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04/12/2017 | FRANCE | N°407463

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 04 décembre 2017, 407463


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 2 février, 25 avril et 10 novembre 2017, la société C8 (anciennement D8) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2016-872 du 23 novembre 2016 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) l'a mise en demeure de respecter, à l'avenir, les dispositions de l'article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

2°) de mettre à la charge d

u CSA une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice admi...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 2 février, 25 avril et 10 novembre 2017, la société C8 (anciennement D8) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2016-872 du 23 novembre 2016 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) l'a mise en demeure de respecter, à l'avenir, les dispositions de l'article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

2°) de mettre à la charge du CSA une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alain Seban, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public.

1. Considérant qu'aux termes des premier et cinquième alinéas de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, garantit l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle par tout procédé de communication électronique, dans les conditions définies par la présente loi. / (...) / Il assure le respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle. A cette fin, il veille, d'une part, à une juste représentation des femmes et des hommes dans les programmes des services de communication audiovisuelle et, d'autre part, à l'image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples. Dans ce but, il porte une attention particulière aux programmes des services de communication audiovisuelle destinés à l'enfance et à la jeunesse. / (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 42 de cette loi : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 " ; qu'aux termes de l'article 42-1, " si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci ", elle peut faire l'objet d'une sanction infligée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel " compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier qu'à la suite de la diffusion, le 14 octobre 2016, par le service de télévision nationale diffusée par voie hertzienne en mode numérique C8, éditée par la société requérante, dans l'émission " Touche pas à mon poste : les 35 heures de Baba ", d'une séquence dont il a estimé qu'elle véhiculait des préjugés sexistes et présentait une image dégradante de la femme, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a adressé le 23 novembre 2016 à la société D8, ancienne dénomination de la société C8, une mise en demeure de se conformer aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ; que la société C8 demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir cette mise en demeure ;

Sur la légalité externe :

3. Considérant que les dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 qui confèrent au CSA le pouvoir de procéder à une mise en demeure impliquent, alors même que la mise en demeure n'entre dans aucune des catégories de décisions administratives qui doivent être motivées en application des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, qu'une telle décision mentionne les faits constatés par le CSA ainsi que les obligations dont il estime qu'elles ont été méconnues et auxquelles il invite l'éditeur, le distributeur ou l'opérateur à se conformer à l'avenir ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la décision attaquée comporte, sous une forme suffisante, l'ensemble de ces éléments ;

4. Considérant qu'aux termes du cinquième alinéa de l'article 5 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Pendant la durée de leurs fonctions et durant un an à compter de la cessation de leurs fonctions, les membres du conseil sont tenus de s'abstenir de toute prise de position publique sur les questions en cours d'examen. Les membres et anciens membres du conseil sont tenus de respecter le secret des délibérations " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les propos tenus par le président du CSA dans une émission de radio la veille de la décision attaquée, qui présentaient un caractère général et constituaient un simple rappel des pouvoirs confiés par la loi à l'instance de régulation, ne peuvent être regardés comme exprimant une opinion sur la procédure engagée à l'encontre de la société requérante et n'ont, par suite, pas impliqué une méconnaissance de l'obligation de réserve prévue par les dispositions précitées ; que ces propos ne sont pas de nature à caractériser une atteinte au principe d'impartialité ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que le quorum de quatre membres, requis pour les délibérations du CSA par le dernier alinéa de l'article de la loi du 30 septembre 1986, n'aurait pas été atteint manque en fait, dès lors que huit membres du Conseil ont participé à la délibération de la décision attaquée ;

Sur la légalité interne :

6. Considérant, d'une part, que, se prononçant sur la conformité à la Constitution du texte adopté par le Parlement et qui allait devenir la loi du 17 janvier 1989 modifiant la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, a estimé que les pouvoirs de sanction conférés par le législateur au CSA ne sont susceptibles de s'exercer qu'après mise en demeure des titulaires d'autorisation pour l'exploitation de services de communication audiovisuelle de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires, et faute pour les intéressés de respecter ces obligations ou de se conformer aux mises en demeure qui leur ont été adressées ; que c'est sous réserve de cette interprétation que les articles en cause ont été déclarés conformes à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 24 août 1789 et à l'article 34 de la Constitution ; que cette réserve d'interprétation assure notamment le respect du principe de légalité des délits et des peines, consacré par l'article 8 de la Déclaration de 1789 et qui s'applique notamment devant les organismes administratifs dotés d'un pouvoir de sanction ; que le CSA ne peut, en effet, prononcer une sanction contre le titulaire de l'autorisation qu'en cas de réitération d'un comportement ayant fait auparavant l'objet d'une mise en demeure par laquelle il a été au besoin éclairé sur ses obligations ; que la mise en demeure litigieuse définit avec précision le comportement que le CSA a regardé comme contraire aux dispositions précitées de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'eu égard à la généralité des termes de cet article le CSA aurait méconnu le principe de légalité des délits et des peines ne saurait être accueilli ;

7. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que, lors de l'émission en cause, son animateur a incité une figurante à se laisser embrasser par l'un des chroniqueurs, ce que celle-ci a nettement refusé à deux reprises ; que, malgré ce refus réitéré, le chroniqueur l'a néanmoins embrassée, par suprise, sur la poitrine ; que la séquence a été ponctuée de commentaires, notamment de l'animateur, relatifs au physique de la figurante ; qu'elle a été rediffusée le lendemain à une heure de grande écoute, sous prétexte de permettre au chroniqueur de présenter des excuses à l'intéressée ; que la société requérante ne conteste pas le caractère déplacé de la séquence mais met en avant le caractère humoristique de l'émission et la difficulté de contrôler entièrement un programme en direct ; que, toutefois, les éditeurs de service de communication audiovisuelle sont tenus de maîtriser en permanence leur antenne, la circonstance qu'un programme est diffusé en direct devant conduire, à cet égard, à une vigilance particulière ; que le caractère humoristique du programme n'était pas de nature à justifier une séquence qui ne pouvait que banaliser un comportement consistant à embrasser une femme contre sa volonté manifeste ; qu'ainsi, la décision attaquée, qui a mis la société C8 en demeure de se conformer aux obligations découlant des dispositions citées ci-dessus du cinquième alinéa de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 est légalement justifiée ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société C8 n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge du CSA, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la société C8 est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société C8 et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Copie pour information en sera adressée à la ministre de la culture.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 407463
Date de la décision : 04/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 déc. 2017, n° 407463
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alain Seban
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407463.20171204
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