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24/01/2018 | FRANCE | N°415526

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 24 janvier 2018, 415526


Vu la procédure suivante :

L'établissement public coréen National pension service, à l'appui de l'appel qu'il a formé contre le jugement du 15 novembre 2016 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande tendant au remboursement de la retenue à la source mise à sa charge au titre de l'année 2013, a présenté un mémoire, enregistré le 10 juillet 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
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Vu la procédure suivante :

L'établissement public coréen National pension service, à l'appui de l'appel qu'il a formé contre le jugement du 15 novembre 2016 du tribunal administratif de Montreuil rejetant sa demande tendant au remboursement de la retenue à la source mise à sa charge au titre de l'année 2013, a présenté un mémoire, enregistré le 10 juillet 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Versailles, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 16VE03906 du 7 novembre 2017, enregistrée le 8 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 6ème chambre de cette cour, avant qu'il ne soit statué sur l'appel de l'établissement, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue du A du I de l'article 6 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, et des dispositions combinées du 1 de l'article 187, du 2 de l'article 219 bis et du c du 5 de l'article 206 de ce code, dans leur rédaction issue de l'article 34 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

Par deux mémoires, enregistrés le 24 novembre 2017 et le 2 janvier 2018, le National pension service soutient que ces dispositions, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question soulevée n'est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention signée le 19 juin 1979 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Corée tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu ;

- la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 ;

- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat du National Pension Service.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 janvier 2018, présentée par le National pension service ;

Considérant ce qui suit :

1 Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. En vertu des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, les dividendes perçus par des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France sont soumis à une retenue à la source. Dans leur rédaction issue du A du I de l'article 6 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, applicable à l'année 2013 en litige, ces dispositions introduisent une exonération au profit des " organismes de placement collectif constitués sur le fondement d'un droit étranger situés dans un Etat membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ", à la condition, notamment, qu'ils présentent des caractéristiques similaires à celles d'organismes de placement collectif de droit français. Il résulte, par ailleurs, de la combinaison des dispositions du 1 de l'article 187 et de l'article 219 bis du même code, dans leur rédaction issue de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, que le taux de la retenue à la source est fixé à 15 % " pour les dividendes qui bénéficient à des organismes qui ont leur siège dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et qui seraient imposés dans les conditions prévues au 5 de l'article 206 s'ils avaient leur siège en France ". Enfin, l'article 34 de cette loi de finances rectificative pour 2009 a modifié les dispositions du 5 de l'article 206 du même code, pour préciser que les établissements publics, autres que les établissements scientifiques, d'enseignement et d'assistance, ainsi que les associations et collectivités non soumis à l'impôt sur les sociétés en vertu d'une autre disposition, sont assujettis à l'impôt sur les sociétés " en raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à leurs activités lucratives ", s'agissant notamment : " (...) c. Des revenus de capitaux mobiliers dont ils disposent, lorsque ces revenus n'entrent pas dans le champ d'application de la retenue à la source visée à l'article 119 bis ; ces revenus sont comptés dans le revenu imposable pour leur montant brut ; / (...) ".

3. En premier lieu, l'établissement public de droit coréen National pension service soutient que les dispositions précitées du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

4. L'établissement requérant soutient, tout d'abord, que ces dispositions ne lui permettent pas d'être exonéré de retenue à la source alors qu'il est assimilable à un organisme de placement collectif et que, en tout état de cause, elles traitent de manière défavorable les investisseurs directs en actions par rapport à ceux qui opèrent des placements par l'intermédiaire de fonds de placement exonérés. Toutefois, d'une part, les dispositions du A du I de l'article 6 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, qui ont exonéré, sous certaines conditions, de la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts les dividendes de source française versés à compter du 1er janvier 2013 à des organismes de placement collectif constitués sur le fondement d'un droit étranger, n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire à l'organisme requérant, qui est situé dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, d'établir, s'il s'y croit fondé, qu'il présente des caractéristiques similaires aux organismes de placement collectif de droit français et, si tel est le cas, de bénéficier de l'exonération de retenue à la source qu'elles prévoient. D'autre part, les organismes de placement collectif, intermédiaires financiers transparents sur le plan fiscal, ne sont pas placés, au regard de l'objet du texte, dans la même situation que les personnes physiques ou morales qui investissent en leur nom propre. Enfin, si l'établissement public National pension service soutient que les organismes à but non lucratif, français ou étrangers, sont assujettis à la retenue à la source sur le montant brut des dividendes perçus, alors que les entreprises commerciales sont soumises à l'impôt sur les sociétés sur un montant net des mêmes produits, après déduction des provisions techniques correspondantes, cette argumentation est inopérante pour contester des dispositions du A du I de l'article 6 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, seules transmises au Conseil d'Etat par la cour administrative d'appel de Versailles et qui ne traitent pas de l'assiette de la retenue à la source.

5. L'établissement public de droit coréen National pension service soutient, ensuite, que les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts méconnaissent également les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles n'exonèrent pas de retenue à la source les dividendes perçus par des établissements publics d'assistance qui n'ont pas leur siège en France, alors que les établissements publics d'assistance qui ont leur siège en France sont exonérés d'impôt sur les sociétés en application du 5 de l'article 206 du code général des impôts. Toutefois, alors même que le requérant serait, comme il le soutient, assimilable à un établissement public d'assistance et eu égard à l'objet de cette exonération, les établissements publics d'assistance français sont, en raison des missions de service public qu'ils remplissent en France dans le secteur social et médico-social, placés, en tout état de cause dans une situation différente de celle des établissements publics d'assistance qui n'ont pas leur siège en France et n'y disposent pas d'un établissement stable par l'intermédiaire duquel ils exerceraient de telles missions.

6. L'établissement public de droit coréen National pension service soutient, enfin, que les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles n'exonèrent pas de retenue à la source les revenus qu'il a perçus, alors que de tels revenus seraient exonérés d'impôt sur les sociétés en application du 5 de l'article 206 du code général des impôts s'ils avaient été perçus par un organisme de retraite français. Toutefois et en tout état de cause, il résulte des dispositions de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, éclairées par les travaux préparatoires dont sont issues les dispositions invoquées du 5 de l'article 206 du code général des impôts, qu'un organisme établi en France ayant pour objet de servir des pensions de retraite est assujetti à l'impôt sur les sociétés à raison des revenus patrimoniaux qui ne se rattachent pas à ses activités lucratives, sauf si ces revenus sont soumis à la retenue à la source visée à l'article 119 bis du code général des impôts.

7. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, dans leur rédaction issue du A du I de l'article 6 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, méconnaîtraient les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens est dépourvu de caractère sérieux.

8. En second lieu, l'établissement public National pension service soutient que les dispositions combinées du 1 de l'article 187, du 2 de l'article 219 bis et du c du 5 de l'article 206 de ce code, dans leur rédaction issue de l'article 34 de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'il assujettit les organismes à but non lucratif, français ou étrangers, à la retenue à la source, au taux de 15 %, sur le montant brut des revenus perçus, alors que les entreprises commerciales sont imposées à l'impôt sur les sociétés, au taux de 33 1/3 %, sur le montant net des mêmes produits, après déduction des provisions techniques correspondantes. Cependant, le législateur a pu, en tout état de cause, soumettre les organismes sans but lucratif à un régime fiscal spécifique, dès lors que les modalités d'exploitation de leur activité s'exercent dans des conditions différentes de celles des entreprises privées et que le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi. Par suite, la question de constitutionnalité soulevée sur ce point est également dépourvue de caractère sérieux.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le National pension service.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au National pension service et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Versailles.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 415526
Date de la décision : 24/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jan. 2018, n° 415526
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie-Gabrielle Merloz
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415526.20180124
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