Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Worms et Cie demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 30 des commentaires administratifs publiés le 5 octobre 2016 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-BASE-10-10-10-10.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 216 du code général des impôts : " Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges ". Il résulte de ces dispositions que le bénéfice du régime des sociétés mères est une option ouverte aux sociétés qui, en remplissant les conditions légales, sont libres de l'exercer ou non.
2. La société Worms et Cie demande l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe n° 30 des commentaires administratifs publiés le 5 octobre 2016 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IS-BASE-10-10-10-10, par lesquels l'administration a fait connaître son interprétation de ces dispositions, en indiquant que : " La loi a prévu que le régime des sociétés mères est optionnel. / L'option : / - concerne tous les titres d'une société distributrice : elle doit être exercée pour l'ensemble des titres détenus par une société participante dans une même société distributrice ;/ - est annuelle : elle peut être exercée au titre de chaque exercice ou période d'imposition ; / - n'est soumise à aucune obligation déclarative particulière ".
3. Pour demander l'annulation de ces commentaires administratifs, la société Worms et Cie soutient que le caractère optionnel du régime des sociétés mères est incompatible avec les objectifs de l'article 4 de la directive du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, dès lors que le caractère impératif et inconditionnel de l'élimination de la double imposition des bénéfices distribués que la directive prévoit exclurait de la subordonner à l'exercice d'une option. Selon la société requérante, il en résulterait une discrimination entre les sociétés dont les produits proviennent de distributions d'une société établie dans un autre Etat membre, qui peuvent prétendre au caractère automatique du bénéfice du régime des sociétés mères reconnu par la directive, et celles dont les produits proviennent de distributions d'une société établie en France, qui doivent exercer une option pour bénéficier de ce régime. La société soutient que cette discrimination est contraire aux stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention, ainsi qu'aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. A l'appui de sa requête, la société Worms et Cie soulève également une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que les dispositions du premier alinéa du I de l'article 216 du code général des impôts méconnaîtraient ces dispositions constitutionnelles.
4. Aux termes du 1 de l'article 4 de la directive du Conseil du 30 novembre 2011 : " Lorsqu'une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l'association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu'à l'occasion de la liquidation de cette dernière, l'État membre de la société mère et l'Etat membre de son établissement stable :/ a) soit s'abstiennent d'imposer ces bénéfices ; / b) soit les imposent tout en autorisant la société mère et l'établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l'impôt sur les sociétés afférente à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu'à chaque niveau la société et sa sous-filiale relèvent des définitions de l'article 2 et respectent les exigences prévues à l'article 3, dans la limite du montant dû de l'impôt correspondant ".
5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment son arrêt rendu le 12 février 2009 dans l'affaire C-138/07 Belgische Staat c/ Cobelfret NV, que l'obligation de l'Etat membre ayant choisi le système prévu au a) du paragraphe 1 de l'article 4 précité de la directive de s'abstenir d'imposer les bénéfices que la société mère reçoit, à titre d'associée, de sa société filiale n'est assortie d'aucune condition et est exprimée sous la seule réserve des paragraphes 2 et 3 du même article ainsi que de celle prévue au paragraphe 2 de l'article 1er de cette directive, qui précise que celle-ci ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus. Ni l'article 4, paragraphe 1, sous a), ni aucune autre disposition de la directive ne prescrivent toutefois la manière dont les États membres ayant choisi le système de l'exonération doivent le mettre en oeuvre.
6. Pour exercer l'option prévue par le premier alinéa du I de l'article 216 du code général des impôts, la société qui en remplit les conditions doit seulement, lors de la détermination de son résultat fiscal, faire figurer, de manière distincte, sur sa déclaration le montant des produits qu'elle a décidé de déduire de son bénéfice net en vertu du régime des sociétés mères, ainsi que la quote-part de frais et charges restant imposable. Elle doit, en outre, joindre à sa déclaration la liste de ses filiales et de ses participations en précisant pour chacune d'elles le taux de détention, ainsi qu'il est prévu à l'article 38 de l'annexe III au code général des impôts. Au demeurant, une société qui n'a pas expressément renoncé au bénéfice du régime des sociétés mères peut, eu égard aux modalités d'imposition des produits soumis à ce régime et dès lors que la loi n'a pas prévu que l'absence d'exercice de l'option pour ce régime dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit de bénéficier de l'exonération, exercer cette option dans le délai de réclamation prévu à l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales. Les règles d'option pour le régime des sociétés mères, qui permettent notamment de déterminer et de contrôler le résultat imposable, ne constituent ainsi pas, eu égard à leur objet et leurs conditions de mise en oeuvre, des mesures restrictives de nature à priver les sociétés mères du bénéfice des avantages prévus par la directive. Par suite, les dispositions du premier alinéa du I de l'article 216 du code général des impôts ne méconnaissent pas les objectifs de la directive dont elles assurent la transposition.
7. Il en résulte que la société Worms et Cie n'est pas fondée à soutenir qu'il existerait une différence de traitement entre les sociétés dont les produits proviennent de distributions d'une société établie dans un autre Etat membre, soumises à la directive, et celles dont les produits proviennent de distributions d'une société établie en France, qui n'entrent pas dans son champ d'application. En outre, l'existence d'une option pour le régime des sociétés mères, qui est pour ces sociétés, en l'état de la législation, un régime d'imposition des produits de leurs participations plus favorable que celui résultant de l'application des règles du droit commun d'imposition des bénéfices, ne saurait être regardée comme méconnaissant, par elle-même, le principe d'égalité, alors même que des sociétés mères pourraient, involontairement, ne pas opter, dans les conditions définies au point précédent, pour le bénéfice de ce régime. Dès lors, la question prioritaire de constitutionnalité, qui n'est pas nouvelle, tirée de ce que le premier alinéa du I de l'article 216 du code général des impôts méconnaît les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 ne peut être regardée comme présentant un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société Worms et Cie.
8. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et premier du premier protocole additionnel à cette convention ne peut qu'être écarté.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Worms et Cie doit être rejetée.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Worms et Cie.
Article 2 : La requête de la société Worms et Cie est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Worms et Cie et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.