Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 24 août et le 24 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat français de l'industrie cimentière demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 juin 2015 du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, du ministre de l'intérieur et du ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité modifiant l'arrêté du 31 janvier 1986 modifié relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le décret n° 2015-328 du 23 mars 2015 ;
- l'arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Philippe Mochon, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat du syndicat français de l'industrie cimentière et autre.
1. Considérant que le syndicat français de l'industrie cimentière demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 19 juin 2015 des ministres de l'écologie du développement durable et de l'énergie, de l'intérieur et du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité modifiant l'arrêté du 31 janvier 1986 modifié relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation ;
Sur l'intervention de la fédération de l'industrie du béton :
2. Considérant que la fédération de l'industrie du béton justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'ainsi, son intervention au soutien de la requête présentée par le syndicat français de l'industrie cimentière est recevable ;
Sur la légalité externe :
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 143-1 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué : " Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique est placé auprès du ministre chargé de la construction. Il a pour mission de conseiller les pouvoirs publics dans la définition, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques relatives à la construction et sur l'adaptation des règles de construction aux objectifs de développement durable " ; qu'aux termes de l'article R. 143-2 du même code : " Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique formule un avis consultatif sur les projets de lois et sur les projets d'actes réglementaires qui modifient les règles applicables aux constructions. Cet avis est rendu public. / Les travaux et avis du conseil portent notamment sur (...) 4. Les produits et matériaux de construction " ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 23 mars 2015 portant création du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique : " La consultation prévue à l'article R. 143-2 du code de la construction et de l'habitation est obligatoire pour les projets de loi déposés à compter du 1er juillet 2015 et pour les projets d'actes réglementaires adoptés à compter de la même date " ;
4. Considérant qu'il résulte des termes du décret du 23 mars 2015 que l'arrêté attaqué, en date du 19 juin 2015, n'était pas soumis à l'obligation de consultation du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique, applicable aux projets d'actes réglementaires adoptés à compter du 1er juillet 2015 ; que la circonstance que les dispositions contestées du décret attaqué aient été transmises aux membres de ce conseil préalablement à la réunion de celui-ci, qui s'est tenue le 24 juin 2015, est sans influence sur la légalité de l'arrêté, dès lors que les ministres pouvaient sans attendre l'avis de cette instance renoncer à sa consultation, qui n'était pas obligatoire ; que, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, les auteurs de l'arrêté n'ont méconnu aucune obligation de concertation ni d'étude préalables ; qu'ils ne peuvent, en particulier, utilement invoquer à cet égard la méconnaissance de la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 " relative à la mise en oeuvre du gel de la réglementation ", qui se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental ; que le syndicat requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué aurait été adopté au terme d'une procédure irrégulière ;
Sur la légalité interne :
5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 111-13 du code de la construction et de l'habitation : " La disposition des locaux, les structures, les matériaux et l'équipement des bâtiments d'habitation doivent permettre la protection des habitants contre l'incendie. (...). Un arrêté conjoint du ministre chargé de la construction et de l'habitation et du ministre de l'intérieur fixe les modalités d'application du présent article " ;
6. Considérant que l'arrêté attaqué, pris sur le fondement de ces dispositions, modifie l'article 13 de l'arrêté du 31 janvier 1986 relatif à la protection contre l'incendie des bâtiments d'habitation en supprimant l'interdiction d'utiliser des matériaux en bois pour réaliser les parements extérieurs des façades des étages des bâtiments dits de troisième famille A...et de quatrième famille ; que le champ d'application de l'interdiction ainsi abrogée comprend les habitations collectives dépassant huit niveaux ou, sous certaines autres conditions, dépassant quatre niveaux (habitations dites de la troisième familleA...) et celles dont le plancher bas du logement le plus haut est situé entre 28 mètres et cinquante mètres (habitations dites de la quatrième famille) ;
7. Considérant que le syndicat requérant soutient que la faculté ainsi étendue de recourir au bois dans le parement des façades des habitations présente un risque pour la sécurité des habitants en raison de la combustibilité de ce matériau, dont les caractéristiques ne sont pas correctement prises en compte par les normes appliquées ;
8. Considérant que, cependant, il ressort des pièces du dossier que la mesure contestée, qui a pour seul objet de supprimer une interdiction d'utiliser le bois dans les parements extérieurs des façades de certaines familles d'habitations, soumet les éléments de parement en bois aux mêmes exigences de sécurité que celles qui sont applicables aux éléments réalisés dans d'autres matériaux, en leur imposant en particulier le respect des normes de réaction au feu appréciée selon une classification uniforme ; que, si le syndicat requérant soutient, en ce qui concerne la résistance au feu, que les essais normalisés réalisés selon la norme ISO 834, par application d'une courbe de température prédéfinie, surestimeraient la performance des éléments en bois, il ressort, en tout état de cause, des pièces du dossier, en particulier des éléments produits à la suite de la mesure d'instruction ordonnée par la 6ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'Etat, que l'appréciation des risques sur laquelle repose la mesure contestée s'est fondée, non seulement sur ces essais normalisés mais également sur des tests de propagation du feu en condition réelle, dits tests LEPIR, qui ont fait l'objet d'une campagne de mesures depuis 2012 ; que, par suite, les ministres auteurs de l'arrêté attaqué, en abrogeant l'interdiction de recourir au bois comme matériau de parement de façade des bâtiments concernés par la mesure contestée, n'ont pas fait une appréciation manifestement erronée des exigences de la protection des habitations contre l'incendie résultant des dispositions précitées du code de la construction et de l'habitation ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le syndicat français de l'industrie cimentière n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté attaqué ; que, par suite, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la fédération de l'industrie du béton est admise
Article 2 : La requête du syndicat français de l'industrie cimentière est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat français de l'industrie cimentière, à la fédération de l'industrie du béton et à la ministre du logement et de l'habitat durable. Copies en seront adressées à l'union des industries du bois, à la fédération de l'industrie bois construction et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer chargée des relations internationales sur le climat et au ministre de l'intérieur.