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11/04/2018 | FRANCE | N°409512

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 11 avril 2018, 409512


Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...E...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours qu'ils avaient formé devant elle à l'encontre de la décision du consul général de France à Dar-es-Salam (Tanzanie) refusant de délivrer à M. E...un visa de long séjour pour établissement familial en tant que conjoint d'une ressortissante française, ainsi que la décision du 22 septembre 2014 par laquelle le m

inistre de l'intérieur a rejeté la demande de visa long séjour présentée...

Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...E...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours qu'ils avaient formé devant elle à l'encontre de la décision du consul général de France à Dar-es-Salam (Tanzanie) refusant de délivrer à M. E...un visa de long séjour pour établissement familial en tant que conjoint d'une ressortissante française, ainsi que la décision du 22 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de visa long séjour présentée par M.E.... Par un jugement n° 1404407 du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Nantes a annulé ces décisions et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. E...un visa de long séjour dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

Par un arrêt n° 16NT03874 du 22 mars 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la demande du ministre de l'intérieur tendant à ce que la cour prononce le sursis à exécution de ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 3 avril 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de sursis, de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 octobre 2016.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1996 ;

- la convention internationale de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Odinot, auditeur,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. et MmeE....

1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement " ;

2. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par l'article 1er de son jugement du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et MmeE..., la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours qu'ils avaient formé devant elle à l'encontre de la décision du consul général de France à Dar-es-Salam (Tanzanie) refusant de délivrer à M. E...un visa de long séjour pour établissement familial en tant que conjoint d'une ressortissante française, ainsi que la décision du 22 septembre 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de visa long séjour présentée par M. E... ; que, par l'article 2 de son jugement, le tribunal administratif a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. E...un visa de long séjour dans un délai de deux mois à compter de sa notification ; que le ministre de l'intérieur a fait appel de ce jugement ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête du ministre de l'intérieur tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, au motif qu'aucun des moyens invoqués par le ministre ne paraissait de nature à justifier, en l'état de l'instruction, ni, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours présenté par M. et MmeE..., ni à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'article 2 du jugement attaqué lui enjoignant de délivrer à M. D...un visa de long séjour ;

3. Considérant qu'aux termes du 4ème alinéa de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " (...) le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public " ; qu'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français le visa qu'il sollicite afin de mener une vie familiale normale ; qu'elles ne peuvent opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public ; qu'elles peuvent, sur un tel fondement, opposer un refus aux demandeurs ayant été impliqués dans la commission de crimes graves contre les personnes et dont la venue en France, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de leur présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge d'appel que si M. E...a été acquitté par la chambre d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda des crimes d'entente en vue de commettre le génocide et d'incitation directe et publique à commettre le génocide, il a cependant, après avoir exercé, en 1990 les fonctions de secrétaire général du ministère de la justice et occupé des fonctions importantes au sein du mouvement républicain national pour la démocratie et le développement alors que ce parti se radicalisait et organisait des milices armées en vue de la préparation du génocide, exercé des fonctions gouvernementales au Rwanda de décembre 1991 à juillet 1994, dont celles de ministre de la fonction publique, pendant toute la durée des massacres d'avril à juillet 1994, dans le gouvernement dirigé par M. A...C..., condamné quant à lui pour génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda ; que M. E...a ainsi continué à exercer d'importantes fonctions ministérielles, ce qu'il ne contestait pas, jusqu'à la chute du gouvernement responsable de ces massacres ; qu'en retenant que le moyen tiré de ce que la présence en France de M. E...constituait une menace à l'ordre public s'opposant à sa venue sur le territoire ne paraissait pas, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de visa, la cour administrative d'appel de Nantes a dénaturé les pièces du dossier ; que le ministre de l'intérieur est fondé à demander pour ce motif, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

5. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de sursis engagée par le ministre de l'intérieur, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

6. Considérant qu'à l'appui de sa demande de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes, le ministre fait valoir que nonobstant la situation familiale de l'intéressé, la venue en France de M. E...serait, eu égard à sa participation, pendant toute la durée des massacres perpétrés au Rwanda d'avril à juillet 1994, au gouvernement de ce pays en qualité de ministre de la fonction publique, et alors même que, d'une part, il a été acquitté par la chambre d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda des chefs d'accusation de génocide pour lesquels il était personnellement poursuivi, et que, d'autre part, le conseil de sécurité des Nations Unies a demandé aux Etats membres de faciliter la réinstallation des personnes acquittées par ce tribunal, de nature à porter atteinte à l'ordre public ; que un tel moyen paraît en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes ;

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 22 mars 2017 est annulé.

Article 2 : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête d'appel formée par le ministre de l'intérieur contre le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 11 octobre 2016, il sera sursis à l'exécution de ce jugement.

Article 3 : les conclusions présentées par M. et Mme E...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à M. et Mme B...E....


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 409512
Date de la décision : 11/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 avr. 2018, n° 409512
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Odinot
Rapporteur public ?: M. Gilles Pellissier
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:409512.20180411
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