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13/04/2018 | FRANCE | N°399794

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 13 avril 2018, 399794


Vu la procédure suivante :

La société UPM France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 962 224,08 euros, majorée des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation du préjudice subi au cours de la période du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008 du fait du défaut de transposition du paragraphe 1 de l'article 14 de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003. Par un jugement n° 1009117 du 17 juillet 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé un non-lieu partiel à hauteur de la

somme de 137 931 euros, puis a rejeté le surplus de sa demande.

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Vu la procédure suivante :

La société UPM France a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 962 224,08 euros, majorée des intérêts légaux et de leur capitalisation, en réparation du préjudice subi au cours de la période du 1er janvier 2004 au 31 mars 2008 du fait du défaut de transposition du paragraphe 1 de l'article 14 de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003. Par un jugement n° 1009117 du 17 juillet 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a prononcé un non-lieu partiel à hauteur de la somme de 137 931 euros, puis a rejeté le surplus de sa demande.

Par un arrêt n° 13VE02953 du 15 mars 2016, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel de la société UPM France contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 17 mai et 22 juillet 2016 et le 27 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société UPM France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) à titre subsidiaire, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;

3°) au vu de la décision n° 387833 du 18 janvier 2017 par laquelle le Conseil d'Etat a sursis à statuer et saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle dans une affaire de même nature, de prononcer également un sursis à statuer dans la présente affaire tout en ordonnant sa jonction avec le pourvoi n° 387833, afin de lui permettre de développer des observations devant la Cour ;

4°) de compléter, à cette occasion, la question préjudicielle dont la Cour a été saisie dans l'affaire n° 387833 ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 ;

- la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 ;

- le code des douanes ;

- l'arrêt C-226/07 du 17 juillet 2008 de la Cour de justice des Communautés européennes ;

- l'arrêt C-31/17 du 7 mars 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la société UPM France.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société UPM France exploite, pour les besoins de son activité de fabrication de papier, une installation de cogénération de chaleur et d'électricité, pour laquelle elle utilise du gaz naturel comme combustible. Le gaz qui lui a été livré entre le 1er janvier 2004 et le 1er avril 2008 a été soumis par son fournisseur, qui en a acquitté le montant, à la taxe intérieure de consommation de gaz naturel prévue à l'article 266 quinquies du code des douanes. Estimant que la fraction de ces livraisons consommée pour produire de l'électricité aurait dû être exonérée de cette taxe conformément aux prévisions de l'article 14 de la directive du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, elle a demandé le remboursement de la taxe ainsi supportée, ainsi que l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait du retard de l'Etat à transposer cette directive. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 mars 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté son appel contre le jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui, après avoir constaté un non-lieu partiel à statuer à concurrence des sommes remboursées au titre de la période du 1er janvier 2007 au 31 mars 2008, a rejeté le surplus de sa demande d'indemnisation.

2. Il ressort des dispositions de l'article 266 quinquies du code des douanes, dans ses rédactions successives applicables à la période en litige, que les livraisons de gaz naturel destiné à être utilisé comme combustible pour la production d'électricité sont exonérées de la taxe intérieure de consommation de gaz naturel. Toutefois, les livraisons de gaz destiné à être utilisé dans des installations de cogénération, pour la production combinée de chaleur et d'électricité, ne bénéficient pas de cette exonération, sauf, à compter du 1er janvier 2007, si les producteurs de l'électricité issue de ces installations, d'une part, ne sont pas titulaires d'un contrat au titre de l'obligation d'achat prévue par la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, d'autre part, renoncent au bénéfice de l'exonération spécifique prévue à l'article 266 quinquies A du même code. Ce dernier prévoit, pour les seules installations mises en service au plus tard le 31 décembre 2007, une exonération du gaz utilisé pendant une durée limitée à cinq ans à compter de cette mise en service. En application de ces dispositions combinées, le gaz utilisé par l'exposante dans son installation de cogénération n'a pas été exonéré de la taxe intérieure de consommation de gaz naturel.

3. L'article 14 de la directive du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité prévoit, à son paragraphe 1, que " (...) sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres exonèrent les produits suivants de la taxation, selon les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et claire de ces exonérations et d'empêcher la fraude, l'évasion ou les abus : / a) les produits énergétiques et l'électricité utilisés pour produire de l'électricité et l'électricité utilisée pour maintenir la capacité de produire de l'électricité. Toutefois, les États membres peuvent taxer ces produits pour des raisons ayant trait à la protection de l'environnement et sans avoir à respecter les niveaux minima de taxation prévus par la présente directive. (...) ". Aux termes de l'article 15 de cette directive : " 1. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les États membres peuvent appliquer sous contrôle fiscal des exonérations totales ou partielles ou des réductions du niveau de taxation : / (...) c) aux produits énergétiques et à l'électricité utilisés pour la production combinée de chaleur et d'énergie ; (...) ". Le troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21 prévoit en outre que " Une entité qui produit de l'électricité pour son propre usage est considérée comme un distributeur. Nonobstant les dispositions de l'article 14, paragraphe 1, point a), les États membres peuvent exonérer les petits producteurs d'électricité, pour autant qu'ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité. ". Aux termes de l'article 28 de cette directive : " 1. Les États membres adoptent et publient les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 31 décembre 2003. (...) / 2. Ils appliquent les présentes dispositions à partir du 1er janvier 2004 (...) ". Enfin, aux termes du second alinéa du paragraphe 10 de son article 18 : " La République française peut appliquer une période transitoire allant jusqu'au 1er janvier 2009 pour adapter son système actuel de taxation de l'électricité aux dispositions prévues dans la présente directive. Jusqu'à cette date, la moyenne du niveau global de la taxation locale actuelle de l'électricité est prise en compte pour évaluer le respect des taux minima fixés dans la présente directive ".

4. Devant la cour administrative d'appel, la société soutenait que, pour la production combinée de chaleur et d'énergie, l'article 14 de la directive fait obligation aux Etats membres d'exonérer la part du gaz dont la consommation correspond à la production d'électricité, la faculté d'exonération ouverte par l'article 15 ne portant que sur la part correspondant à la génération de chaleur. Par l'arrêt attaqué, la cour, qui n'a pas méconnu la portée des conclusions de la société, a jugé que le gaz naturel qu'elle utilisait relevait exclusivement des dispositions de l'article 15 de la directive, et non de son article 14, et que son régime de taxation n'était pas dissociable selon qu'il était destiné à la production de chaleur ou à la production d'électricité.

5. La société soutient que la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que le gaz naturel qu'elle utilise relevait exclusivement des dispositions de l'article 15 de la directive. Ce moyen est fondé. En effet, dans son arrêt du 17 mars 2018, affaire C-31/17, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens que l'exonération obligatoire prévue par cette disposition s'applique aux produits énergétiques utilisés pour la production d'électricité lorsque ces produits sont utilisés pour la production combinée d'électricité et de chaleur, au sens de l'article 15, paragraphe 1, sous c) de cette directive.

6. Toutefois, le ministre soutient devant le Conseil d'Etat qu'à supposer même que l'article 15 de la directive ne soit pas la seule disposition applicable à la situation de la société requérante, la taxation litigieuse est conforme aux objectifs de la directive, dès lors que le a) du 1 de son article 14 doit être lu à la lumière du troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21, duquel il résulte, selon lui, que l'exonération de gaz naturel utilisé pour produire de l'électricité est subordonnée à la taxation de l'électricité produite. Il déduit de ce que l'électricité que la société requérante produisait et utilisait n'était pas taxée que le gaz utilisé pour produire cette électricité a pu l'être en conformité avec les objectifs de la directive. La société requérante réplique que ce moyen est inopérant, dès lors que la France n'a fait usage de la faculté offerte par le troisième alinéa du paragraphe 5 de l'article 21 qu'à compter de 2011, postérieurement aux années concernées par le litige.

7. En vertu des dispositions, citées au point 3, du second alinéa du paragraphe 10 de l'article 18 de la directive du 27 octobre 2003, la France bénéficiait, jusqu'au 1er janvier 2009, d'une période transitoire pour adapter son système de taxation de l'électricité avant d'instaurer l'accise harmonisée. Elle était seulement tenue, pendant cette période, de respecter les taux minimaux fixés par la directive. Ainsi, la France n'avait pas introduit de taxation nationale de l'électricité pendant la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 restant en litige. Seule la contribution au service public de l'électricité, prélèvement de nature fiscale, ainsi que des taxes locales, alors assises sur le montant hors taxe de la facture d'électricité, frappaient la consommation d'électricité. Les entités produisant de l'électricité pour leur propre usage n'acquittaient cependant que la contribution au service public de l'électricité, les impositions locales ne frappant que l'électricité livrée au consommateur final. Ce n'est qu'à compter de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité qu'a été créé, à l'article 266 quinquies C du code des douanes, applicable à compter du 1er janvier 2011, une nouvelle imposition, la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, sans que les règles relatives à la contribution au service public de l'électricité ne soient par ailleurs modifiées. Cet article a notamment instauré une exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité en faveur des petits producteurs d'électricité qui la consomment pour les besoins de leur activité, définis comme ceux qui exploitent des installations dont la production annuelle n'excède pas 240 millions de kilowattheures par site.

8. La réponse à l'argumentation du ministre en défense rappelée au point 6 ci-dessus dépend, en premier lieu, de la question de savoir si les dispositions du troisième alinéa du paragraphe 5 de l'article 21 de la directive doivent être interprétées en ce sens que l'exonération dont elles autorisent les Etats membres à faire bénéficier les petits producteurs d'électricité, pour autant qu'ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité, peut résulter d'une situation, telle que celle qui a été décrite au point 7 ci-dessus pour la période antérieure au 1er janvier 2011, pendant laquelle la France, comme l'y autorisait la directive, n'avait pas encore instauré la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ni, par voie de conséquence, d'exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs. Cette question n'a pas encore été tranchée par la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts du 17 juillet 2008, affaire C-226/07, et du 17 mars 2018, affaire C-31/17, .

9. En cas de réponse positive à cette première question, la réponse à l'argumentation du ministre en défense dépend, en second lieu, de la question de savoir comment doivent être combinées les dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 14 de la directive et celles du troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21 pour les petits producteurs qui consomment l'électricité qu'ils produisent pour les besoins de leur activité. Il s'agit notamment de savoir si elles impliquent une taxation minimale résultant soit de la taxation de l'électricité produite avec exonération du gaz naturel utilisé, soit d'une exonération de taxe sur la production d'électricité, l'Etat étant alors tenu de taxer le gaz naturel utilisé .

10. Les questions posées aux points 8 et 9 sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat. Elles présentent une difficulté sérieuse. Il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application des dispositions de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur le pourvoi de la société UPM France.

D E C I D E :

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Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi de la société UPM France jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :

1- les dispositions du troisième alinéa du paragraphe 5 de l'article 21 de la directive doivent-elles être interprétées en ce sens que l'exonération dont elles autorisent les Etats membres à faire bénéficier les petits producteurs d'électricité, pour autant qu'ils taxent les produits énergétiques utilisés pour produire cette électricité, peut résulter d'une situation, telle que celle qui a été décrite au point 7 de la présente décision pour la période antérieure au 1er janvier 2011, pendant laquelle la France, comme l'y autorisait la directive, n'avait pas encore instauré la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ni, par voie de conséquence, d'exonération de cette taxe en faveur des petits producteurs '

2- en cas de réponse positive à la première question, comment les dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 14 de la directive et celles du troisième alinéa du paragraphe 5 de son article 21 pour les petits producteurs qui consomment l'électricité qu'ils produisent pour les besoins de leur activité doivent-elles être combinées ' Notamment, impliquent-elles une taxation minimale résultant soit de la taxation de l'électricité produite avec exonération du gaz naturel utilisé, soit d'une exonération de taxe sur la production d'électricité, l'Etat étant alors tenu de taxer le gaz naturel utilisé '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société UPM France, au Premier ministre, au ministre de l'action et des comptes publics et au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 399794
Date de la décision : 13/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 avr. 2018, n° 399794
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:399794.20180413
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