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28/03/2018 | FRANCE | N°410782

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 mars 2018, 410782


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 410782, par une requête enregistrée le 23 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité de réflexion d'information et de lutte anti-nucléaire (CRILAN) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2017-379 du 23 mars 2017 modifiant le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville (Manche) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme

de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° S...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 410782, par une requête enregistrée le 23 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le comité de réflexion d'information et de lutte anti-nucléaire (CRILAN) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le décret n° 2017-379 du 23 mars 2017 modifiant le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville (Manche) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 410783, par une requête enregistrée le 23 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Notre affaire à tous demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive n° 2014/87/Euratom du Conseil du 8 juillet 2014 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 ;

- l'ordonnance n° 2012-6 du 5 janvier 2012 ;

- le décret n° 2007-534 du 10 avril 2007 ;

- le décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France.

Considérant ce qui suit :

1. Par un décret du 10 avril 2007, le Premier ministre a autorisé la création de l'installation nucléaire de base dénommée " Flamanville 3 ", comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville (Manche). L'article 3 de ce décret a fixé à dix ans le délai pour réaliser cette installation. Par le décret du 23 mars 2017, le Premier ministre a, sur la demande de la société Electricité de France et après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, modifié cet article 3 pour porter ce délai à treize ans. Les requérants demandent l'annulation de ce décret.

2. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le décret attaqué omet de viser des textes dont il fait application, cette circonstance est, en tout état de cause, sans incidence sur sa légalité.

3. En deuxième lieu, les requérants soutiennent que le décret a été pris au terme d'une procédure irrégulière au motif qu'une nouvelle autorisation était nécessaire en vertu des dispositions du II et du X de l'article 29 de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire et des articles L. 593-13 et L. 593-14 du code de l'environnement, qui en reprennent la substance.

4. Toutefois, d'une part, il résulte des termes mêmes de l'article L. 593-13 du code de l'environnement, qui reprend sur ce point les dispositions du X de l'article 29, que l'absence de mise en service d'une installation nucléaire de base dans le délai fixé par son autorisation de création n'entraîne pas, par elle-même, la caducité de cette autorisation. Une nouvelle autorisation n'était donc, en tout état de cause, pas requise pour ce seul motif.

5. D'autre part, aux termes du II de l'article L. 593-14 du code de l'environnement : " Une nouvelle autorisation est requise en cas de modification substantielle d'une installation nucléaire de base, de ses modalités d'exploitation autorisées ou des éléments ayant conduit à son autorisation. Le caractère substantiel de la modification est apprécié suivant des critères fixés par décret en Conseil d'Etat au regard de son impact sur la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. La nouvelle autorisation est accordée dans les conditions prévues aux articles L. 593-7 à L. 593-12, suivant des modalités définies par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article 31 du décret du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle, en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives : " Constitue une modification substantielle d'une installation nucléaire de base au sens des dispositions du II de l'article L. 593-14 du code de l'environnement : / 1° Un changement de sa nature ou un accroissement de sa capacité maximale ; / 2° Une modification des éléments essentiels mentionnés à l'article L. 593-8 du même code ; / 3° Un ajout, dans le périmètre de l'installation, d'une nouvelle installation nucléaire de base, en dehors des cas prévus au II de l'article 30. " L'article L. 593-8 du code de l'environnement dispose que : " (...) Les éléments essentiels que requiert la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 sont fixés par l'autorisation et, éventuellement, par les modifications ultérieures de celle-ci fixant des dispositions ou obligations complémentaires. " Les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement sont : " la sécurité, la santé et la salubrité publiques [et] la protection de la nature et de l'environnement ". Enfin, l'article 32 du décret du 2 novembre 2007 précité permet que, lorsqu'elles ne constituent pas une modification substantielle de cette installation, des modifications peuvent être apportées aux dispositions du décret d'autorisation selon la procédure allégée qu'il prévoit.

6. Il résulte de ses termes mêmes que le décret attaqué se borne à porter de dix à treize ans le délai prévu pour que cette installation soit opérationnelle sans apporter aucune autre modification aux conditions fixées par le décret du 10 avril 2007. En outre, il ne résulte en tout état de cause pas de l'instruction que les changements invoqués qui seraient intervenus dans la conduite des travaux, depuis l'autorisation de création de l'installation en cause, s'agissant notamment du combustible qu'il est prévu d'utiliser, du coût du projet, de la demande énergétique et des conditions générales de sécurité ainsi que les anomalies découvertes dans la composition de l'acier utilisé pour certaines parties de la cuve du réacteur, soient de nature à constituer une modification substantielle de l'installation au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 593-14 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de ce que le Premier ministre ne pouvait légalement faire application de la procédure prévue à l'article 32 du décret du 2 novembre 2007 précité pour prendre le décret attaqué doit être écarté.

7. En troisième lieu, les requérants soutiennent que le décret attaqué est entaché d'une " erreur manifeste d'appréciation " en raison des insuffisances tant du projet lui-même que du constructeur en charge de sa réalisation. Toutefois il ne résulte pas de l'instruction que les retards dans la réalisation du chantier de construction du réacteur révèleraient une incapacité du constructeur à mener à bien le projet. Il n'en résulte pas davantage que les anomalies dans la composition de l'acier utilisé dans certaines parties de la cuve, découvertes postérieurement à l'autorisation de l'installation nucléaire de base, interdiraient d'ores et déjà toute mise en service future de l'installation dans des conditions de sécurité satisfaisantes, ainsi que cela ressort notamment de l'avis rendu par l'Autorité de sûreté nucléaire le 10 octobre 2017 concluant à l'absence de remise en cause de la future mise en service et utilisation de l'installation du seul fait de ces anomalies sous réserve que, le moment venu, lors de l'autorisation de mise en service, des conditions appropriées de contrôle et d'utilisation de l'installation soient précisées. Ainsi, elles ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le Premier Ministre lorsqu'il a pris le décret attaqué, qui se borne à prévoir une prorogation des travaux de réalisation de l'installation, sans préjudice de la décision à prendre, le moment venu, s'agissant de l'autorisation de mise en service de l'installation. Il en va de même s'agissant de l'évolution du coût du projet, de la demande d'électricité et des risques généraux en termes de sécurité. Par suite, ce moyen doit être écarté.

8. En quatrième lieu, il ressort de ses termes mêmes que le décret attaqué, qui se borne à prolonger de trois ans le délai à l'issue duquel la mise en service de l'installation nucléaire de base " Flamanville 3 " pourra être autorisée, ne porte ni sur le principe de réalisation de cette installation, prévu par le décret du 10 avril 2007, ni sur l'autorisation de sa mise en service. Par suite, les moyens tirés de ce que ce décret méconnaitrait le principe de précaution prévu par l'article 5 de la Charte de l'environnement, les dispositions de l'article L. 1333-1 du code de la santé publique et de l'article L. 125-12 du code de l'environnement, ainsi que le droit au respect de la vie privée et du domicile garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peuvent, en tout état de cause et pour les mêmes motifs, qu'être écartés.

9. En cinquième lieu, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort, en tout état de cause, pas de l'instruction que l'Autorité de sûreté nucléaire ne serait pas en mesure d'exercer les missions qui lui ont été confiées par le législateur de façon indépendante, en méconnaissance de la directive 2014/87/Euratom du Conseil du 8 juillet 2014.

10. En sixième lieu, la méconnaissance alléguée de la résolution de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe du 26 avril 1996 relative aux conséquences de l'accident de Tchernobyl est sans influence sur la légalité du décret attaqué.

11. En septième lieu, si les associations requérantes soutiennent que le décret attaqué méconnaîtrait le droit à la sûreté garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce moyen n'est, en tout état de cause, pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé, alors au demeurant que seuls des risques pour la sécurité des personnes, et non pour leur sûreté, sont allégués.

12. En dernier lieu, le détournement de pouvoir allégué pas établi.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par Electricité de France et le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire à la requête de l'association Notre affaire à tous, que cette association ainsi que le comité de réflexion, d'information et de lutte anti-nucléaire ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des associations requérantes la somme de 2000 euros chacune à verser à la société Electricité de France au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes du comité de réflexion, d'information et de lutte anti-nucléaire et de l'association Notre affaire à tous sont rejetées.

Article 2 : Le comité de réflexion, d'information et de lutte anti-nucléaire et l'association Notre affaire à tous verseront chacun à la société Electricité de France une somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au comité de réflexion, d'information et de lutte anti-nucléaire, à l'association Notre affaire à tous, à la société Electricité de France, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée à l'Autorité de sûreté nucléaire.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 410782
Date de la décision : 28/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 mar. 2018, n° 410782
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Airelle Niepce
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:410782.20180328
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