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19/06/2017 | FRANCE | N°407826

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 19 juin 2017, 407826


Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et la société à responsabilité limitée (SARL) Paris Pierre ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 27 septembre 2016 par laquelle le maire de Chennevières-sur-Marne a exercé le droit de préemption urbain sur les lots nos 144 et 155 constitués sur la parcelle cadastrée section AT n° 426 au 46 bis de la rue du

Général de Gaulle. Par une ordonnance n° 1609910 du 16 janvier 2017, le jug...

Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et la société à responsabilité limitée (SARL) Paris Pierre ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision du 27 septembre 2016 par laquelle le maire de Chennevières-sur-Marne a exercé le droit de préemption urbain sur les lots nos 144 et 155 constitués sur la parcelle cadastrée section AT n° 426 au 46 bis de la rue du Général de Gaulle. Par une ordonnance n° 1609910 du 16 janvier 2017, le juge des référés de ce tribunal a suspendu l'exécution de la décision du 27 septembre 2016.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 février et 27 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Chennevières-sur-Marne demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et de la SARL Paris Pierre ;

3°) de mettre à la charge solidairement de la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et de la SARL Paris Pierre la somme 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de la commune de Chennevières-sur-Marne, et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et de la SARL Paris Pierre.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juin 2017, présentée par la commune de Chennevières-sur-Marne ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par une décision du 27 septembre 2016, le maire de la commune de Chennevières-sur-Marne a exercé le droit de préemption urbain sur les lots nos 144 et 155, comportant des droits à construire, constitués sur la parcelle cadastrée section AT n° 426 située au 46 bis de la rue du Général de Gaulle dans cette commune. Par une ordonnance du 16 janvier 2017, contre laquelle la commune de Chennevières-sur-Marne se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, faisant droit à la demande de la SARL Paris Pierre et de la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne, respectivement propriétaire du bien préempté et acquéreur évincé, a suspendu l'exécution de la décision du 27 septembre 2016.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 522-8 du code de justice administrative : " L'instruction est close à l'issue de l'audience, à moins que le juge des référés ne décide de différer la clôture de l'instruction à une date postérieure dont il avise les parties par tous moyens. Dans ce dernier cas, les productions complémentaires déposées après l'audience et avant la clôture de l'instruction peuvent être adressées directement aux autres parties, sous réserve, pour la partie qui y procède, d'apporter au juge la preuve de ses diligences. / L'instruction est rouverte en cas de renvoi à une autre audience ".

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 731-3 du même code : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". Lorsque le juge des référés est saisi, postérieurement à l'audience ou, si celle-ci a été différée, postérieurement à la clôture de l'instruction, d'une note en délibéré, il lui appartient d'en prendre connaissance et, s'il estime que cette note n'apporte pas d'éléments nouveaux de nature à justifier la réouverture de l'instruction, de la viser sans l'analyser.

5. En premier lieu, d'une part, la seule circonstance que le juge des référés a non seulement visé, comme il le devait, mais aussi analysé les notes en délibéré produites par les parties et enregistrées au greffe du tribunal les 23 décembre 2016, 3 janvier 2017 et 6 janvier 2017, soit après la clôture de l'instruction intervenue à l'issue de l'audience qui s'est tenue le 14 décembre 2016, est sans incidence sur la régularité de son ordonnance. D'autre part, s'il ressort des pièces du dossier que ces notes en délibéré ont été adressées aux parties par la juridiction, cette communication, postérieure à la signature de l'ordonnance attaquée, n'a pu avoir pour effet de rouvrir l'instruction.

6. En second lieu, il résulte des termes de l'ordonnance attaquée que le juge des référés ne s'est fondé, pour statuer, sur aucun élément nouveau produit après la clôture de l'instruction et notamment, contrairement à ce que soutient la commune, ni sur l'acte de vente produit par les sociétés requérantes ni sur les extraits du recueil des actes administratifs qu'elle-même produisait à l'appui de sa note en délibéré.

7. Par suite, la commune n'est pas fondée à soutenir que l'ordonnance attaquée aurait été rendue sans que l'instruction soit close ou en méconnaissance du principe du contradictoire.

Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :

8. En premier lieu, eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets pour l'acquéreur évincé, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque celui-ci en demande la suspension. Il peut toutefois en aller autrement au cas où le titulaire du droit de préemption justifie de circonstances particulières, tenant par exemple à l'intérêt s'attachant à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'exercice du droit de préemption. A ce titre, il appartient au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise.

9. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la demande de suspension de l'exécution de la décision de préemption prise le 27 septembre 2016 par le maire de Chennevières-sur-Marne a été présentée notamment par la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne, acquéreur évincé par cette décision. D'une part, si la commune faisait valoir l'intérêt public s'attachant à la construction de logements sociaux, en vue de laquelle elle avait préempté les lots litigieux, elle ne faisait état d'aucune circonstance particulière tenant notamment à la nécessité d'une réalisation rapide de ce projet. D'autre part, ni la circonstance que la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne soit une filiale de la société propriétaire du bien préempté ni celle que les sociétés requérantes puissent proroger la promesse de vente qu'elles avaient conclue ou en conclure une nouvelle ne faisaient obstacle à ce que la condition d'urgence soit constatée en l'espèce. Par suite, le juge des référés, qui, contrairement à ce que soutient la commune, ne s'est pas fondé sur l'état d'avancement du projet immobilier envisagé par les sociétés requérantes, n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier en estimant que l'urgence justifiait la suspension de l'exécution de la décision litigieuse.

10. En deuxième lieu, l'illégalité de l'acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu'il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu'un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l'exception les illégalités qui l'affecteraient, alors qu'il aurait acquis un caractère définitif.

11. Aux termes de l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département. / Les effets juridiques attachés à la délibération mentionnée au premier alinéa ont pour point de départ l'exécution de l'ensemble des formalités de publicité mentionnées audit alinéa. Pour l'application du présent alinéa, la date à prendre en considération pour l'affichage en mairie est celle du premier jour où il est effectué ". Le juge des référés a relevé que la commune ne produisait pas les éléments permettant d'établir le respect des obligations d'affichage et de publication auxquelles était soumise la délibération du conseil municipal du 27 juin 2007 instituant le droit de préemption dans les zones urbaines et les zones d'urbanisation future délimitées par le plan local d'urbanisme de la commune, faisant ainsi obstacle à ce qu'elle puisse être regardée comme ayant acquis un caractère définitif. Dès lors, il n'a pas commis d'erreur de droit en admettant la recevabilité des sociétés requérantes à invoquer par voie d'exception l'illégalité qui l'affecterait.

12. En troisième lieu, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. Il appartient au juge administratif d'écarter, le cas échéant de lui-même, un moyen tiré d'un vice de procédure qui, au regard de ce principe, ne lui paraît pas de nature à entacher d'illégalité la décision attaquée. Toutefois, d'une part, les obligations prévues à l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme ne relèvent pas de la procédure administrative préalable mais constituent des formalités nécessaires à l'entrée en vigueur des actes instituant le droit de préemption urbain. D'autre part, le juge des référés a relevé que la commune n'avait produit aucun élément permettant d'établir ni la régularité de la procédure à l'issue de laquelle a été adoptée la délibération du 27 juin 2007 instituant le droit de préemption ni le respect des formalités de publicité prévues à l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme. Dans ces conditions, il n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en regardant le moyen tiré de l'absence d'institution régulière du droit de préemption urbain préalablement à la décision de préemption en litige comme propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de cette décision.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Chennevières-sur-Marne n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et de la SARL Paris Pierre, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune de Chennevières-sur-Marne une somme de 750 euros à verser à chacune de ces sociétés au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Chennevières-sur-Marne est rejeté.

Article 2 : La commune de Chennevières-sur-Marne versera une somme de 750 euros tant à la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne qu'à la SARL Paris Pierre.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Chennevières-sur-Marne, à la SCI Paris Pierre Chennevières-sur-Marne et à la SARL Paris Pierre.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 407826
Date de la décision : 19/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2017, n° 407826
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Florence Marguerite
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407826.20170619
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