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23/10/2017 | FRANCE | N°386319

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 23 octobre 2017, 386319


Vu la procédure suivante :

Par une requête et cinq autres mémoires, enregistrés les 9 et 15 décembre 2014, 21 juillet 2015, 29 février et 8 mai 2016 et le 16 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Avenir Haute-Durance, les communes de Puy-Saint-Eusèbe, de Réallon, de Chateauroux-lès-Alpes, de Puy-Sanières et de la Bâtie-Neuve, les associations France Nature Environnement-Provence-Alpes-Côte d'Azur, Hautes-Alpes Nature Environnement, Les Hauts de Granes, la société alpine de protection de la nature, Curl'air Parapente, l'école Jennif'A

ir, Mmes C...D..., G...B...et F...A..., et M.M. E... B..., Jean Eyme,...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et cinq autres mémoires, enregistrés les 9 et 15 décembre 2014, 21 juillet 2015, 29 février et 8 mai 2016 et le 16 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Avenir Haute-Durance, les communes de Puy-Saint-Eusèbe, de Réallon, de Chateauroux-lès-Alpes, de Puy-Sanières et de la Bâtie-Neuve, les associations France Nature Environnement-Provence-Alpes-Côte d'Azur, Hautes-Alpes Nature Environnement, Les Hauts de Granes, la société alpine de protection de la nature, Curl'air Parapente, l'école Jennif'Air, Mmes C...D..., G...B...et F...A..., et M.M. E... B..., Jean Eyme, JeanA..., Gilles Gensul et Jean-Baptiste Morin demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 octobre 2014 de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et de la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité portant déclaration d'utilité publique, en vue de l'institution de servitudes, des travaux de construction d'une ligne électrique aérienne à 250 000 volts, dite projet " P4 ", entre les postes de l'Argentière-La Bessée et de Serre-Ponçon dans le département des Hautes-Alpes, imposant au maître d'ouvrage la mise en oeuvre de mesures d'évitement, de réduction et de compensation des impacts de ces travaux et des modalités de suivi de leur réalisation et, enfin, emportant mise en compatibilité d'un certain nombre de documents locaux d'urbanisme ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 62 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code de l'urbanisme ;

- le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 ;

- la décision du 2 novembre 2015 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Avenir haute-Durance et autres ;

- la décision n° 2015-518 QPC du 2 février 2016 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'association Avenir Haute-Durance et autres ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société Réseau transport d'électricité ;

Considérant ce qui suit :

1. La Ligue pour la protection des oiseaux, délégation Provence-Alpes-Côte d'Azur justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.

2. L'arrêté attaqué porte déclaration d'utilité publique en vue de l'institution de servitudes, des travaux de construction, par la société RTE, d'une ligne électrique aérienne à 250 000 volts, dite projet " P4 ", entre les postes de l'Argentière-La Bessée et de Serre-Ponçon dans le département des Hautes-Alpes. Il impose au maître d'ouvrage la mise en oeuvre de mesures d'évitement, de réduction et de compensation des impacts de ces travaux et des modalités de suivi de leur réalisation. Il emporte mise en compatibilité d'un certain nombre de documents locaux d'urbanisme.

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne le contenu du dossier d'enquête publique :

3. Aux termes de l'article R. 123-8 du code de l'environnement, le dossier soumis à l'enquête comporte : " (...) 3° La mention des textes qui régissent l'enquête publique en cause et l'indication de la façon dont cette enquête s'insère dans la procédure administrative du projet, plan ou programme considéré ainsi que la ou les décisions pouvant être adoptées au terme de l'enquête et les autorités compétentes pour prendre la décision d'autorisation ou d'approbation (...)/ 4° Lorsqu'ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire préalablement à l'ouverture de l'enquête, les avis émis sur le projet plan, ou programme. (...)/ 6° La mention des autres autorisations nécessaires pour réaliser le projet, plan ou programme, en application du I de l'article L. 214-3, des articles L. 341-10 et L. 411-2 (4°) du code de l'environnement, ou des articles L. 311-1 et L. 312-1 du code forestier ".

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, dans le volume 7/10 du dossier soumis à l'enquête publique, figure un document intitulé " l'enquête publique dans la procédure administrative " qui mentionne les dispositions applicables à une enquête publique préalable à une déclaration d'utilité publique et que l'ensemble de la procédure administrative est détaillée dans le volet C relatif au " contexte administratif et réglementaire " du volume 1/10 du mémoire descriptif. Le volume 9/10 de ce mémoire indique que seront nécessaires des dérogations au titre de la préservation du patrimoine naturel. Par suite, alors même que ces mentions ne font pas état de l'ampleur des dérogations susceptibles d'être autorisées, sur le fondement du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, aux obligations de préservation du patrimoine naturel, le moyen tiré de ce que le dossier ne comportait pas les mentions requises par les dispositions des 3° et 6° de l'article R. 128 de ce code ne peut qu'être écarté.

5. En second lieu, d'une part, si les dispositions de l'article L. 331-4 du code de l'environnement, dans leur version en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, imposaient l'avis conforme de l'établissement public du parc après avis de son conseil scientifique pour les travaux, ouvrages ou aménagements soumis à la procédure d'étude d'impact et susceptibles d'affecter de manière notable le coeur du parc, aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait un tel avis s'agissant de travaux envisagés dans l'aire d'adhésion d'un parc national. D'autre part, les dispositions du III de l'article L. 331-3 du même code, aux termes desquelles : " L'établissement public du parc national est associé à l'élaboration et aux différentes procédures de révision des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme ", n'étaient pas applicables à la procédure conduisant à l'arrêté de déclaration d'utilité publique litigieux, qui emporte mise en compatibilité des plans locaux d'urbanisme avec une opération d'utilité publique, mais ne constitue pas une procédure de révision de ces documents. Enfin, l'article R. 331-34 du code de l'environnement prévoit que le directeur d'un parc national " est saisi pour avis par l'autorité compétente pour prendre la décision d'autorisation, d'approbation ou d'exécution du projet, ( ...) le cas échéant, de l'étude d'impact définie à l'article R. 122-5, lorsque des travaux, ouvrages ou aménagements soumis à ces procédures en vertu de l'article R. 122-2 sont envisagés dans (...) l'aire d'adhésion ". Ainsi, le directeur du parc national des Ecrins était bien compétent pour émettre un avis, lequel figurait au dossier soumis à enquête publique, dans le cadre de la procédure conduisant à l'arrêté litigieux, dès lors que les travaux correspondants n'étaient envisagés que dans l'aire d'adhésion du parc. Il suit de là que le moyen tiré de ce que ce dossier était constitué en méconnaissance du 4° de l'article R. 123-8 du code de l'environnement doit être écarté.

En ce qui concerne l'étude d'impact jointe au dossier d'enquête publique :

6. Aux termes de l'article L. 323-3 du code de l'énergie : " Les travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité peuvent être, sur demande du concédant ou du concessionnaire, déclarés d'utilité publique par l'autorité administrative./ La déclaration d'utilité publique est précédée d'une étude d'impact et d'une enquête publique dans les cas prévus au chapitre II ou au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l'environnement./ S'il y a lieu à expropriation, il y est procédé conformément aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ". Le 28° de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement soumet à étude d'impact " la construction de lignes aériennes d'une tension égale ou supérieure à 63 000 volts et d'une longueur de plus de 15 kilomètres ".

7. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à l'arrêté litigieux : " I.-Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II.-L'étude d'impact présente : / 1° Une description du projet comportant des informations relatives à sa conception et à ses dimensions, y compris, en particulier, une description des caractéristiques physiques de l'ensemble du projet et des exigences techniques en matière d'utilisation du sol lors des phases de construction et de fonctionnement (...)/ 2° Une analyse de l'état initial de la zone et des milieux susceptibles d'être affectés par le projet, portant notamment sur (...) l'eau (...) ; /3° Une analyse des effets négatifs et positifs, directs et indirects, temporaires (y compris pendant la phase des travaux) et permanents, à court, moyen et long terme, du projet sur l'environnement, en particulier sur les éléments énumérés au 2° (...)/ 5° Une esquisse des principales solutions de substitution examinées par le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage et les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l'environnement ou la santé humaine, le projet présenté a été retenu (...) ".

8. En premier lieu, d'une part, si les requérants soutiennent que l'insuffisante précision de l'étude quant à l'implantation des pylônes faisait obstacle à ce que le public apprécie les effets directs et indirects du projet, l'étude d'impact mentionne la distance totale de la ligne aérienne devant être construite, la distance moyenne entre deux supports, précise que les caractéristiques géométriques dépendent du type de pylônes et indique que seulement deux familles de pylônes seront utilisées, en donnant une illustration qui permet d'apprécier leurs caractéristiques. Ni l'étude d'impact, ni aucun autre élément du dossier soumis à l'enquête publique n'avait à indiquer la localisation exacte des pylônes, qui pouvait légalement ne pas être encore arrêtée au stade de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique du projet. En effet, conformément aux dispositions alors applicables de l'article 13 du décret du 11 juin 1970 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'article 35 modifié de la loi du 8 avril 1946 concernant la procédure de déclaration d'utilité publique des travaux d'électricité et de gaz qui ne nécessitent que l'établissement de servitudes, l'implantation exacte des pylônes n'est arrêtée qu'après l'approbation par le préfet du tracé de détail de la ligne électrique puis l'institution des servitudes par cette même autorité, laquelle, faute d'accord des propriétaires intéressés, ne pourra être prononcée qu'à la suite d'une nouvelle enquête publique, Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'étude d'impact ne permettait pas au public de connaître la nature et les caractéristiques des principaux ouvrages envisagés doit être écarté.

9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'impact sur les nappes phréatiques et l'alimentation en eau potable a été analysé à l'échelle du programme global, l'évaluation des impacts propres au projet " P4 " devant être accomplie une fois déterminés le tracé de la ligne et l'implantation des ouvrages. Cet impact est étudié dans le dossier d'enquête au volet C portant sur l'analyse de l'état initial, au volet D portant sur les effets du projet sur l'environnement et au volet F portant sur les impacts localisés du projet et sur les mesures d'évitement et de réduction des effets négatifs notables sur l'environnement. L'étude indique que le projet retenu s'est efforcé, à partir d'un diagnostic effectué par un hydrogéologue agréé, d'éviter la majorité des périmètres de protection des captages qui ont été recensés et que, dans le cas contraire, des mesures d'évitement des défrichements dans les périmètres de protection rapprochée sont prévues. Par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'étude aurait insuffisamment pris en compte les impacts du projet sur les nappes phréatiques et l'alimentation en eau potable.

10. En troisième lieu, conformément aux exigences résultant des dispositions précitées du 5° de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, l'étude d'impact décrit les raisons pour lesquelles le projet soumis à l'enquête a été retenu parmi les différentes solutions envisagées, consistant en trois possibilités de tracé et d'organisation du réseau qui figurent dans le mémoire descriptif du dossier de demande de déclaration d'utilité publique. L'étude pouvait, par ailleurs, légalement s'abstenir de présenter une solution d'enfouissement total de la ligne, dont il ressort des pièces du dossier qu'elle a été écartée en amont en raison de contraintes techniques insurmontables et que sa mise en oeuvre n'a, par conséquent, pas été envisagée par le maître d'ouvrage. Enfin, il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'avis de l'autorité environnementale, que les risques naturels associés au projet retenu n'ont pas été sous-évalués. Par suite, le moyen doit être écarté.

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne l'implantation des pylônes :

11. Les requérants soutiennent qu'il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-518 QPC du 2 février 2016 que les dispositions des articles L. 323-3 à L. 323-8 du code de l'énergie, ne sont pas applicables sans l'intervention du décret en Conseil d'Etat qui, en application des dispositions de l'article L. 323-9 de ce code, précise leurs modalités d'application, détermine les formes de la déclaration d'utilité publique et fixe, notamment, les conditions d'établissement des servitudes auxquelles donnent lieu les travaux déclarés d'utilité publique et qui n'impliquent pas le recours à l'expropriation. Toutefois, le décret du 11 juin 1970 déjà mentionné constitue le décret prévu par ces dispositions. Ainsi, en tout état de cause, le moyen ne peut qu'être écarté.

12. Par cette décision du 2 février 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions des articles L. 323-3 à L. 323-9 du code de l'énergie. Il a jugé que les servitudes instituées par ces dispositions n'entraînent pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 mais une limitation à l'exercice du droit de propriété, tout en réservant le cas où la sujétion ainsi imposée devait aboutir, compte tenu de l'ampleur de ses conséquences sur une jouissance normale de la propriété grevée de servitude, à vider le droit de propriété de son contenu. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'installation de pylônes importants, tels que ceux supportant des lignes électriques supérieures à 100 000 volts, n'a pas nécessairement pour effet de vider de son contenu le droit de propriété des propriétaires supportant les servitudes correspondantes. Par suite et en tout état de cause, l'arrêté attaqué n'est pas illégal du seul fait qu'il ne prévoit pas l'expropriation pour cause d'utilité publique des propriétés sur lesquelles ces pylônes doivent être installés. Il ne l'est pas davantage dès lors que l'absence de précisions, à ce stade, quant à l'implantation exacte des pylônes, ne fait pas obstacle à la possibilité pour l'administration, sous le contrôle du juge, d'apprécier l'utilité publique du projet.

13. Aux termes de l'article L. 323-4 du code de l'énergie : " La déclaration d'utilité publique investit le concessionnaire, pour l'exécution des travaux déclarés d'utilité publique, de tous les droits que les lois et règlements confèrent à l'administration en matière de travaux publics. Le concessionnaire demeure, dans le même temps, soumis à toutes les obligations qui dérivent, pour l'administration, de ces lois et règlements ". En application du même article, la déclaration d'utilité publique rend possibles, pour faciliter la réalisation des infrastructures de transport et de distribution de l'électricité, diverses servitudes, telles que des servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire, qui, en application de l'article L. 323-5 de ce code, s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux. Aux termes de l'article L. 323-6 du même code : " La servitude établie n'entraîne aucune dépossession./ La pose d'appuis sur les murs ou façades ou sur les toits ou terrasses des bâtiments ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. La pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ". Enfin, l'article L. 323-7 de ce code dispose que : " Lorsque l'institution des servitudes prévues à l'article L. 323-4 entraîne un préjudice direct, matériel et certain, elle ouvre droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit. / L'indemnité qui peut être due à raison des servitudes est fixée, à défaut d'accord amiable, par le juge judiciaire ".

14. Les requérants soutiennent que l'arrêté attaqué, en déclarant d'utilité publique les travaux d'établissement de pylônes dont l'implantation n'est pas précisée, fait obstacle à ce que les propriétaires intéressés par l'institution des servitudes afférentes à ces pylônes soient mis à même d'exercer leur droit au recours effectif dans le cadre d'un procès équitable, garanti par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en vue de protéger leur droit au respect de leurs biens et leur droit de propriété, respectivement garantis par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention et par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

15. Toutefois, l'absence de précision de l'implantation exacte des pylônes au stade de la déclaration d'utilité publique du projet ne fait pas obstacle à ce que les personnes ou propriétaires intéressés contestent, par la voie de l'excès de pouvoir, les arrêtés préfectoraux subséquents portant approbation du tracé de détail et établissant les servitudes ou, comme le prévoit l'article L. 323-7 du code de l'énergie, saisissent le juge judiciaire pour qu'il fixe l'indemnité due à raison des préjudices directs, matériels et certains nés de l'institution des servitudes. Il suit de là que l'arrêté attaqué n'a pas pour effet de restreindre l'exercice par les propriétaires concernés du droit à un procès équitable et à un recours effectif que leur garantissent les articles 6 et 13 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne méconnaît pas davantage le droit de propriété ni le droit au respect des biens, respectivement protégés par l'article 17 de la Déclaration de 1789 et par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne le moyen tiré du caractère indissociable des différents projets :

16. En application du II de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, lorsque des projets soumis à étude d'impact concourent à la réalisation d'un même programme de travaux, d'aménagements ou d'ouvrages et lorsque ces projets sont réalisés de manière simultanée, l'étude d'impact doit porter sur l'ensemble du programme. Lorsque la réalisation est échelonnée dans le temps, l'étude d'impact de chacun des projets doit comporter une appréciation des impacts de l'ensemble du programme. Dans la mesure où la réalisation du programme de rénovation des ouvrages de distribution d'électricité de la haute-Durance, prévoyait une réalisation échelonnée dans le temps des projets " P1 " à " P6 ", parmi lesquels figure le projet " P 4 " visé par l'arrêté litigieux, l'étude d'impact pouvait légalement porter sur ce seul projet, dès lors, ainsi que cela était le cas en l'espèce, qu'elle comportait une appréciation des impacts de l'ensemble du programme. Eu égard au caractère divisible des projets, le projet " P 4 " pouvait légalement faire l'objet d'un arrêté distinct le déclarant d'utilité publique.

En ce qui concerne l'utilité publique du projet :

17. Un projet relatif à l'établissement d'une nouvelle ligne électrique à très haute tension ne peut légalement être déclaré d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'il comporte ne sont pas excessifs, eu égard à l'intérêt qu'il présente.

18. D'une part, il ressort des pièces du dossier, notamment de la fiche portant sur " la justification du programme électrique " figurant au volet A de l'étude d'impact, que la construction de cette nouvelle ligne se justifie par une augmentation des risques de délestage, d'écroulement de tension et de surcharge, notamment en période de pointe hivernale, du réseau électrique de la Haute-Durance, qui repose sur une seule ligne de 150 000 volts construite en 1936, reliant le barrage de Serre-Ponçon et la vallée de la Maurienne en Savoie et dont la fin de vie est estimée à 2020. Le choix d'augmenter, à l'occasion de la rénovation de cette ligne ancienne, la tension du réseau en la faisant passer à 250 000 volts, repose sur une prévision de croissance modérée de la consommation électrique de cette région intégrant les effets prévisibles des actions tant nationales que locales en faveur de la maîtrise de la consommation énergétique. Eu égard aux besoins de la population, cette augmentation ne revêt pas un caractère manifestement excessif. Dans ces conditions, le projet litigieux, qui s'inscrit dans ce programme et en constitue l'un des éléments essentiels, présente un intérêt public.

19. D'autre part, le tracé de la ligne correspondant au projet " P4 " est situé en dehors du coeur des zones protégées. Il ressort, du reste, de l'étude d'impact que ce tracé suivra majoritairement celui de la ligne existante. Par ailleurs, de nombreuses mesures sont également prévues pour atténuer et compenser l'impact de cette ligne sur la faune et la flore. Il suit de là que, eu égard à l'intérêt public qui s'attache au programme dans lequel s'inscrit le projet litigieux et aux précautions prises, ni la circonstance que ce projet traverse l'aire d'adhésion du parc national des Ecrins, ni celle qu'il ait un impact visuel sur les paysages situés aux extrémités nord et sud de ce parc, dont la charte recommande la préservation, ne sont de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique. Enfin, la circonstance alléguée selon laquelle les chantiers consécutifs à la déclaration d'utilité publique porteraient une atteinte plus importante qu'initialement prévue à l'environnement est sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué.

20. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense par RTE, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge, d'une part, de la société RTE, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante et, d'autre part, de la Ligue pour la protection des oiseaux, délégation Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui n'a pas la qualité de partie. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre solidairement à la charge de l'association Avenir Haute-Durance et des autres requérants une somme de 3 000 euros, à verser à la société RTE, au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la Ligue pour la protection des oiseaux, délégation Provence-Alpes-Côte d'Azur est admise.

Article 2 : La requête de l'association Avenir Haute-Durance et autres est rejetée.

Article 3 : L'association Avenir Haute-Durance et les autres requérants verseront solidairement une somme de 3 000 euros à la société RTE au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la société RTE au titre de l'article L. 761-1, et celles présentées par la Ligue pour la protection des oiseaux, délégation Provence-Alpes-Côte d'Azur au titre de ces mêmes dispositions, sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Avenir Haute- Durance, premier requérant dénommé, à la société RTE, à la Ligue pour la protection des oiseaux, délégation Provence-Alpes-Côte d'Azur et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 386319
Date de la décision : 23/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 23 oct. 2017, n° 386319
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Villette
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:386319.20171023
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