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29/03/2017 | FRANCE | N°389105

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 29 mars 2017, 389105


Vu la procédure suivante :

La société Morgan Stanley et Co International PLC a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des périodes du 1er décembre 2002 au 30 avril 2005 et du 1er décembre 2005 au 30 avril 2009 ainsi que des pénalités correspondantes. Par les jugements n° 0813024 du 11 février 2010 et n° 1010984 du 20 octobre 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 10VE01053, 11VE03805 du 27 janvier 2015, la cour administr

ative d'appel de Versailles a rejeté les appels formés par la société Morgan Sta...

Vu la procédure suivante :

La société Morgan Stanley et Co International PLC a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des périodes du 1er décembre 2002 au 30 avril 2005 et du 1er décembre 2005 au 30 avril 2009 ainsi que des pénalités correspondantes. Par les jugements n° 0813024 du 11 février 2010 et n° 1010984 du 20 octobre 2011, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n° 10VE01053, 11VE03805 du 27 janvier 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les appels formés par la société Morgan Stanley et Co International PLC contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 30 mars et 30 juin 2015, 19 avril et 23 novembre 2016 et 9 février et 14 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Morgan Stanley et Co International PLC, aux droits de laquelle vient la société Morgan Stanley France, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses appels ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 juillet 2000 (aff. C-136/99) Ministre du budget c/ Société Monte Dei Paschi Di Siena ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 12 septembre 2013 (aff. C-388/11) Le Crédit Lyonnais ;

- l'ordonnance de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 juin 2016 (aff. C-393/15) Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie c/ ESET ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Morgan Stanley et Co International PLC ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la succursale parisienne de la société Morgan Stanley et Co International PLC, entreprise d'investissement de droit anglais, a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité portant, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, sur les périodes du 1er décembre 2002 au 30 avril 2005 et du 1er décembre 2005 au 30 avril 2009.

2. A l'occasion de ces contrôles, il a été constaté que la succursale, établissement stable au regard des règles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée, réalisait, d'une part, des opérations bancaires et financières pour ses clients locaux pour lesquelles elle avait opté pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée et, d'autre part, des services au bénéfice du siège britannique en contrepartie desquels elle recevait des virements. La succursale a déduit l'intégralité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant frappé les dépenses afférentes à ces deux catégories de prestations.

3. L'administration fiscale a estimé que la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé l'acquisition des biens et services utilisés exclusivement pour les opérations internes réalisées avec le siège ne pouvait ouvrir droit à déduction au motif que ces opérations étaient situées hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, mais a toutefois admis, par mesure de tempérament, la déduction d'une fraction de la taxe en cause par application du prorata de déduction du siège britannique, sous réserve des exclusions au droit à déduction en vigueur en France. S'agissant des dépenses mixtes, afférentes aux opérations réalisées à la fois avec le siège et avec les clients de la succursale, l'administration a considéré qu'elles n'étaient que partiellement déductibles et a appliqué le prorata de déduction du siège, corrigé du chiffre d'affaires de la succursale ouvrant droit à déduction, sous réserve des exclusions au droit à déduction en vigueur en France.

4. La société Morgan Stanley et Co International PLC, aux droits de laquelle est venue la société Morgan Stanley France, demande l'annulation de l'arrêt du 27 janvier 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les appels qu'elle a formés contre les jugements du tribunal administratif de Montreuil des 11 février 2010 et 20 octobre 2011 rejetant ses demandes tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés par voie de conséquence des rectifications ci-dessus mentionnées.

5. Aux termes de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 : " 2. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable : / a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti ; / (...) 3. Les Etats membres accordent également à tout assujetti la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée visée au paragraphe 2 dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins : / a) de ses opérations relevant des activités économiques visées à l'article 4, paragraphe 2, effectuées à l'étranger, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées à l'intérieur du pays ; / (...) 5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux paragraphes 2 et 3 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations. / Ce prorata est déterminé pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti conformément à l'article 19. / Toutefois, les Etats membres peuvent : / a) autoriser l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité, si des comptabilités distinctes sont tenues pour chacun de ces secteurs ; / b) obliger l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité et à tenir des comptabilités distinctes pour chacun de ces secteurs ; / c) autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction suivant l'affectation de tout ou partie des biens et services ; / d) autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction, conformément à la règle prévue au premier alinéa, pour tous les biens et services utilisés pour toutes les opérations y visées ; / e) prévoir, lorsque la taxe sur la valeur ajoutée qui ne peut être déduite par l'assujetti est insignifiante, qu'il n'en sera pas tenu compte ". Aux termes de l'article 19 de cette même directive : " 1. Le prorata de déduction, prévu par l'article 17, paragraphe 5, premier alinéa, résulte d'une fraction comportant : / - au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément à l'article 17, paragraphes 2 et 3, / - au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction. Les Etats membres ont la faculté d'inclure également dans le dénominateur le montant des subventions autres que celles visées à l'article 11 sous A, paragraphe 1 sous a). / Le prorata est déterminé sur une base annuelle, fixé en pourcentage et arrondi à un chiffre qui ne dépassé pas l'unité supérieure ".

6. Aux termes l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 : " Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti a le droit, dans l'Etat membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants : / a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée dans cet Etat membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti (...) ". Aux termes de l'article 169 de la même directive : " Outre la déduction visée à l'article 168, l'assujetti a le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée y visée dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes : / a) ses opérations relevant des activités visées à l'article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, effectuées en dehors de l'Etat membre dans lequel cette taxe est due ou acquittée, qui ouvriraient droit à déduction si ces opérations étaient effectuées dans cet Etat membre (...) ". Aux termes de l'article 173 de cette même directive : " 1. En ce qui concerne les biens et les services utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux articles 168, 169 et 170 et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations. / Le prorata de déduction est déterminé, conformément aux articles 174 et 175, pour l'ensemble des opérations effectuées par l'assujetti. / 2. Les Etats membres peuvent prendre les mesures suivantes : / a) autoriser l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité, si des comptabilités distinctes sont tenues pour chacun de ces secteurs ; / b) obliger l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité et à tenir des comptabilités distinctes pour chacun de ces secteurs ; / c) autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction suivant l'affectation de tout ou partie des biens et services ; / d) autoriser ou obliger l'assujetti à opérer la déduction, conformément à la règle prévue au paragraphe 1, premier alinéa, pour tous les biens et services utilisés pour toutes les opérations y visées ; / e) prévoir, lorsque la taxe sur la valeur ajoutée qui ne peut être déduite par l'assujetti est insignifiante, qu'il n'en sera pas tenu compte ". Aux termes de l'article 174 de la même directive : " 1. Le prorata de déduction résulte d'une fraction comportant les montants suivants : / a) au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, hors taxe sur la valeur ajoutée, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction conformément aux articles 168 et 169 ; / b) au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, hors taxe sur la valeur ajoutée, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction (...) ". Aux termes de l'article 175 de la directive : " 1. Le prorata de déduction est déterminé sur une base annuelle, fixé en pourcentage et arrondi à un chiffre qui ne dépasse pas l'unité supérieure (...) ".

7. Il résulte de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des dispositions citées aux points 5 et 6, notamment dans l'ordonnance du 21 juin 2016, Dyrektor Izby Skarbowej w Krakowie c/ ESET (aff. C-393/15) qu'une succursale, immatriculée dans un Etat membre pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une société dont le siège est établi dans un autre Etat membre et qui effectue à la fois des opérations taxées dans son Etat d'immatriculation et des opérations internes au profit du siège non soumises à cette taxe a le droit de déduire, non seulement la taxe grevant les biens et services utilisés pour le besoin des opérations taxées qu'elle réalise dans son Etat d'immatriculation, mais aussi la taxe grevant les biens et les services utilisés pour les besoins des opérations taxées que le siège réalise dans l'autre Etat membre.

8. Les règles de détermination du prorata de déduction de la succursale placée dans cette situation doivent cependant être précisées, en tenant compte de ce que, dans une hypothèse il est vrai différente, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par un arrêt du 12 septembre 2013, Le Crédit Lyonnais (aff. C-388/11), que les dispositions citées aux points 5 et 6 doivent être interprétées en ce sens que, pour la détermination du prorata de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée qui lui est applicable, une société dont le siège est situé dans un Etat membre ne peut pas prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par ses succursales établies dans d'autres Etats membres.

9. Il s'agit, en premier lieu, de savoir, lorsque des dépenses supportées par une succursale établie dans un premier Etat membre sont exclusivement affectées à la réalisation d'opérations de son siège établi dans un autre Etat membre, si les dispositions citées aux points 5 et 6 impliquent que l'Etat membre de la succursale applique à ces dépenses le prorata de déduction de la succursale, déterminé en fonction des opérations qu'elle réalise dans son Etat d'immatriculation et des règles applicables dans cet Etat, ou le prorata de déduction du siège, ou encore un prorata de déduction spécifique, en s'inspirant de la solution retenue, en matière de droit à remboursement, par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt du 13 juillet 2000, Ministre du budget c/ Société Monte Dei Paschi Di Siena (aff. C-136/99), combinant les règles applicables dans les Etats membres d'immatriculation de la succursale et du siège, en particulier au regard de l'existence éventuelle d'un régime d'option pour l'imposition des opérations à la taxe sur la valeur ajoutée.

10. Il s'agit, en second lieu, de déterminer les règles applicables dans l'hypothèse particulière où les dépenses supportées par la succursale concourent à la réalisation de ses opérations dans son Etat d'immatriculation et à celle des opérations du siège, notamment au regard de la notion de frais généraux et du prorata de déduction.

11. Ces questions soulèvent des difficultés sérieuses d'interprétation qu'il y a lieu de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne avant de statuer sur le pourvoi présenté par la société Morgan Stanley et Co International PLC.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est sursis à statuer sur le pourvoi présenté par la société Morgan Stanley et Co International PLC jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne ait répondu aux questions suivantes :

1° Dans l'hypothèse où les dépenses supportées par une succursale établie dans un premier Etat membre sont exclusivement affectées à la réalisation des opérations de son siège établi dans un autre Etat membre, les dispositions des articles 17, paragraphes 2, 3 et 5, et 19, paragraphe 1, de la sixième directive 77/388/CEE, reprises aux articles 168, 169 et 173 à 175 de la directive 2006/112/CE, doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles impliquent que l'Etat membre de la succursale applique à ces dépenses le prorata de déduction de la succursale, déterminé en fonction des opérations qu'elle réalise dans son Etat d'immatriculation et des règles applicables dans cet Etat, ou le prorata de déduction du siège, ou encore un prorata de déduction spécifique combinant les règles applicables dans les Etats membres d'immatriculation de la succursale et du siège, en particulier au regard de l'existence éventuelle d'un régime d'option pour l'imposition des opérations à la taxe sur la valeur ajoutée '

2° Quelles règles convient-il d'appliquer dans l'hypothèse particulière où les dépenses supportées par la succursale concourent à la réalisation de ses opérations dans son Etat d'immatriculation et à celle des opérations du siège, notamment au regard de la notion de frais généraux et du prorata de déduction '

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Morgan Stanley France et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 389105
Date de la décision : 29/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 mar. 2017, n° 389105
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christophe Pourreau
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:389105.20170329
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