Vu la procédure suivante :
L'office public d'HLM (OPHLM) Mistral Habitat a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Roussillon (Vaucluse) à lui payer, d'une part, la somme de 494 050,06 euros, représentant le coût des travaux engagés sur un terrain faisant l'objet d'un bail emphytéotique et, d'autre part, une somme à déterminer ultérieurement représentant la remise en état du terrain, telle qu'ordonnée par un jugement du tribunal de grande instance d'Avignon. Par un jugement n° 1302248 du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 15MA04347 du 19 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de l'OPHLM Mistral Habitat, annulé ce jugement et rejeté la demande de l'OPHLM.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février et 22 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'OPHLM Mistral Habitat demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit entièrement à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Roussillon la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de l'office public d'HLM Mistral Habitat et à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de la commune de Roussillon.
1. Considérant qu'il ressort des pièces soumises aux juges du fond que, d'une part, l'office public d'HLM (OPHLM) Mistral Habitat, établissement public à caractère administratif, et la commune de Roussillon (Vaucluse) ont conclu, le 27 juillet 2007, un bail emphytéotique d'une durée de cinquante-cinq années, par lequel la commune a donné à bail diverses parcelles à cet office public, locataire, qui s'est engagé à édifier douze logements sociaux, conformément au permis de construire délivré le 11 mai 2006 par le préfet de Vaucluse ; que, par un jugement du 12 avril 2008, le tribunal administratif de Nîmes a annulé ce permis de construire ; que, par un arrêt du 25 novembre 2010, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé contre ce jugement ; que l'OPHLM Mistral Habitat a formé une nouvelle demande de permis de construire ; que, par un arrêté du 26 juillet 2011, le maire de la commune de Roussillon a rejeté cette demande ; que, par un jugement du 5 octobre 2012, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de l'OPHLM Mistral Habitat tendant à l'annulation de cette décision ; que, par un arrêt du 26 novembre 2013, l'appel formé contre ce jugement du 5 octobre 2012 a été rejeté par la cour administrative d'appel de Marseille ;
2. Considérant que, d'autre part, par un jugement du 12 mars 2013 devenu définitif, le tribunal de grande instance d'Avignon a constaté la résiliation de plein droit, au 14 mai 2011, du bail conclu le 27 juillet 2007 entre l'OPHLM Mistral Habitat et la commune de Roussillon, ordonné l'expulsion de l'office public du domaine privé communal, rejeté les demandes de dommages-intérêts formées par l'OPHLM et l'a condamné à remettre les parcelles louées en l'état sous astreinte ; que, par un jugement du 7 novembre 2013, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon a autorisé la commune de Roussillon à faire procéder aux travaux de remise en état ; que, par un arrêt du 16 avril 2015, la cour d'appel de Nîmes a condamné l'OPHLM à payer à la commune de Roussillon la somme de 63 900 euros au titre de la remise en état des lieux ;
3. Considérant qu'enfin, par un courrier du 14 juin 2013, l'OPHLM Mistral Habitat a saisi la commune de Roussillon d'une demande indemnitaire, fondée sur la mauvaise foi de la commune dans l'exécution de ses obligations contractuelles, correspondant au montant des travaux qu'il avait effectués, s'élevant à la somme de 494 050,06 euros TTC ; que la commune de Roussillon a, par courrier du 29 juillet 2013, refusé de faire droit à cette demande ; que, par un jugement du 1er octobre 2015, le tribunal administratif de Nîmes, saisi par l'OPHLM Mistral Habitat à fin de condamnation de la commune de Roussillon, a rejeté sa demande pour incompétence de la juridiction administrative ; que, par un arrêt du 19 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille, a annulé ce jugement, au motif que la juridiction administrative était compétente pour connaître du litige, et rejeté la demande formée par l'office public devant le tribunal administratif de Nîmes ; que l'OPHLM Mistral Habitat se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a rejeté sa demande présentée devant le tribunal administratif ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux : " Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime, en vue de l'accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de sa compétence (...). Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif (...) " ; qu'aux termes des dispositions du 4° de l'article L. 1311-3 du même code : " Les litiges relatifs [aux baux passés en application de l'article L. 1311-2] sont de la compétence des tribunaux administratifs " ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces soumises aux juges du fond que le bail conclu le 27 juillet 2007 entre l'OPHLM Mistral Habitat et la commune de Roussillon avait pour objet de mettre des terrains à la disposition de cet office public en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de la compétence de cette collectivité territoriale ; qu'ainsi que l'a jugé la cour, le litige relève de la compétence de la juridiction administrative ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
6. Considérant que l'autorité relative de la chose jugée par le juge civil ne peut être utilement invoquée en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties ; qu'en particulier, lorsque la demande porte sur des chefs de préjudices distincts de ceux sur lesquels le juge civil a statué, l'autorité de chose jugée ne peut être opposée au demandeur, la condition tenant à l'identité d'objet n'étant pas satisfaite ;
7. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Marseille, pour rejeter la demande formée par l'OPHLM Mistral Habitat, a estimé que l'autorité de la chose jugée par le jugement rendu le 12 mars 2013 faisait obstacle à ce que les prétentions de l'office public puissent être accueillies ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, devant le tribunal de grande instance d'Avignon, les conclusions indemnitaires de l'OPHLM étaient fondées sur l'existence d'un " manque à gagner ", qu'il a estimé à une somme de 20 000 euros ; que, devant le tribunal administratif de Nîmes, l'OPHLM a notamment demandé le versement par la commune de Roussillon d'une indemnisation des travaux effectués sur le terrain objet du bail, qu'il a estimé à une somme d'environ 500 000 euros ; que la cour, en opposant à la demande formée par l'office public l'autorité de chose jugée par la juridiction civile, alors que celle-ci portait sur des chefs de préjudice distincts de ceux sur lesquels le tribunal de grande instance d'Avignon avait statué, a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, par suite, l'OPHLM Mistral Habitat est fondé à en demander l'annulation en tant qu'il rejette sa demande présentée devant le tribunal administratif ;
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Roussillon le versement d'une somme de 3 000 euros à l'OPHLM Mistral Habitat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'OPHLM Mistral Habitat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 19 décembre 2016 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté la demande présentée par l'OPHLM Mistral Habitat devant le tribunal administratif de Nîmes.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : La commune de Roussillon versera à l'OPHLM Mistral Habitat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la commune de Roussillon tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'office public d'HLM Mistral Habitat et à la commune de Roussillon.