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05/03/2018 | FRANCE | N°416514

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 05 mars 2018, 416514


Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société VICAT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 1 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-BASE-10-10-10-10, ainsi que les versions ultérieures de ces commentaires, en tant qu'ils indiquent que la quote-part de frais et charges déduite du montant des produits de participations exonérés d'impôt sur les sociétés en appl

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Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société VICAT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 1 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-BASE-10-10-10-10, ainsi que les versions ultérieures de ces commentaires, en tant qu'ils indiquent que la quote-part de frais et charges déduite du montant des produits de participations exonérés d'impôt sur les sociétés en application du régime des sociétés mères est égale à 5% du montant de ces produits, crédit d'impôt compris ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, notamment son article 10 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Koutchouk, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 février 2018, présentée par la société Vicat ;

Considérant ce qui suit :

1. Les commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-BASE-10-10-10-10, par lesquels l'administration fiscale donne son interprétation des dispositions de l'article 216 du code général des impôts, indiquent dans leur paragraphe 1, après avoir rappelé que les produits de participation ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères prévu à l'article 145 du code général des impôts ne sont pas pris en compte dans le résultat imposable de la société qui perçoit ces produits, à l'exception d'une quote-part de frais et charges, que " cette quote-part est égale à 5 % du montant de ces produits, crédits d'impôts compris ". La société Vicat demande l'annulation de ces commentaires, dans cette version ainsi que dans leurs versions ultérieures successives, en ce qu'ils ne prévoient pas la possibilité, pour la société mère, d'établir que le montant réel des frais et charges qu'elle a exposés pour la gestion de ses participations est inférieur à ce montant forfaitaire.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions du même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. L'article 216 du code général des impôts prévoit, au premier alinéa de son I, que les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, perçus au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice total de celle-ci, déduction faite d'une quote-part représentative des frais et charges liés à la détention et à la gestion de ces participations. Le deuxième alinéa de ce même I dispose, dans sa rédaction issue de l'article 10 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, que : " La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris ". La société requérante soutient que ces dispositions, en ce qu'elles soumettent à l'impôt sur les sociétés une quote-part de 5 % des produits de participations perçus par une société mère, sans considération du montant réel des frais et charges exposés pour la gestion de ces participations, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle soutient que cette imposition forfaitaire, qui conduit selon elle à taxer des revenus fictifs, est établie en méconnaissance des capacités contributives du contribuable et que l'objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale ne dispense pas le législateur, lorsqu'il déroge pour ce motif à l'égalité devant les charges publiques, de réserver la possibilité pour le contribuable d'établir que sa situation ne procède pas d'une volonté d'éluder l'impôt.

4. Il résulte de la combinaison des articles 205, 209 et 38 du code général des impôts que l'impôt sur les sociétés est établi sur l'ensemble des bénéfices de toute nature réalisés par chaque société. La base d'imposition à l'impôt sur les sociétés inclut donc, en principe, les produits de participation perçus de filiales. Le législateur a, toutefois, prévu par l'article 216 du code général des impôts, dans le but d'éviter l'imposition successive des mêmes bénéfices entre les mains de la société filiale puis de la société mère, la possibilité pour cette dernière, lorsque les conditions posées par l'article 145 du même code sont respectées, de retrancher de son bénéfice taxable le montant des produits de participation perçus de ses filiales, à l'exception d'une quote-part de 5 %, représentative des frais et charges exposés pour acquérir ces revenus.

5. En premier lieu, il découle de ce qui précède qu'en prévoyant, à l'article 216 du code général des impôts, la soumission à l'impôt sur les sociétés d'une quote-part des produits de participation perçus par une société mère, qui constituent des revenus dont elle a disposé, le législateur s'est borné à préciser la portée de l'exonération qu'il instituait sans soumettre à l'impôt, quel que soit le montant de cette quote-part et contrairement à ce qui est soutenu, des revenus fictifs.

6. En deuxième lieu, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives, en fondant en particulier son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose, sans que cette appréciation ne puisse entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. En faisant le choix de soumettre à l'impôt sur les bénéfices les produits de participation perçus de filiales à hauteur d'une assiette correspondant à 5 % de leur montant brut, crédit d'impôt compris, le législateur a établi une règle de taxation fondée sur des critères objectifs et en rapport avec le but d'élimination de la double imposition qu'il se fixait et n'a, eu égard à la nature des revenus en cause et quels que soient les motifs pour lesquels il a déterminé l'imposition ainsi instituée, pas fait peser sur les sociétés mères, lesquelles sont toutes traitées de manière identique, une charge excessive au regard de la capacité contributive que leur confère la perception de ces revenus. La société n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, établir une telle imposition sans réserver la possibilité pour le contribuable d'établir que la fraction ainsi taxée des produits bruts de participations excèderait le montant réel des frais et charges exposés en vue de l'obtention de ces revenus.

7. En troisième lieu, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, à condition de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. Le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité devant les charges publiques en supprimant, par l'article 10 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, à compter des impositions établies au titre de 2010, la limitation du montant de la quote-part d'imposition des produits de participation au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la période d'imposition concernée.

8. Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante, qui n'est pas nouvelle, ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens de la requête :

9. En premier, lieu, il résulte de ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les commentaires qu'elle conteste seraient illégaux pour réitérer des dispositions législatives qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

10. En second lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 5 et 6, la société requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que ces commentaires seraient illégaux pour réitérer des dispositions législatives qui méconnaîtraient les stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société VICAT doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société VICAT.

Article 2 : La requête de la société VICAT est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société VICAT et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416514
Date de la décision : 05/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 05 mar. 2018, n° 416514
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Koutchouk
Rapporteur public ?: M. Romain Victor

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:416514.20180305
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