Vu la procédure suivante :
M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 2 avril 2013 par laquelle la ministre de la culture et de la communication a refusé de lui délivrer un certificat d'exportation pour le manuscrit d'André Félibien intitulé " Mémoires pour servir à l'Histoire des Maisons Royalles et Bastiments de France ". Par un jugement n° 1307679 du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 14PA02173 du 28 mai 2015, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel relevé par M. A...contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 28 juillet 2015, 28 octobre 2015 et 25 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A...et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du ministre de la culture ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 2 avril 2013, la ministre de la culture et de la communication a rejeté comme irrecevable la demande de certificat présentée par M.A..., en vue de l'exportation, du fait de sa vente, d'un manuscrit de 1681 d'André Félibien, intitulé " Mémoires pour servir à l'Histoire des Maisons royalles et bastimens de France ", plus connu sous le nom de " manuscrit de Cheverny ", au motif que celui-ci appartient au domaine public de l'Etat dès lors que, acquis en 1719 lors de l'achat par la Bibliothèque royale des manuscrits de la collection d'Etienne Baluze, il en a été soustrait sans que la preuve de sa sortie régulière des collections publiques ne soit apportée. M.A..., qui conteste cette analyse et soutient qu'il est en possession non pas du manuscrit original, qu'il affirme être celui actuellement conservé dans les collections de la Bibliothèque nationale, mais d'une copie régulièrement acquise, lors de la vente Mariette de 1775, par Nicolas Dufort, alors propriétaire du château de Cheverny, puis vendue avec le monument à la famille A...en 1825 qui le détient publiquement et paisiblement depuis lors, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 28 mai 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel dirigé contre le jugement du 13 mars 2014 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 2 avril 2013 de la ministre de la culture et de la communication.
2. Aux termes de l'article L. 111-2 du code du patrimoine : " L'exportation temporaire ou définitive hors du territoire douanier des biens culturels, autres que les trésors nationaux, qui présentent un intérêt historique, artistique ou archéologique et entrent dans l'une des catégories définies par décret en Conseil d'Etat est subordonnée à l'obtention d'un certificat délivré par l'autorité administrative (...) ".
3. Il appartient au juge administratif de se prononcer sur l'existence, l'étendue et les limites du domaine public, sauf à renvoyer à l'autorité judiciaire une question préjudicielle en cas de contestation sur la propriété du bien litigieux dont l'examen soulève une difficulté sérieuse. Le caractère sérieux de la contestation s'apprécie au regard des prétentions contraires des parties et au vu de l'ensemble des pièces du dossier. Le juge doit prendre en compte tant les éléments de fait que les titres privés invoqués par les parties.
4. Il résulte des motifs énoncés au point précédent qu'en affirmant la compétence exclusive du juge administratif pour connaître du présent litige, en l'absence de contestation sérieuse relative à la propriété du " manuscrit de Cheverny ", au seul motif que n'était invoqué aucun titre privé à l'appui de cette contestation, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A...est fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 28 mai 2015.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Aux termes de l'article R. 111-11 du code du patrimoine : " Lorsqu'il envisage de refuser le certificat, le ministre chargé de la culture saisit la commission consultative des trésors nationaux et transmet à son président un rapport scientifique sur le bien ". L'article R. 111-12 du même code prévoit que : " Le refus de délivrer le certificat fait l'objet d'un arrêté du ministre chargé de la culture. Un extrait de cet arrêté et l'avis de la commission consultative des trésors nationaux sont publiés simultanément au Journal officiel de la République française./ La décision de refus est notifiée au propriétaire du bien, même si la demande a été déposée par un mandataire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la ministre de la culture et de la communication a saisi la commission consultative des trésors nationaux le 14 mars 2013, transmettant à son président un rapport scientifique sur le manuscrit en litige. A l'issue de ses réunions des 20 et 26 mars 2013, la commission a estimé, par un avis motivé, émis dans des conditions régulières, le quorum ayant été réuni, que la demande de certificat d'exportation n'était pas recevable dès lors que le " manuscrit de Cheverny " appartenait au domaine public de l'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que la commission consultative des trésors nationaux n'aurait pas été régulièrement consultée doit être écarté.
8. La circonstance que la décision de la ministre de la culture et de la communication du 2 avril 2013 revête la forme d'une simple lettre et non d'un arrêté n'est pas de nature à entacher cette décision d'illégalité.
9. L'absence de publication d'un extrait de cette décision et de l'avis de la commission consultative des trésors nationaux au Journal officiel de la République française est, en tout état de cause, sans incidence sur sa légalité.
10. Le moyen tiré de ce que la décision de la ministre de la culture et de la communication méconnaît l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre d'en apprécier le bien-fondé.
11. Le tribunal administratif, par un jugement suffisamment motivé, a considéré qu'il résultait de la datation de l'estampille apposée sur le " manuscrit de Cheverny " et sur l'exemplaire conservé dans les collections de la Bibliothèque nationale, ainsi que de l'écriture des cotes portées sur ces ouvrages, au regard de celles figurant dans le catalogue de la Bibliothèque royale, que le manuscrit détenu par M. A...est le manuscrit original, commandé par Colbert à André Félibien et acquis par la Bibliothèque royale lors de la vente du fonds Baluze en 1719, relevant que ce manuscrit comporte de nombreuses illustrations au contraire de l'autre manuscrit qui en est quasiment dépourvu. Estimant qu'aucun élément au dossier ne permettait de considérer que le " manuscrit de Cheverny " est sorti régulièrement des collections de la Bibliothèque royale, à une date probablement comprise entre 1719 et 1735, et relevant qu'il est resté dans le domaine national à la Révolution, faute d'acte législatif ayant autorisé son aliénation, il en a déduit que la circonstance que la famille de M. A...l'avait en sa possession depuis 1825 était sans effet sur sa propriété qui, faisant partie du domaine public de l'Etat, est imprescriptible. Par suite, il a écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte des motifs énoncés au point 3 de la présente décision que la compétence de la juridiction administrative pour trancher le litige, sans qu'il soit besoin de renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, est subordonnée à l'absence de contestation sérieuse quant à la propriété du " manuscrit de Cheverny ". Ce point suppose que soit clairement identifié le bien en litige. Or, l'état du dossier ne permet pas au Conseil d'Etat de se prononcer d'une part, sur la question de savoir si le " manuscrit de Cheverny " est le manuscrit commandé par Colbert à André Félibien ou s'il n'en est que la copie et d'autre part, si ce manuscrit a ou non appartenu aux collections de la Bibliothèque royale. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur la requête d'appel de M. A...d'ordonner une expertise sur ces points et, dans l'attente des résultats de l'expertise, de surseoir à statuer sur les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 28 mai 2015 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête d'appel de M.A..., procédé par un expert unique, désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à une expertise avec mission de répondre aux questions de savoir, d'une part, si le " manuscrit de Cheverny " est le manuscrit commandé par Colbert à André Félibien ou s'il n'en est que la copie et d'autre part, si ce manuscrit a ou non appartenu aux collections de la Bibliothèque royale.
Article 3 : L'expert prêtera serment par écrit ou devant le secrétaire du contentieux du Conseil d'Etat ; le rapport d'expertise sera déposé au secrétariat du contentieux dans le délai de six mois suivant la prestation de serment.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A...et à la ministre de la culture.