguée de l'article 34 et de l'article 21 de la Constitution :

7. Les sociétés requérantes soutiennent que, en ce qu'elles confient aux ministres chargés de la santé et du budget, sans l'encadrer suffisamment, le pouvoir de majorer le minimum de perception, les dispositions contestées méconnaissent l'étendue de la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, en portant atteinte, de ce fait, à la liberté d'entreprendre, et qu'elles sont contraires à l'article 21 de la Constitution qui confère au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République, l'exercice du pouvoir réglementaire à l'échelon national.

8. Toutefois, en limitant à 10 % le niveau maximal de majoration du minimum de perception pour l'ensemble des références d'un même groupe de produits, le législateur, qui n'était pas tenu de définir plus précisément les conditions et les modalités selon lesquelles la majoration peut être mise en oeuvre, a suffisamment encadré l'exercice de cette faculté par le pouvoir réglementaire et n'a donc, en tout état de cause, pas méconnu l'étendue de la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution.

9. En outre, la règle de compétence posée par l'article 21 de la Constitution n'est pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les questions soulevées par la SEITA et la société British American Tobacco France, qui ne sont pas nouvelles, sont dépourvues de caractère sérieux. Il n'y a ainsi pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la SEITA et par la société British American Tobacco France.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SEITA, à la société British American Tobacco France, à la ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'action et des comptes publics et au Premier ministre.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 415947
Date de la décision : 29/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - VIOLATION DIRECTE DE LA RÈGLE DE DROIT - CONSTITUTION ET PRINCIPES DE VALEUR CONSTITUTIONNELLE - LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE - FIXATION DU DROIT DE CONSOMMATION DES PRODUITS DU TABAC À UN NIVEAU NE POUVANT ÊTRE INFÉRIEUR À UN MINIMUM DE PERCEPTION DE 210 EUROS POUR MILLE CIGARETTES ET 92 EUROS POUR MILLE CIGARES OU CIGARILLOS - POUVANT ÊTRE MAJORÉ DANS LA LIMITE DE 10% - MÉCONNAISSANCE - ABSENCE - AU REGARD DE L'OBJECTIF CONSTITUTIONNEL DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE POURSUIVI.

01-04-005 L'article 575 du code général des impôts (CGI) prévoit que le droit de consommation auquel sont soumis les produits du tabac, qui est composé d'une part proportionnelle et d'une part fixe, ne peut être inférieur à un minimum de perception, dont le montant, fixé par l'article 575 A à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos à la date de l'arrêté dont les requérantes demandent l'annulation, peut être majoré, pour l'ensemble des références de produits du tabac d'un même groupe, par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans la limite de 10 %.... ,,Ces dispositions, en ce qu'elles fixent un montant minimal de charge fiscale pour les produits du tabac, quel que soit leur prix de vente, visent à prévenir la diminution de ces prix dans des proportions qui ne seraient pas compatibles avec l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique et ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à la possibilité, pour les fabricants de tabac, de modifier les prix qu'ils soumettent à l'homologation dans les conditions et sous la limite prévues au premier alinéa de l'article 572 du CGI. En fixant cette charge minimale à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos, soit des montants d'au plus 231 et 101,2 euros en cas de majoration de 10 %, la loi n'a pas porté au principe de la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique qu'elle poursuit.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - PARAFISCALITÉ - REDEVANCES ET TAXES DIVERSES - FIXATION DU DROIT DE CONSOMMATION DES PRODUITS DU TABAC À UN NIVEAU NE POUVANT ÊTRE INFÉRIEUR À UN MINIMUM DE PERCEPTION DE 210 EUROS POUR MILLE CIGARETTES ET 92 EUROS POUR MILLE CIGARES OU CIGARILLOS - POUVANT ÊTRE MAJORÉ DANS LA LIMITE DE 10% - MÉCONNAISSANCE DE LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE - ABSENCE - AU REGARD DE L'OBJECTIF CONSTITUTIONNEL DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE POURSUIVI.

19-08 L'article 575 du code général des impôts (CGI) prévoit que le droit de consommation auquel sont soumis les produits du tabac, qui est composé d'une part proportionnelle et d'une part fixe, ne peut être inférieur à un minimum de perception, dont le montant, fixé par l'article 575 A à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos à la date de l'arrêté dont les requérantes demandent l'annulation, peut être majoré, pour l'ensemble des références de produits du tabac d'un même groupe, par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans la limite de 10 %.... ,,Ces dispositions, en ce qu'elles fixent un montant minimal de charge fiscale pour les produits du tabac, quel que soit leur prix de vente, visent à prévenir la diminution de ces prix dans des proportions qui ne seraient pas compatibles avec l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique et ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à la possibilité, pour les fabricants de tabac, de modifier les prix qu'ils soumettent à l'homologation dans les conditions et sous la limite prévues au premier alinéa de l'article 572 du CGI. En fixant cette charge minimale à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos, soit des montants d'au plus 231 et 101,2 euros en cas de majoration de 10 %, la loi n'a pas porté au principe de la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique qu'elle poursuit.

PROCÉDURE - FIXATION DU DROIT DE CONSOMMATION DES PRODUITS DU TABAC À UN NIVEAU NE POUVANT ÊTRE INFÉRIEUR À UN MINIMUM DE PERCEPTION DE 210 EUROS POUR MILLE CIGARETTES ET 92 EUROS POUR MILLE CIGARES OU CIGARILLOS - POUVANT ÊTRE MAJORÉ DANS LA LIMITE DE 10% - GRIEFS TIRÉS DE LA MÉCONNAISSANCE DE LA LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE OU DU PRINCIPE DE LIBRE CONCURRENCE.

54-10-05-03-02 L'article 575 du code général des impôts (CGI) prévoit que le droit de consommation auquel sont soumis les produits du tabac, qui est composé d'une part proportionnelle et d'une part fixe, ne peut être inférieur à un minimum de perception, dont le montant, fixé par l'article 575 A à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos à la date de l'arrêté dont les requérantes demandent l'annulation, peut être majoré, pour l'ensemble des références de produits du tabac d'un même groupe, par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget, dans la limite de 10 %.... ,,Ces dispositions, en ce qu'elles fixent un montant minimal de charge fiscale pour les produits du tabac, quel que soit leur prix de vente, visent à prévenir la diminution de ces prix dans des proportions qui ne seraient pas compatibles avec l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique et ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à la possibilité, pour les fabricants de tabac, de modifier les prix qu'ils soumettent à l'homologation dans les conditions et sous la limite prévues au premier alinéa de l'article 572 du CGI. En fixant cette charge minimale à 210 euros pour mille cigarettes et à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos, soit des montants d'au plus 231 et 101,2 euros en cas de majoration de 10 %, la loi n'a pas porté au principe de la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique qu'elle poursuit. En conséquence, ne peuvent être regardés comme sérieux ni le grief tiré de ce que les dispositions en litige méconnaîtraient la liberté d'entreprendre ni, en tout état de cause, le grief tiré de ce qu'elles méconnaîtraient le principe de libre concurrence.


Publications
Proposition de citation : CE, 29 jui. 2018, n° 415947
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Nicolas Agnoux
Rapporteur public ?: M. Yohann Bénard
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415947.20180629
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