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28/03/2018 | FRANCE | N°415311

France | France, Conseil d'État, 9ème chambre, 28 mars 2018, 415311


Vu les procédures suivantes :

1° La société à responsabilité limitée (SARL) Faraday a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source calculée sur les commissions qu'elle a versées à la société Eagle Vantage Limited au cours de l'exercice clos en 2012. Par un jugement n° 1603453 du 19 juin 2017, le tribunal a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 29 septembre 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles, par ailleurs saisie d'un appel contre ce jugement, la SARL Faraday a demandé

au juge des référés de cette cour de suspendre, sur le fondement des dispositio...

Vu les procédures suivantes :

1° La société à responsabilité limitée (SARL) Faraday a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge de la retenue à la source calculée sur les commissions qu'elle a versées à la société Eagle Vantage Limited au cours de l'exercice clos en 2012. Par un jugement n° 1603453 du 19 juin 2017, le tribunal a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 29 septembre 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles, par ailleurs saisie d'un appel contre ce jugement, la SARL Faraday a demandé au juge des référés de cette cour de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la mise en recouvrement de cette imposition. Par une ordonnance n° 17VE02997 du 12 octobre 2017, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 octobre et le 13 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 415311, la SARL Faraday demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° La SARL Faraday a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes, et de l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts. Par un jugement n° 1608850 du 19 avril 2017, le tribunal a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 8 septembre 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, par ailleurs saisie d'un appel contre ce jugement, la SARL Faraday a demandé au juge des référés de cette cour de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la mise en recouvrement de ces impositions. Par une ordonnance n° 17PA03050 du 17 octobre 2017, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 octobre et le 13 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat sous le n° 415312, la SARL Faraday demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Faraday Sarl.

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois présentés par la SARL Faraday concernent la situation de la même société et soulèvent des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Le contribuable qui a saisi le juge de l'impôt de conclusions tendant à la décharge d'une imposition à laquelle il a été assujetti est recevable à demander au juge des référés, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition, dès lors que celle-ci est exigible. Le prononcé de cette suspension est subordonné à la double condition, d'une part, qu'il soit fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la régularité de la procédure d'imposition ou sur le bien-fondé de l'imposition et, d'autre part, que l'urgence justifie la mesure de suspension sollicitée. Pour vérifier si la condition d'urgence est satisfaite, le juge des référés doit apprécier la gravité des conséquences que pourraient entraîner, à brève échéance, l'obligation de payer sans délai l'imposition ou les mesures mises en oeuvre ou susceptibles de l'être pour son recouvrement, eu égard aux capacités du contribuable à acquitter les sommes qui lui sont demandées.

4. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles et de la cour administrative d'appel de Paris que la SARL Faraday, qui exploite une boutique d'articles destinés à une clientèle de touristes chinois à Paris, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale a, d'une part, réintégré dans les résultats imposables des exercices clos en 2011 et 2012 la fraction des commissions versées en espèces à des guides et à des agences de voyage excédant 10 % des achats effectués par les clients apportés par ceux-ci et, d'autre part, sur le fondement de l'article 238 A du code général des impôts, réintégré dans le résultat de l'exercice clos en 2012 les sommes versées à la société Eagle Vantage Limited, établie à Hong-Kong, en vertu d'un contrat de prestations de services conclu le 29 février 2012 prévoyant notamment le règlement par son intermédiaire des commissions dues aux guides et aux agences de voyage apporteurs d'affaires, et soumis les produits correspondants à une retenue à la source sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.

Sur les conclusions dirigées contre l'ordonnance du 12 octobre 2017 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles :

5. En jugeant que le moyen tiré de ce que les sommes versées à la société Eagle Vantage Limited correspondaient à des prestations réelles n'était pas propre à créer un doute sérieux sur le bien-fondé des impositions en cause au motif que les documents produits faisaient apparaître des paiements forfaitaires de même montant chaque mois, alors que ces documents comprenaient, outre des factures d'honoraires forfaitaires, des factures de montant variable correspondant au total des commissions versées mensuellement aux guides et aux agences de voyage, précisant ligne par ligne la date de la vente, l'identité du guide et du client, le montant des achats effectués ainsi que le montant des commissions à verser, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles a entaché son ordonnance de dénaturation des pièces du dossier. Par suite, la SARL Faraday est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

Sur les conclusions dirigées contre l'ordonnance du 17 octobre 2017 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris :

6. En jugeant que la demande présentée par la SARL Faraday ne remplissait pas la condition d'urgence à laquelle l'article L. 521-1 du code de justice administrative subordonne la mesure de suspension, alors que les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et l'amende prononcée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts qui lui sont réclamées excèdent très largement les actifs qu'elle peut mobiliser sans mettre en péril la continuité de son exploitation, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier. Par suite, la SARL Faraday est fondée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

Sur la suspension sollicitée :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur les demandes de suspension présentées par la SARL Faraday en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative. Contrairement à ce que soutient le ministre, ces demandes sont recevables dans leur intégralité, alors même que la société n'aurait pas développé de moyens spécifiques à l'appui de ses conclusions tendant à la décharge de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts, dès lors que cette amende est calculée en fonction du montant des sommes réintégrées aux résultats imposables à l'impôt sur les sociétés.

8. En premier lieu, les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la SARL Faraday et l'amende prononcée à son encontre sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts s'élèvent à un montant de 1 330 496 euros, auquel s'ajoute une retenue à la source s'élevant, en droits et pénalités, à 182 513 euros, soit au total 1 513 009 euros. Or, au sein d'un actif du bilan s'élevant, au 31 décembre 2016, à 2 945 706 euros, les postes principaux sont constitués par le stock de marchandises, pour 1 535 934 euros, et les constructions, pour 662 862 euros, tandis que les disponibilités s'élèvent à 57 665 euros. Dès lors, les impositions et pénalités susceptibles d'être mises en recouvrement à brève échéance excèdent très largement les actifs que la société peut mobiliser sans mettre en péril la continuité de son exploitation. Dans ces conditions, la condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

9. En second lieu, aux termes de l'article 238 A du code général des impôts : " Les (...) rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en Franceà des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. / Pour l'application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ".

10. Au vu notamment du contrat de prestations de services conclu le 29 février 2012 entre la société requérante et la société Eagle Vantage Limited et des factures détaillées émises par cette dernière pour la période d'août à décembre 2012 et produites par la société à l'appui de sa demande de suspension, le moyen tiré de ce que les commissions versées correspondent à des opérations réelles au sens de l'article 238 A du code général des impôts et qu'elles ne peuvent donc pas être qualifiées de distributions occultes au sens du c de l'article 111 du même code est de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur le bien-fondé des impositions en litige.

11. Il résulte de ce qui précède que la SARL Faraday est fondée à demander la suspension de la mise en recouvrement des impositions qu'elle a contestées devant les cours administratives d'appel de Versailles et de Paris.

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à la SARL Faraday au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 12 octobre 2017 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles et l'ordonnance du 17 octobre 2017 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Paris sont annulées.

Article 2 : La mise en recouvrement de la retenue à la source calculée sur les commissions versées par la SARL Faraday à la société Eagle Vantage Limited au cours de l'exercice clos en 2012, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012 et des pénalités correspondantes, ainsi que de l'amende prononcée à son encontre sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts, est suspendue.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 5 000 euros à la SARL Faraday au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL Faraday et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème chambre
Numéro d'arrêt : 415311
Date de la décision : 28/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 mar. 2018, n° 415311
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Simon Chassard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415311.20180328
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