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27/12/2017 | FRANCE | N°409076

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 27 décembre 2017, 409076


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 14/02205 du 14 juin 2016, la cour d'appel de Reims a, d'une part, annulé le jugement du 11 juin 2014 par lequel le tribunal de grande instance de Reims a déclaré irrecevables les demandes de M. et Mme A...et Françoise B...tendant à la rétrocession de leurs terrains expropriés au bénéfice de Réseau ferré de France et, d'autre part, sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la question de la légalité et de l'interprétation du décret du 3 mai 2004 prorogeant les effets du décret du 14 mai 1

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Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 14/02205 du 14 juin 2016, la cour d'appel de Reims a, d'une part, annulé le jugement du 11 juin 2014 par lequel le tribunal de grande instance de Reims a déclaré irrecevables les demandes de M. et Mme A...et Françoise B...tendant à la rétrocession de leurs terrains expropriés au bénéfice de Réseau ferré de France et, d'autre part, sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de la question de la légalité et de l'interprétation du décret du 3 mai 2004 prorogeant les effets du décret du 14 mai 1996 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction d'une ligne nouvelle de chemin de fer à grande vitesse dite " TGV Est européen " entre Paris et Strasbourg.

Par une ordonnance n° 1602676 du 16 mars 2017, enregistrée le 17 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la saisine de la cour d'appel de Reims, enregistrée le 7 novembre 2016 au greffe de ce tribunal.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2017 au greffe du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, M. et Mme B...demandent à la juridiction administrative d'apprécier la légalité du décret du 3 mai 2004 et de déclarer que ce décret est entaché d'illégalité et, à titre subsidiaire, de déclarer que sa portée est limitée aux travaux non encore réalisés à la date de sa publication.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le code de procédure civile ;

- le décret du 14 mai 1996 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux de construction d'une ligne nouvelle de chemin de fer à grande vitesse dite " T.G.V.-Est européen " entre Paris et Strasbourg ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de SNCF Réseau.

1. Considérant que, par un décret du 14 mai 1996, ont été déclarés d'utilité publique et urgents les travaux de construction d'une ligne nouvelle de chemin de fer à grande vitesse dite " T.G.V.-Est européen " entre Paris et Strasbourg, de création des gares nouvelles et d'aménagement des installations terminales de la ligne, les expropriations nécessaires devant être réalisées dans un délai de huit ans à compter de sa publication ; qu'en vertu d'un décret du 3 mai 2004, pris en application de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, aujourd'hui repris à son article L. 121-5, le délai prévu par le décret du 14 mai 1996 durant lequel les expropriations devaient être réalisées a été prorogé jusqu'au 15 mai 2016 ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que les époux B...étaient propriétaires de parcelles qui ont été expropriées dans le cadre de cette opération d'utilité publique au profit de l'établissement public Réseau ferré de France, devenu SNCF Réseau ; que M. et Mme B...ont, sur le fondement de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique alors en vigueur, repris à l'article L. 421-1 de ce code, présenté une demande tendant à la rétrocession de ces biens immobiliers en soutenant qu'ils n'avaient pas reçu la destination prévue ; que, par un jugement du 11 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Reims a rejeté leur demande, au motif que la prorogation de la déclaration d'utilité publique opérée par le décret du 3 mai 2004 faisait obstacle à la rétrocession ; que, saisie en appel par les intéressés, la cour d'appel de Reims a, en application des dispositions du second alinéa de l'article 49 du code de procédure civile, décidé de surseoir à statuer et demandé à la juridiction administrative de " se prononcer sur la légalité et l'interprétation du décret du 3 mai 2004 : / en ce que, plus particulièrement, sur le premier point, les parcelles expropriées appartenant aux époux B...ont été ou non affectées à l'utilité publique / en ce que, plus particulièrement, sur le second point, la prorogation de la déclaration d'utilité publique du 24 mai 1996 par le décret du 3 mai 2004, serait limitée aux seuls travaux non encore réalisés à la date de la publication du décret du 3 mai 2004 (...) ou, au contraire, de portée générale et interdisant donc toute rétrocession éventuelle avant le terme prévu par le décret du 3 mai 2004, soit avant le 15 mai 2016 " ;

3. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, alors en vigueur, désormais repris aux articles L. 121-4 et L. 121-5 du même code : " L'acte déclarant l'utilité publique précise le délai pendant lequel l'expropriation devra être réalisée. Ce délai ne peut, si la déclaration d'utilité publique est prononcée par arrêté, être supérieur à cinq ans. Toutefois, ce délai est porté à dix ans pour les opérations prévues aux projets d'aménagement approuvés, aux plans d'urbanisme approuvés et aux plans d'occupation des sols approuvés. / Lorsque le délai accordé pour réaliser l'expropriation n'est pas supérieur à cinq ans, un acte pris dans la même forme que l'acte déclarant l'utilité publique peut, sans nouvelle enquête, proroger une fois les effets de la déclaration d'utilité publique pour une durée au plus égale. / Toute autre prorogation ne peut être prononcée que par décret en Conseil d'Etat " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 12-6 du même code, alors en vigueur, repris à l'article L. 421-1 : " Si les immeubles expropriés en application du présent code n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique " ;

4. Considérant, d'une part, qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, il appartient au juge judiciaire de statuer sur le bien-fondé d'une demande de rétrocession de biens expropriés et, dès lors, de se prononcer sur le point de savoir si les immeubles ont ou non reçu, dans le délai légal, la destination prévue par la déclaration d'utilité publique ; que, toutefois, le juge judiciaire peut, en cas de difficulté sérieuse, renvoyer au juge administratif, seul compétent pour en connaître, les questions concernant la légalité ou l'interprétation des dispositions de la déclaration d'utilité publique ou de l'acte qui en proroge les effets ;

5. Considérant, d'autre part, qu'il appartient, le cas échéant, au juge administratif d'interpréter la question posée par l'autorité judiciaire dans un sens qui lui permet, dans la limite de sa compétence, d'y répondre en apportant au juge judiciaire un éclairage utile ;

6. Considérant que la juridiction administrative est incompétente, ainsi qu'il a été dit au point 4, pour se prononcer sur le point de savoir si les immeubles expropriés ont ou non reçu la destination prévue par la déclaration d'utilité publique ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'interpréter la première question posée par la cour d'appel de Reims comme portant sur les points de savoir, d'une part, si le décret du 3 mai 2004 qui proroge les effets de la déclaration d'utilité publique est entaché d'un détournement de pouvoir en tant qu'il s'applique aux parcelles des épouxB..., et, d'autre part, s'il doit être interprété comme portant non seulement sur la construction de la ligne à grande vitesse mais aussi sur les travaux accessoires rendus nécessaires par celle-ci, tels que le rétablissement des voies de circulation qu'elle affecte ; que la seconde question posée par la cour d'appel de Reims porte sur le point de savoir si la prorogation des effets de la déclaration d'utilité publique du 14 mai 1996 par le décret du 3 mai 2004 doit être interprétée comme étant limitée aux seuls travaux non encore réalisés ou, au contraire, comme étant de portée générale et comme faisant ainsi obstacle à toute demande de rétrocession ;

Sur la légalité du décret du 3 mai 2004 :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que le décret du 3 mai 2004, qui a pour seul objet de proroger le délai durant lequel peuvent être réalisées les expropriations nécessaires à la réalisation des travaux déclarés d'utilité publique par le décret du 14 mai 1996, a pu légalement ne pas exclure de son champ d'application les parcelles déjà expropriées, y compris celles sur lesquelles les travaux prévus ont été achevés ;

8. Considérant, en second lieu, qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que le décret du 3 mai 2004 aurait eu pour objet de permettre l'expropriation des terrains appartenant à M. et Mme B...en vue de leur affectation à un projet d'aménagement poursuivi par la commune de Vrigny étranger à l'opération déclarée d'utilité publique ou de faire obstacle à l'exercice de leur droit de rétrocession, ni qu'il aurait été pris pour un autre motif que celui de permettre la poursuite des travaux nécessaires à la construction de la ligne à grande vitesse entre Paris et Strasbourg ; que, par suite, le décret du 3 mai 2004 n'est pas entaché du détournement de pouvoir allégué ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme B...ne sont pas fondés à soutenir que ce décret est entaché d'illégalité ;

Sur l'interprétation du décret du 3 mai 2004 :

10. Considérant, en premier lieu, d'une part, que la déclaration d'utilité publique prononcée en vue de la construction d'ouvrages s'étend également aux travaux qu'elle ne mentionne pas expressément lorsque ceux-ci constituent une conséquence nécessaire et directe de ces ouvrages ; que les travaux de rétablissement des voies de circulation interrompues par la construction des divers ouvrages de la ligne à grande vitesse déclarée d'utilité publique par le décret du 14 mai 1996 et les travaux de construction de voies de désenclavement doivent être regardés comme constituant une conséquence directe et nécessaire de cette opération ; que, par suite, le décret du 3 mai 2004 doit être interprété en ce sens qu'il proroge le délai durant lequel peuvent être réalisées les expropriations nécessaires à la réalisation des travaux déclarés d'utilité publique par le décret du 14 mai 1996 pour l'ensemble des travaux expressément mentionnés par cet acte ainsi que ceux qui en constituent une conséquence nécessaire et directe, tels les travaux de rétablissement des voies de circulation interrompues par la construction des ouvrages de la ligne à grande vitesse et les travaux de construction de voies de désenclavement ;

11. Considérant, en second lieu, que le décret du 3 mai 2004, ainsi qu'il a été dit, n'a pas d'autre objet que de proroger le délai durant lequel peuvent être réalisées les expropriations nécessaires à la réalisation des travaux déclarés d'utilité publique par le décret du 14 mai 1996 ; qu'il ne peut, en tout état de cause, être interprété comme ayant, par lui-même, pour portée de faire obstacle aux demandes de rétrocession des propriétaires de parcelles expropriées sur lesquelles les travaux prévus sont définitivement achevés ;

Sur les frais liés au litige :

12. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par SNCF Réseau au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité du décret du 3 mai 2004 soulevée par M. et Mme B...devant la cour d'appel de Reims n'est pas fondée.

Article 2 : Il est déclaré que le décret du 3 mai 2004 doit être interprété conformément aux points 10 et 11 de la présente décision.

Article 3 : Les conclusions de SNCF Réseau présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au président de la cour d'appel de Reims, à M. et Mme A...et FrançoiseB..., à SNCF Réseau et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 409076
Date de la décision : 27/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 27 déc. 2017, n° 409076
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:409076.20171227
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