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25/06/2018 | FRANCE | N°414056

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 25 juin 2018, 414056


Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Auchan France a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 à raison d'un immeuble dont elle est propriétaire dans la commune d'Aubière (Puy-de-Dôme). Par un jugement n° 1500329 du 4 juillet 2017, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 septembre 2017 et 9 avril 2018 au secrétariat du contentieux

du Conseil d'Etat, la société Auchan France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'...

Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Auchan France a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement sur les ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 à raison d'un immeuble dont elle est propriétaire dans la commune d'Aubière (Puy-de-Dôme). Par un jugement n° 1500329 du 4 juillet 2017, le tribunal a rejeté cette demande.

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 septembre 2017 et 9 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Auchan France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Auchan France.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société requérante se pourvoit en cassation contre le jugement du 4 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande de décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2013 et 2014 dans les rôles de la commune d'Aubière (Puy-de-Dôme) à raison d'un immeuble dont elle est propriétaire dans cette commune dont la compétence en matière de traitement et de collecte des ordures ménagères a été transférée à la communauté d'agglomération de Clermont-Ferrand. La requérante soutient que les délibérations des 22 mars 2013 et 22 avril 2014 du conseil de cette communauté d'agglomération fixant respectivement le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les années 2013 et 2014 sont illégales en raison d'une disproportion manifeste du taux de la taxe par rapport aux dépenses nécessaires à l'exploitation du service.

2. D'une part, aux termes des dispositions du I de l'article 1520 du code général des impôts, applicable aux établissements publics de coopération intercommunale, dans sa rédaction applicable à l'imposition en cause : " Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal (...) ". La taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées. Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu'il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) A compter du 1er janvier 1993, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale ainsi que les syndicats mixtes qui n'ont pas institué la redevance prévue à l'article L. 2333-76 créent une redevance spéciale afin d'assurer l'élimination des déchets visés à l'article L. 2224-14 (...) Cette redevance est calculée en fonction de l'importance du service rendu et notamment de la quantité des déchets éliminés. Elle peut toutefois être fixée de manière forfaitaire pour l'élimination de petites quantités de déchets. (...) ". Les déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du même code sont les déchets non ménagers que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que l'instauration de la redevance spéciale est obligatoire en l'absence de redevance d'enlèvement des ordures ménagères, d'autre part, que, compte tenu de ce qui a été dit au point 2, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas pour objet de financer l'élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale n'aurait pas été instituée.

4. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient au juge de l'impôt, pour apprécier la légalité d'une délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales et quel qu'en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée.

5. En premier lieu, la somme des excédents de fonctionnement résultant de l'exécution des budgets des années précédentes et reportée en section de fonctionnement sous le nom " d'excédent de fonctionnement antérieur reporté " ne revêt pas, par nature, un caractère récurrent et ne peut, dès lors, être regardée comme une recette non fiscale de la section de fonctionnement au sens des dispositions de l'article L. 2331-2 du code général des collectivités territoriales qui, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, prévoit que " Les recettes non fiscales de la section de fonctionnement comprennent : (...) 12° : toutes les autres recettes annuelles et permanentes ". Elle ne figure pas davantage au nombre des autres recettes non fiscales de la section de fonctionnement énumérées par les dispositions des articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable.

6. Par suite, en excluant expressément le report de l'excédent de la section de fonctionnement résultant de l'exécution du budget des années antérieures, d'un montant de 2 957 134 euros, du calcul permettant, en application de la règle rappelée au 2, d'apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères au regard du coût du service de collecte et de traitement des déchets ménagers non couverts par des recettes ordinaires non fiscales, le tribunal administratif, qui a suffisamment motivé son jugement, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En deuxième lieu, le tribunal administratif, pour écarter le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité des délibérations des 22 mars 2013 et 22 avril 2014 fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour les années 2013 et 2014, s'est fondé, d'une part, sur ce qu'il ressortait des annexes des budgets primitifs des années en cause relatives aux ordures ménagères et assimilées, qu'en 2013 le produit estimé de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères était inférieur de 3 392 634 euros au montant nécessaire pour couvrir le coût du service diminué des recettes non fiscales, et qu'en 2014, il était inférieur de 4 785 645 euros au montant nécessaire pour couvrir le coût du service diminué des recettes non fiscales. Il a d'autre part relevé qu'à supposer, comme le soutenait la société requérante, que le coût de traitement des déchets non ménagers représenterait, pour les années 2013 et 2014, environ 15 % du coût global de la gestion du service des ordures ménagères, il n'en résultait pas que les délibérations étaient entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

8. Dès lors que les données prévisionnelles relatives au coût du service et au produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères issues du budget primitif avaient été produites à l'instance, c'est sans commettre d'erreur de droit que le tribunal s'est fondé sur ces données pour apprécier la légalité de la délibération fixant le taux de la taxe et non sur les données d'exécution résultant du rapport annuel sur le prix et la qualité du service public d'enlèvement des déchets ménagers de l'année 2013 et du compte administratif de l'année 2014, que la société requérante ne pouvait pas utilement invoquer en l'espèce. Le tribunal n'a, pour les mêmes motifs, pas davantage entaché son jugement d'insuffisance de motivation en s'abstenant de statuer sur l'argumentation tirée de ces derniers documents.

9. Par ailleurs, il résulte des données chiffrées, non arguées de dénaturation, relevées par le tribunal administratif, qu'en supposant, comme le soutenait la société requérante que le coût de traitement des déchets non ménagers représentait environ 15% des coûts totaux du service de collecte et de traitement des ordures ménagères, l'excédent du produit estimé de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le coût du service des seuls déchets ménagers non couvert par des recettes ordinaires non fiscales s'élevait à environ 10 % en 2013 et 4,3 % en 2014. Il en découle qu'en jugeant que les délibérations en cause n'étaient pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation, le tribunal, qui n'a pas méconnu ni les règles rappelées aux points 2 à 4, ni les règles de dévolution de la charge de la preuve, n'a pas entaché son jugement de dénaturation.

10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le pourvoi de la société requérante doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la SA Auchan France est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Auchan France et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 414056
Date de la décision : 25/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-03-05-03 CONTRIBUTIONS ET TAXES. IMPOSITIONS LOCALES AINSI QUE TAXES ASSIMILÉES ET REDEVANCES. TAXES ASSIMILÉES. TAXE D'ENLÈVEMENT DES ORDURES MÉNAGÈRES. - TEOM - 1) A) OBJET - COUVERTURE DES DÉPENSES EXPOSÉES PAR UNE COMMUNE POUR ASSURER L'ENLÈVEMENT ET LE TRAITEMENT DES ORDURES MÉNAGÈRES NON COUVERTES PAR DES RECETTES NON FISCALES - ETENDUE DES DÉPENSES COUVERTES - DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT RÉELLES EXPOSÉES POUR LE SERVICE PUBLIC DE COLLECTE ET DE TRAITEMENT DES DÉCHETS MÉNAGERS ET DOTATIONS AUX AMORTISSEMENTS DES IMMOBILISATIONS QUI LUI SONT AFFECTÉES [RJ1] - B) CONSÉQUENCE - PRODUIT ET DONC TAUX DE LA TAXE NE DEVANT PAS ÊTRE MANIFESTEMENT DISPROPORTIONNÉS PAR RAPPORT AU MONTANT DE TELLES DÉPENSES [RJ2] - 2) OFFICE DU JUGE DE L'IMPÔT SAISI DE LA LÉGALITÉ D'UNE DÉLIBÉRATION FIXANT LE TAUX DE LA TAXE - PRODUIT DE LA TAXE NON MANIFESTEMENT DISPROPORTIONNÉ PAR RAPPORT AU COÛT DE COLLECTE ET DE TRAITEMENT DES DÉCHETS MÉNAGERS NON COUVERTS PAR LES RECETTES NON FISCALES AFFECTÉES À CES OPÉRATIONS - NOTION DE RECETTES NON FISCALES - REPORT DE L'EXCÉDENT DE LA SECTION DE FONCTIONNEMENT - EXCLUSION.

19-03-05-03 1) a) La taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Ces dépenses sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées.... ,,b) Il en résulte que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu'il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux.... ,,2) Il appartient au juge de l'impôt, pour apprécier la légalité d'une délibération fixant le taux de la TEOM, que la collectivité ait ou non institué la redevance spéciale prévue par l'article L. 2333-78 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et quel qu'en soit le produit, de rechercher si le produit de la taxe, tel qu'estimé à la date de l'adoption de la délibération, n'est pas manifestement disproportionné par rapport au coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, tel qu'il pouvait être estimé à cette même date, non couvert par les recettes non fiscales affectées à ces opérations, c'est-à-dire n'incluant pas le produit de la redevance spéciale lorsque celle-ci a été instituée.... ,,La somme des excédents de fonctionnement résultant de l'exécution des budgets des années précédentes et reportée en section de fonctionnement sous le nom d'excédent de fonctionnement antérieur reporté ne revêt pas, par nature, un caractère récurrent et ne peut, dès lors, être regardée comme une recette non fiscale de la section de fonctionnement au sens des dispositions de l'article L. 2331-2 du CGCT qui, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige, prévoit que Les recettes non fiscales de la section de fonctionnement comprennent : (…) 12° : toutes les autres recettes annuelles et permanentes. Elle ne figure pas davantage au nombre des autres recettes non fiscales de la section de fonctionnement énumérées par les dispositions des articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du CGCT, dans sa rédaction alors applicable.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 19 mars 2018, SAS Cora, n° 402946, à mentionner aux Tables.,,

[RJ2]

Cf. CE, 31 mars 2014, Min. c/ Société Auchan France, n°s 368111, 368123, 368124, T. p. 623.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2018, n° 414056
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Liza Bellulo
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:414056.20180625
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