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24/01/2018 | FRANCE | N°401826

France | France, Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 24 janvier 2018, 401826


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 26 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC), l'association 13onze15, M. AS...et Mme AN...P..., Mlle V...P..., Mme AR...AV..., Mme S...AX..., M. K...AD..., Mme Q...R..., Mme U...X..., M. AE...AY..., Mme G...AJ..., Mme W...AP..., Mme AG...AP..., Mme AI...O..., M. D...et Mme F...BA..., M. C...et Mme E...H..., Mlle J...H..., M. Y...AC..., Mme AW...T..., M. AM...AL..., M

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 26 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC), l'association 13onze15, M. AS...et Mme AN...P..., Mlle V...P..., Mme AR...AV..., Mme S...AX..., M. K...AD..., Mme Q...R..., Mme U...X..., M. AE...AY..., Mme G...AJ..., Mme W...AP..., Mme AG...AP..., Mme AI...O..., M. D...et Mme F...BA..., M. C...et Mme E...H..., Mlle J...H..., M. Y...AC..., Mme AW...T..., M. AM...AL..., Mme BB...BC...B..., Mlle Z...B..., M. AF...B..., M. AQ...A..., M. AK...AA..., Mme L...M..., M. AT... N... ainsi que M. et Mme AZ...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle le ministre des finances et des comptes publics a rejeté leur demande tendant à l'abrogation partielle des dispositions de l'article R. 422-8 du code des assurances ;

2°) d'enjoindre au ministre des finances et des comptes publics d'abroger les dispositions de l'article R. 422-8 dans un délai de deux mois en tant qu'elles prévoient la déduction des " indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 34 et 37 ;

- le code des assurances ;

- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;

- la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 ;

- loi n° 87-1060 du 30 décembre 1987 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Simon Chassard, auditeur,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Meier-Bourdeau, Lecuyer, avocat de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC).

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 28 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation : " Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux relations entre le tiers payeur et la personne tenue à réparation d'un dommage résultant d'une atteinte à la personne, quelle que soit la nature de l'événement ayant occasionné ce dommage " et aux termes de l'article 29 de cette loi : " Seules les prestations énumérées ci-après versées à la victime d'un dommage résultant des atteintes à sa personne ouvrent droit à un recours contre la personne tenue à réparation ou son assureur : / 1. Les prestations versées par les organismes, établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale et par ceux qui sont mentionnés aux articles 1106-9, 1234-8 et 1234-20 du code rural ; / 2. Les prestations énumérées au II de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ; / 3. Les sommes versées en remboursement des frais de traitement médical et de rééducation ; / 4. Les salaires et les accessoires du salaire maintenus par l'employeur pendant la période d'inactivité consécutive à l'événement qui a occasionné le dommage ; / 5. Les indemnités journalières de maladie et les prestations d'invalidité versées par les groupements mutualistes régis par le code de la mutualité, les institutions de prévoyance régies par le code de la sécurité sociale ou le code rural et les sociétés d'assurance régies par le code des assurances ". Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 33 de cette même loi : " Hormis les prestations mentionnées aux articles 29 et 32, aucun versement effectué au profit des victimes en vertu d'une obligation légale, conventionnelle ou statutaire n'ouvre droit à une action contre la personne tenue à réparation ".

2. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 126-1 du code des assurances : " Les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3. / La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime ". Les dispositions du troisième alinéa du II de l'article 9 de la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, telles que complétées par l'article 111 de la loi du 30 décembre 1987 de finances pour 1988, et qui n'ont été que partiellement codifiées sur ce point à l'article L. 422-1 du code des assurances, prévoient que le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme est " subrogé dans les droits que possède la victime contre la personne responsable du dommage ainsi que contre les personnes tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle, dans la limite du montant des prestations à la charge desdites personnes ". Enfin, aux termes de l'article R. 422-8 du code des assurances : " L'offre d'indemnisation des dommages résultant d'une atteinte à la personne faite à la victime d'un acte de terrorisme indique l'évaluation retenue par le Fonds pour chaque chef de préjudice et le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu des prestations énumérées à l'article 29 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice. Elle est accompagnée, le cas échéant, de la copie des décomptes produits par les personnes ou organismes débiteurs de ces prestations ou indemnités ".

3. Les requérants ont demandé au Premier ministre, par lettre du 18 mars 2016, d'abroger les dispositions de l'article R. 422-8 du code des assurances en tant, seulement, qu'elles prévoient la déduction de l'offre d'indemnisation proposée aux victimes d'actes de terrorisme par le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, outre des prestations limitativement énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 cité au point 1 ci-dessus, des " indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ". Le ministre des finances et des comptes publics a, par un courrier du 23 mai 2016, refusé de faire droit à la demande d'abrogation de ces dispositions. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de refus.

Sur les interventions :

4. Mme AU...AO..., M. AH...I...et Mme AB...I...justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du refus d'abrogation des dispositions attaquées de l'article R. 422-8 du code des assurances. Ainsi, leur intervention est recevable.

5. Le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions justifie d'un intérêt suffisant au maintien des dispositions attaquées. Ainsi, son intervention en défense est également recevable.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

6. Il résulte des dispositions du troisième alinéa du II de l'article 9 de la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, citées au point 2 ci-dessus, que le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme, chargé par le législateur d'assurer la réparation intégrale des dommages subis par ces victimes, est subrogé dans les droits que possèdent ces dernières tant à l'égard des auteurs des dommages qui leur ont été causés qu'à l'égard des personnes morales tenues, à un titre quelconque, d'en assurer la réparation. En conséquence, lorsqu'il détermine le montant à verser à une victime d'actes de terrorisme, ce fonds doit tenir compte de l'ensemble des prestations qui lui sont dues, à un titre quelconque, de telle sorte que le principe de réparation intégrale, qui fait obstacle à toute sous-indemnisation comme à toute sur-indemnisation, soit respecté. Dès lors, d'une part, les prestations qui ont déjà été reçues par la victime à la date à laquelle le fonds arrête le montant global qui lui est dû au titre de la réparation de son préjudice, viennent nécessairement, par imputation, en diminution de ce montant. D'autre part, s'agissant des prestations qui restent à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice, le fonds, qui dispose du recours subrogatoire ouvert par le troisième alinéa du II de l'article 9 de la loi du 9 septembre 1986, intègre ces dernières à l'offre globale d'indemnisation faite à la victime et en obtient, ensuite, le remboursement auprès des personnes tenues, à un titre quelconque, à la réparation du préjudice subi. Ainsi, le montant total de l'indemnité versée à la victime par le fonds est égal, comme l'exige le principe de réparation intégrale, à la somme des prestations qui restent à recevoir et de l'indemnité due au titre des dispositions de la loi du 9 septembre 1986.

7. En premier lieu, les requérants soutiennent que le pouvoir réglementaire n'était pas compétent pour adopter les dispositions qu'ils attaquent, lesquelles déterminent l'étendue du droit à indemnisation des victimes d'actes de terrorisme et ressortissent en tant que telles au domaine de la loi, laquelle fixe, en vertu de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, le régime des obligations civiles et commerciales. Le législateur a néanmoins prévu, au troisième alinéa du II de l'article 9 de la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme dans sa version définitive issue de l'article 111 de la loi du 30 décembre 1987 de finances pour 1988, que le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme est subrogé dans tous les droits que détient la victime, ce qui implique qu'il tienne compte, pour déterminer le montant global de l'indemnisation due à cette dernière, de l'ensemble des prestations reçues ou à recevoir du chef du même préjudice, selon les modalités qui ont été indiquées au point 6 ci-dessus. L'autorité investie du pouvoir réglementaire était donc compétente pour indiquer que la proposition d'indemnisation formulée par le fonds de garantie tiendrait compte de l'ensemble des prestations reçues ou à recevoir du chef du même préjudice.

8. En second lieu, il est soutenu que les dispositions critiquées de l'article R. 422-8 du code des assurances méconnaissent celles des articles 29 et 33 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation citées au point 1 ci-dessus, dès lors qu'elles ouvrent la possibilité d'imputer, sur le montant global d'indemnisation dû à la victime, l'ensemble des prestations qui sont à recevoir par elle d'autres débiteurs tenus à cette réparation, alors que l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 énumère limitativement les cas dans lesquels une telle imputation est possible. Il résulte toutefois également de ce qui a été dit au point 6 que la subrogation ouverte par le II de l'article 9 de la loi du 9 septembre 1986 a pour seul effet de permettre au fonds d'intégrer et de verser directement à la victime les prestations qui lui sont dues par d'autres personnes tenues à réparation, si bien qu'outre les prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985, seules les prestations déjà reçues par la victime sont imputées sur le montant total de l'offre d'indemnisation. Il suit de là que ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision de refus d'abrogation des dispositions de l'article R. 422-8 du code des assurances qui leur a été opposée par le ministre des finances et des comptes publics. Par voie de conséquence, leurs conclusions, présentées sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre, sous astreinte, de procéder à l'abrogation des dispositions attaquées, ainsi que leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du même code, ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de Mme AU...AO..., M. AH...I..., Mme AB...I...et du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions sont admises.

Article 2 : La requête de la fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs et autres est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (FENVAC), représentante désignée, pour de l'ensemble des parties et intervenants au soutien de sa requête, au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème - 10ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 401826
Date de la décision : 24/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 jan. 2018, n° 401826
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Simon Chassard
Rapporteur public ?: Mme Emilie Bokdam-Tognetti
Avocat(s) : SCP MEIER-BOURDEAU, LECUYER ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:401826.20180124
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