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31/03/2017 | FRANCE | N°399957

France | France, Conseil d'État, 1ère chambre, 31 mars 2017, 399957


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai 2016 et 3 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-345 du 23 mars 2016 relatif à la composition et au fonctionnement de la délégation unique du personnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
>- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la directive 2002/14/CE du Parlement européen et d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai 2016 et 3 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-345 du 23 mars 2016 relatif à la composition et au fonctionnement de la délégation unique du personnel ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article L. 2326-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, l'employeur peut, dans les entreprises de moins de trois cents salariés, mettre en place une délégation unique du personnel, en décidant que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L'article L. 2326-6 de ce code, dans sa rédaction issue de la même loi, prévoit que : " Les règles en matière de crédit d'heures de délégation pour chacune des institutions sont adaptées comme suit : / 1° Les membres titulaires de la délégation unique du personnel disposent du temps nécessaire à l'exercice des attributions dévolues aux délégués du personnel, au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce temps ne peut excéder, sauf circonstances exceptionnelles, un nombre d'heures fixé par décret en Conseil d'Etat en fonction des effectifs de l'entreprise ou de l'établissement et du nombre de représentants constituant la délégation unique. Ce temps peut être utilisé cumulativement dans la limite de douze mois. Cette règle ne peut conduire un membre à disposer, dans le mois, de plus d'une fois et demie le crédit d'heures de délégation dont il bénéficie. Les conditions d'utilisation des heures de délégation sont fixées par décret en Conseil d'Etat ; / 2° Les membres titulaires de la délégation unique du personnel peuvent, chaque mois, répartir entre eux et avec les membres suppléants le crédit d'heures de délégation dont ils disposent. Ils en informent l'employeur. Cette répartition ne peut conduire un membre de la délégation à disposer, dans le mois, de plus d'une fois et demie le crédit d'heures de délégation dont bénéficie un membre titulaire en application du 1° ; / 3° Un accord de branche ou d'entreprise peut comporter des dispositions plus favorables que celles mentionnées au présent article ".

2. L'article 1er du décret attaqué du 23 mars 2016, pris pour l'application de cet article L. 2326-6, crée au sein du code du travail un article R. 2326-3 aux termes duquel : " Lorsqu'il souhaite utiliser une ou plusieurs heures de délégation dont il dispose au titre du cumul prévu au 1° de l'article L. 2326-6 au-delà de son crédit d'heures mensuel, le représentant titulaire informe l'employeur au plus tard huit jours avant la date prévue pour leur utilisation. / Pour la répartition prévue au 2° de l'article L. 2326-6 d'une ou plusieurs heures de délégation, les membres de la délégation unique du personnel concernés informent l'employeur du nombre d'heures réparties au titre de chaque mois au plus tard huit jours avant la date prévue pour leur utilisation. L'information de l'employeur se fait par un document écrit précisant leur identité ainsi que le nombre d'heures mutualisées pour chacun d'eux ".

3. Eu égard aux moyens qu'elle invoque, l'Union syndicale Solidaires doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir au sein de l'article R. 2326-3 du code du travail des seules dispositions, divisibles, instituant un délai de prévenance de huit jours, vis-à-vis de l'employeur, pour les membres de la délégation unique du personnel qui souhaitent recourir aux mécanismes de cumul et de répartition des heures de délégation prévus, respectivement, aux 1° et 2° de l'article L. 2326-6 du code du travail.

4. En premier lieu, le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958, dispose que : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. S'il en résulte que c'est au législateur qu'il incombe de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule de 1946, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre, en particulier les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise et, à ce titre, le principe et l'encadrement du nombre des heures de délégation pour l'exercice d'un mandat de représentation du personnel, c'est au pouvoir réglementaire qu'il appartient de mettre en oeuvre ce principe fondamental, dans le respect des conditions et garanties fixées par le législateur, et, à ce titre, de préciser les modalités d'utilisation des heures de délégation.

5. Le législateur a institué, par la loi du 17 août 2015, la possibilité, d'une part, pour le membre titulaire d'une délégation unique du personnel, de cumuler sur une période n'excédant pas douze mois les heures de délégation qui lui sont accordées mensuellement au titre des attributions dévolues aux délégués du personnel, au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, sous réserve de ne pas disposer, dans le mois, de plus d'une fois et demie le crédit d'heures de délégation dont il bénéficie, et, d'autre part, pour les membres titulaires d'une telle délégation, à condition d'en informer l'employeur, de répartir chaque mois entre eux et avec leurs suppléants ces heures de délégation, sous réserve qu'aucun membre ne dispose, dans le mois, de plus d'une fois et demie le crédit d'heures de délégation dont bénéficie un membre titulaire. En prévoyant que le recours à cette possibilité devait être précédé, tant en ce qui concerne le cumul que la répartition des heures de délégation, d'une information préalable à l'employeur " au plus tard huit jours avant la date prévue pour leur utilisation ", le pouvoir réglementaire s'est borné à prévoir les modalités de mise en oeuvre des garanties instituées par la loi. Ce faisant, et alors même que le 2° de l'article L. 2326-6 du code du travail ne renvoie pas expressément au décret en Conseil d'Etat la détermination des conditions de l'utilisation mutualisée des heures de délégation, il n'est pas intervenu dans le domaine de la loi et n'a pas excédé sa compétence.

6. En deuxième lieu, en fixant à huit jours ce délai de prévenance, qui n'avait pas à être précédé d'une procédure de concertation et qu'il n'a institué que pour l'utilisation des heures de délégation selon les modalités dérogatoires, par voie de cumul ou de répartition, ouvertes par l'article L. 2326-6, qui peuvent conduire un membre titulaire ou suppléant de la délégation à disposer, dans le mois, d'un crédit d'heure de délégation atteignant jusqu'à une fois et demie celui dont bénéficie normalement un membre titulaire, il n'a, eu égard aux répercussions sur le bon fonctionnement de l'entreprise qu'est susceptible d'avoir l'utilisation des heures de délégation au-delà du crédit auquel l'employeur peut normalement s'attendre, ni porté aux droits des membres de la délégation unique du personnel une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, ni méconnu les objectifs de la loi qu'il avait pour mission d'appliquer, ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.

7. En troisième lieu, l'article 7 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne prescrit aux Etats membres de veiller " à ce que les représentants des travailleurs jouissent, dans l'exercice de leurs fonctions, d'une protection et de garanties suffisantes leur permettant de réaliser d'une façon adéquate les tâches qui leur ont été confiées ". Il résulte de ce qui précède que le délai d'information de l'employeur instauré par le décret attaqué n'est pas de nature à priver de sa portée la possibilité, instituée par la loi pour les membres d'une délégation unique du personnel, de cumuler au cours d'une année et de répartir entre eux les heures de délégation qui leur sont attribuées individuellement au titre de leurs fonctions, qui constitue une garantie supplémentaire pour leur permettre d'assurer de façon adéquate l'exercice de leur mandat. Le moyen tiré de ce que le délai de prévenance instauré par le décret attaqué serait contraire aux objectifs définis à l'article 7 de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 doit, par suite, être écarté.

8. En dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

9. Parmi les représentants du personnel ne faisant pas partie d'une délégation unique du personnel, seuls les représentants du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail disposent de la possibilité de répartir entre eux les heures de délégation dont ils disposent, en vertu de l'article L. 4614-5 du code du travail, et aucune disposition ne prévoit la possibilité d'un cumul de ces heures au cours de l'année. Eu égard à l'étendue des possibilités ouvertes aux membres d'une délégation unique du personnel, quant au cumul des heures au cours d'une année et à la répartition entre eux des heures de délégation dont ils bénéficient au titre de leurs attributions, le pouvoir réglementaire, en soumettant l'usage de cette faculté à un délai de prévenance de huit jours, a instauré une différence de traitement qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'équilibre à instaurer entre la facilité d'usage de cette possibilité et le bon fonctionnement de l'entreprise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité entre les représentants du personnel membres d'une délégation unique du personnel et ceux des entreprises ne disposant pas d'une délégation unique du personnel doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union syndicale Solidaires n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions de l'article R. 2326-3 du code du travail instituant un délai de prévenance de huit jours pour le recours, par un membre de la délégation unique du personnel, aux mécanismes de cumul et de répartition des heures de délégation prévus aux 1° et 2° de l'article L. 2326-6 du code du travail.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'Union syndicale Solidaires est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale Solidaires, au Premier ministre et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 399957
Date de la décision : 31/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 31 mar. 2017, n° 399957
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Frédéric Puigserver
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:399957.20170331
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