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21/06/2018 | FRANCE | N°416353

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 21 juin 2018, 416353


Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Les productions de la Plume et M. B... M'A... M'A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 janvier 2014 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a interdit la représentation à Saint-Herblain du spectacle " Le Mur " prévue le 9 janvier 2014, de condamner l'Etat à leur verser solidairement les sommes de 250 000 euros en réparation de la perte de la recette du spectacle et 50 000 euros au titre de la privation de la vente des produits dérivés et

de condamner l'Etat à verser à M. M'A... M'A... la somme d'un million ...

Vu la procédure suivante :

La société à responsabilité limitée (SARL) Les productions de la Plume et M. B... M'A... M'A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 7 janvier 2014 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a interdit la représentation à Saint-Herblain du spectacle " Le Mur " prévue le 9 janvier 2014, de condamner l'Etat à leur verser solidairement les sommes de 250 000 euros en réparation de la perte de la recette du spectacle et 50 000 euros au titre de la privation de la vente des produits dérivés et de condamner l'Etat à verser à M. M'A... M'A... la somme d'un million d'euros en réparation du préjudice moral subi du fait de l'annulation du spectacle et des évènements qui l'ont entouré.

Par un jugement n° 1401853 du 20 mai 2016, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 16NT02325 du 6 octobre 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'ils ont formé contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 décembre 2017 et le 5 mars 2018 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Les productions de la Plume et M. M'A... M'A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion ;

- la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Paul-François Schira, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la SARL Les productions de la Plume et de M. B...M'A... M'A... ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Les productions de la Plume et M. B...M'A... M'A... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 6 octobre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel qu'ils avaient formé à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Nantes du 20 mai 2016 rejetant leur demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 7 janvier 2014 portant interdiction de la représentation du spectacle " Le Mur ", prévue à la salle du Zénith de la commune de Saint-Herblain, et à l'indemnisation des préjudices résultant pour eux de cette interdiction.

2. Il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public. Le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public. L'autorité investie du pouvoir de police peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire une manifestation qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine.

3. L'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie ainsi que l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.

4. Dans l'hypothèse où l'autorité investie du pouvoir de police administrative cherche à prévenir la commission d'infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public, la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures s'apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l'imminence de la commission de ces infractions, ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l'ordre public qui pourraient en résulter. Pour apprécier la nécessité d'interdire la représentation d'un spectacle, cette autorité peut tenir compte d'éléments tels que l'existence de condamnations pénales antérieures sanctionnant des propos identiques à ceux susceptibles d'être tenus à l'occasion de nouvelles représentations de ce spectacle, l'importance donnée aux propos incriminés dans la structure même du spectacle, la publicité à laquelle ils donnent lieu, leur caractère répétitif et délibéré, ainsi que les atteintes à la dignité de la personne humaine qui pourraient en résulter.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le spectacle de M. M'A... M'A... intitulé " Le Mur " contenait, dans la version qui en était donnée à la date de l'arrêté attaqué, des propos et des gestes, pénalement répréhensibles, de nature à provoquer à la haine et la discrimination raciales et à faire, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des persécutions et exterminations perpétrées au cours de la seconde Guerre Mondiale. M. M'A... M'A..., condamné pénalement à plusieurs reprises pour des propos identiques, non seulement ne s'était pas engagé à ne plus les tenir mais encore les avait délibérément maintenus dans les dernières représentations de son spectacle données avant celui qui était programmé le 9 janvier 2014 à Saint-Herblain. En jugeant, au vu de ces éléments exempts de toute inexactitude matérielle, qu'un tel comportement était susceptible, même en l'absence de circonstances particulières, de porter atteinte à la dignité de la personne humaine, la cour administrative d'appel de Nantes n'a entaché son arrêt ni d'erreur de droit ni d'inexacte qualification juridique des faits. En en déduisant, au vu du caractère certain et de l'imminence du trouble à l'ordre public que provoquerait la tenue du spectacle ainsi que de la gravité de l'atteinte que sa réalisation porterait à la dignité humaine, que l'interdiction décidée par l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique, qui était la seule mesure de nature à empêcher la survenance de ce trouble, ne portait pas, même en l'absence de risques de troubles matériels à l'ordre public, une atteinte excessive aux libertés d'expression et de réunion, la cour n'a pas davantage entaché son arrêt d'inexactitude matérielle, d'erreur de droit ni d'inexacte qualification juridique.

6. Il résulte de ce qui précède que la SARL Les productions de la Plume et M. M'A... M'A... ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 6 octobre 2017, qui est suffisamment motivé. Leur pourvoi doit donc être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la SARL Les productions de la Plume et de M. M'A... M'A... est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SARL Les productions de la Plume, à M. B... M'A... M'A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416353
Date de la décision : 21/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2018, n° 416353
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Paul-François Schira
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:416353.20180621
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