Vu la procédure suivante :
Par un jugement du 7 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a sursis à statuer sur le recours des sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane et SAS Citadelle dans le litige les opposant à la société Electricité de France (EDF) et saisi le tribunal administratif de Paris d'une question préjudicielle relative aux conditions dans lesquelles les producteurs ayant renvoyé une convention de raccordement au gestionnaire du réseau de distribution publique d'électricité avant l'entrée en vigueur du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 pouvaient bénéficier de l'obligation d'achat de l'électricité produite prévue par l'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 lorsqu'ils n'avaient pas conclu de contrat d'achat d'électricité à cette date.
Par un jugement n° 1702437 du 26 septembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté l'intervention de la société de Production des Energies Renouvelables (Soproder) et déclaré, en réponse à la question préjudicielle posée, qu'en l'absence de contrat d'achat d'électricité conclu avec la société EDF avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010, le bénéfice de l'obligation d'achat dans les conditions antérieurement applicables à ce décret n'est pas perdu pour un projet d'installation photovoltaïque pour lequel le producteur aurait renvoyé la proposition technique et financière ou la convention de raccordement direct avant le 2 décembre 2010, sous réserve dans ce cas de la mise en service de l'installation dans un délai de dix-huit mois suivant ce renvoi.
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 11 octobre et 10 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Citadelle et Soproder demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de dire, en réponse à la question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Paris que, même en l'absence de contrat d'achat d'électricité conclu avec la société EDF avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010, le bénéfice de l'obligation d'achat dans les conditions antérieurement applicables audit décret n'est pas perdu pour un projet d'installation photovoltaïque pour lequel le producteur aurait renvoyé la convention de raccordement direct avant le 10 décembre 2010 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
- le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;
- l'arrêté du 4 mars 2011 portant abrogation de l'arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- l'arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat des sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Citadelle, de Production Energies Renouvelables et de Soproder et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France.
Considérant ce qui suit :
1. Par trois demandes du 24 mai et du 5 août 2010, la société Solar Electric Guyane, agissant pour le compte des sociétés Citadelle et Soproder, a sollicité auprès de la société EDF le raccordement au réseau public de distribution d'électricité dans le cadre de trois projets d'installation de centrales photovoltaïques en Guyane. EDF a communiqué le 14 décembre 2010 trois conventions de raccordement, dont la société Solar Electric Guyane a renvoyé des exemplaires signés le 24 décembre 2010 et le 4 janvier 2011. EDF lui a alors indiqué que l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite était suspendue en application du décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil. Les sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Citadelle et Soproder ont saisi le tribunal de commerce de Paris de trois actions en responsabilité délictuelle à l'encontre d'EDF afin d'obtenir la réparation des préjudices causés par l'abandon de leurs projets, résultant selon elles de l'envoi tardif des conventions de raccordement qui les a privées de la possibilité de bénéficier des tarifs d'achat de l'électricité applicables avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010. Par trois jugements du 7 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a sursis à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Paris se prononce sur la question préjudicielle suivante : " en l'absence de contrat d'achat d'électricité conclu avec la société EDF avant l'entrée en vigueur du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010, le bénéfice de l'obligation d'achat dans les conditions antérieurement applicables audit décret peut-il être considéré comme perdu pour un projet d'installation photovoltaïque pour lequel un producteur aurait par ailleurs retourné acceptée une convention de raccordement au réseau de distribution publique d'électricité avant son entrée en vigueur ' ". Les sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane, Citadelle et Soproder se pourvoient contre le jugement du 26 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris s'est prononcé sur cette question.
Sur la compétence du tribunal administratif de Paris pour se prononcer sur la question préjudicielle transmise par le tribunal de commerce de Paris :
2. Aux termes de l'art R. 311-1 du code de justice administrative : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort : 1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ; (...) 6° Des recours en interprétation et des recours en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat ". En application de ces dispositions, la question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Paris, qui porte sur l'interprétation des dispositions du décret du 9 décembre 2010, ressortit à la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat. Par suite, en statuant sur cette question, le tribunal administratif de Paris a entaché son jugement d'incompétence et il y a lieu pour ce motif d'en prononcer l'annulation.
3. Le Conseil d'Etat se trouve saisi en premier ressort de la question préjudicielle posée par le tribunal de commerce de Paris.
Sur l'intervention de la société Soproder :
4. Le tribunal de commerce de Paris a transmis à la juridiction administrative un seul des trois jugements rendus le 7 février 2017, correspondant à l'instance à laquelle les sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane et Citadelle sont parties. Si la société Soproder n'est pas partie à l'instance ayant donné lieu au jugement transmis, elle a assigné EDF aux mêmes fins que les requérantes en faisant notamment valoir qu'elle avait jusqu'au 10 décembre 2010 pour renvoyer signée sa convention de raccordement et bénéficier des tarifs d'achat de l'électricité applicables avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010, cette date devant être retenue pour apprécier son préjudice. Par le jugement rendu dans l'instance à laquelle elle est partie, le tribunal de commerce a sursis à statuer aux fins de saisir la juridiction administrative afin qu'elle se prononce sur la même question préjudicielle. Par suite, la société Soproder justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions des sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane et Citadelle.
Sur la question préjudicielle :
5. Aux termes de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 314-1 du code de l'énergie : " Sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : / (...) / 2° Les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables (...). Un décret en Conseil d'Etat fixe les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l'obligation d'achat (...) Les contrats régis par le présent article sont des contrats administratifs qui ne sont conclus et qui n'engagent les parties qu'à compter de leur signature ". Aux termes du quatorzième alinéa du même article, aujourd'hui repris à l'article L. 314-6 du code de l'énergie : " Sous réserve du maintien des contrats en cours (...), l'obligation de conclure un contrat d'achat prévu au présent article peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ". Par le décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil, le Premier ministre a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 10 décembre 2010, l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations, d'une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts, utilisant l'énergie radiative du soleil (article 1er), à l'exception, d'une part, des installations pour lesquelles la somme des puissances crêtes situées sur la même toiture ou la même parcelle est inférieure ou égale à 3 kilowatts (article 2) et, d'autre part, de celles dont le producteur avait notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau (article 3), sous réserve, pour ces dernières installations, qu'elles soient mises en service dans des délais qu'il a précisés (article 4). Il a prévu qu'à l'issue de la période de suspension, les pétitionnaires dont la demande avait fait l'objet d'une suspension devraient présenter une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat (article 5). Par arrêté du 4 mars 2011, les ministres chargés de l'écologie et de l'énergie ont abrogé l'arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil, applicable avant l'intervention de la suspension, en prévoyant toutefois que les installations entrant dans le champ d'application des articles 3 et 4 du décret du 9 décembre 2010 pouvaient bénéficier des conditions d'achat résultant des dispositions de l'arrêté du 31 août 2010.
6. Il résulte des dispositions des articles 1er et 3 du décret 9 décembre 2010 qu'ont notamment été exclues du champ de la suspension de l'obligation de conclure un contrat d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 les installations pour lesquelles l'acceptation de la proposition technique et financière a été notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010. Il découle également de ces dispositions que la suspension instituée par le décret ne saurait davantage s'appliquer au cas où une convention de raccordement a été proposée par le gestionnaire de réseau sans formalisation préalable d'une proposition technique et financière et où cette convention a été signée par le producteur et notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010.
7. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de conclusion d'un contrat d'achat d'électricité avant l'entrée en vigueur, le 10 décembre 2010, du décret du 9 décembre 2010, les producteurs ayant signé et notifié au gestionnaire de réseau une convention de raccordement avant le 2 décembre 2010 peuvent bénéficier des conditions d'achat résultant de l'arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil, sous réserve de la mise en service de leur installation dans un délai de dix-huit mois suivant ce renvoi. En revanche, les producteurs ayant notifié une convention de raccordement à compter du 2 décembre 2010 ne peuvent pas bénéficier des conditions d'achat prévues par cet arrêté, quand bien même cette notification serait intervenue avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge d'EDF qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane et Citadelle une somme à verser à la société EDF au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 26 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : L'intervention de la société Soproder est admise.
Article 3 : Il est déclaré qu'en l'absence de conclusion d'un contrat d'achat d'électricité avant l'entrée en vigueur, le 10 décembre 2010, du décret du 9 décembre 2010, les producteurs ayant signé une convention de raccordement notifiée au gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010 peuvent bénéficier des conditions d'achat telles qu'elles résultent des dispositions de l'arrêté du 31 août 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil, sous réserve de la mise en service de leur installation dans un délai de dix-huit mois suivant ce renvoi, et que les producteurs ayant notifié une convention de raccordement à compter du 2 décembre 2010 ne peuvent pas en bénéficier, quand bien même cette notification serait intervenue avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010.
Article 4 : Les conclusions présentées par les sociétés Solar Electric Holding, Solar Electric Guyane et Citadelle, d'une part, et par la société EDF, d'autre part, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Solar Electric Holding, représentante désignée, pour l'ensemble des requérants, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de l'action et des comptes publics, à la société Electricité de France et à société Soproder.