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10/05/2017 | FRANCE | N°396774

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 10 mai 2017, 396774


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et de nouveaux mémoires, enregistrés les 4 février, 4 mai, 24 juin, 20 juillet 2016, 21 septembre et 24 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le groupement foncier agricole (GFA) Boitelle Charlet demande au Conseil d'Etat :

1°) d'apprécier la légalité du décret du 29 mars 2004 autorisant pour une nouvelle période de cinq années la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Flandres-Artois à exercer le droit de préemption et à bénéficie

r de l'offre amiable avant adjudication volontaire et de déclarer que ce décret est...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et de nouveaux mémoires, enregistrés les 4 février, 4 mai, 24 juin, 20 juillet 2016, 21 septembre et 24 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le groupement foncier agricole (GFA) Boitelle Charlet demande au Conseil d'Etat :

1°) d'apprécier la légalité du décret du 29 mars 2004 autorisant pour une nouvelle période de cinq années la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Flandres-Artois à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire et de déclarer que ce décret est entaché d'illégalité ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat du GFA Boitelle Charlet et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. H...et de la SAFER Flandres Artois.

1.Considérant que, par un arrêt du 19 novembre 2014, la cour d'appel de Douai, saisie d'un litige opposant le groupement foncier agricole (GFA) Boitelle Charlet à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Flandres-Artois, a sursis à statuer jusqu'à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur la question préjudicielle de la validité du décret du 29 mars 2004 autorisant pour une nouvelle période de cinq années la SAFER à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire ;

2. Considérant qu'en vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n'appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu'elle est saisie d'une question préjudicielle en appréciation de validité d'un acte administratif, de trancher d'autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l'autorité judiciaire ; qu'il suit de là que, lorsque la juridiction de l'ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d'aucun autre, fût-il d'ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l'encontre de cet acte ; que ce n'est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l'ordre judiciaire n'a limité la portée de la question qu'elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu'il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l'instance judiciaire ;

3. Considérant qu'avant de surseoir à statuer, la cour d'appel de Douai a relevé dans les motifs de son arrêt que le grief invoqué par le GFA Boitelle Charlet, tiré de l'absence de motivation des avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture (CDOA) et de la chambre d'agriculture, apparaissait sérieux ; qu'en mentionnant ce moyen et lui seul, la cour a défini et limité l'étendue de la question qu'elle entendait soumettre à la juridiction administrative ; que, dès lors, il n'appartient pas à la juridiction administrative de connaître d'autres questions que celle, définie ci-dessus, qui lui a été renvoyée ; que par suite, le GFA Boitelle Charlet n'est pas recevable à soumettre à l'examen du juge administratif les moyens tirés de ce que le décret ne détermine pas les limites administratives des zones où sont situées les superficies des biens non bâtis dans lesquelles le droit de préemption peut s'exercer et est entaché d'erreur d'appréciation en ce qu'il fixe à 25 ares la superficie minimale pour l'exercice du droit de préemption ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 143-7 du code rural, dans sa version en vigueur à la date du décret dont la légalité est contestée : " Dans chaque département, lorsque la société d'aménagement foncier et d'établissement rural compétente a demandé l'attribution du droit de préemption, le préfet détermine, après avis motivés de la commission départementale d'orientation de l'agriculture et de la chambre d'agriculture, les zones où se justifie l'octroi d'un droit de préemption et la superficie minimale à laquelle il est susceptible de s'appliquer. / Dans les zones ainsi déterminées et sur demande de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural intéressée, un décret autorise l'exercice de ce droit et en fixe la durée " ; qu'aux termes de l'article R. 143-1 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le décret qui confère à une société d'aménagement foncier et d'établissement rural, pendant un temps limité, le droit de préemption prévu par l'article L. 143-1, est pris sur proposition du ministre de l'agriculture. Il fixe la date à partir de laquelle ce droit pourra être exercé et indique les périmètres déterminés par le préfet à l'intérieur desquels ce même droit peut être exercé. / Ce décret détermine en outre la ou les superficies minimum des biens non bâtis susceptibles d'être préemptés par la société d'aménagement foncier et d'établissement rural ainsi que les limites administratives englobant la ou les zones où sont situées ces superficies. / Le cas échéant, ce décret ou un décret pris dans les mêmes conditions précise, à l'intérieur de la zone ainsi déterminée, les zones ou les catégories de biens pour lesquelles les propriétaires désireux de vendre par adjudication volontaire sont tenus de satisfaire à l'obligation d'offre préalable à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural prévue à l'article L. 143-12. (...) " ;

5. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que l'avis émis le 25 août 2003 par la CDOA du Pas-de-Calais indique que les zones où se justifie le droit de préemption de la SAFER sont celles " dans lesquelles l'activité agricole doit être préservée " et que " le seuil minimum de 25 ares est adapté au marché des terres de ce département à l'exception des zones dans lesquelles le seuil est ramené à zéro pour assurer le maintien de l'agriculture et de l'environnement, éviter le mitage et la cabanisation " ; que contrairement à ce que soutient le GFA Boitelle Charlet, cet avis est suffisamment motivé ;

6. Considérant que l'avis favorable émis par la chambre d'agriculture du Pas-de-Calais le 30 juillet 2003 produit par le GFA Boitelle Charlet dans ses écritures est dépourvu de toute motivation, en méconnaissance des exigences posées par l'article L. 143-7 du code rural ; que la SAFER Flandres-Artois a produit une autre version du même avis, comportant une motivation analogue à celle de l'avis du 25 août 2003, de la CDOA ; qu'invité par une mesure d'instruction de la 5e chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat à communiquer le dossier préparatoire à l'édiction du décret litigieux, et notamment l'avis de la chambre d'agriculture figurant dans ce dossier, le ministre s'est abstenu de déférer à cette demande ; que, dans ces conditions, il ne peut être regardé comme établi que le décret ait été pris au vu d'un avis motivé de la chambre d'agriculture ;

7. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ;

8. Considérant qu'outre l'avis favorable de la chambre d'agriculture du Pas-de-Calais, le ministre de l'agriculture et le Premier ministre disposaient également, lors de l'élaboration du décret litigieux, de la délibération de la SAFER Flandres - Artois sollicitant le renouvellement, pour une nouvelle période de cinq ans, du droit de préemption dont elle bénéficiait, de l'avis favorable émis par la CDOA, qui était, ainsi qu'il a été dit au point 5, suffisamment motivé, ainsi que de la lettre de transmission du dossier en date du 27 février 2004 du préfet du Pas-de-Calais ; qu'il ressort des pièces du dossier que dans ce courrier, le préfet proposait de faire droit à la demande du conseil d'administration de la SAFER Flandres-Artois relative au renouvellement de son droit de préemption ; qu'il s'appuyait, pour justifier sa proposition, sur les considérations déjà exposées par la CDOA dans son avis et faisait en outre état, d'une part, de la pression foncière importante s'exerçant sur le marché en raison de la très forte densité de population et de l'extension des infrastructures et des projets des collectivités diverses, tant en périphérie urbaine que pour la réalisation des grands sites, et, d'autre part, du besoin du maintien de l'activité agricole par l'installation et l'agrandissement des exploitations, en conformité avec les orientations du schéma directeur départemental des structures agricoles ; qu'ainsi, au regard de la position convergente de la SAFER, de la CDOA et du préfet du Pas-de-Calais en ce qui concerne le renouvellement pour une nouvelle période de cinq ans du droit de préemption de la SAFER, le pouvoir réglementaire était suffisamment éclairé sur les suites à donner à la demande de la SAFER Flandres-Artois ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le défaut de motivation de l'avis également favorable émis par la chambre d'agriculture ait pu exercer une influence sur le contenu du décret signé par le Premier ministre ; qu'il n'a pas davantage privé les personnes concernées par le renouvellement du droit de préemption d'une garantie instituée en leur faveur ; que le moyen tiré du vice de procédure dont serait entaché le décret doit donc être écarté ;

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du GFA Boitelle Charlet la somme de 3 000 euros à verser à la SAFER Flandres-Artois, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la SAFER Flandres-Artois qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il est déclaré que l'exception d'illégalité du décret du 29 mars 2004 autorisant pour une nouvelle période de cinq années la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) Flandres-Artois à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire soulevée par le GFA Boitelle Charlet devant la cour d'appel de Douai n'est pas fondée.

Article 2 : Le GFA Boitelle Charlet versera à la SAFER Flandres-Artois une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par le GFA Boitelle Charlet sur le fondement de l'article 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au groupement foncier agricole Boitelle Charlet, à la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural Flandres-Artois et au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.

Copie sera adressée à MM B...L..., I...L..., N...I...O...L..., G...L..., M...C..., à Mmes A...D..., K...F..., à M et Mme J... E...et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 396774
Date de la décision : 10/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Appréciation de la légalité

Publications
Proposition de citation : CE, 10 mai. 2017, n° 396774
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Florian Roussel
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:396774.20170510
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