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15/03/2017 | FRANCE | N°393894

France | France, Conseil d'État, 5ème - 4ème chambres réunies, 15 mars 2017, 393894


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 octobre 2015, 4 janvier 2016 et 17 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-954 du 31 juillet 2015 relatif aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du co

de de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitutio...

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 octobre 2015, 4 janvier 2016 et 17 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-954 du 31 juillet 2015 relatif aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment ses articles 34 et 37 ;

- la convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment son article 8 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 ;

- le décret n° 2015-954 du 31 juillet 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR) et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural.

Sur l'intervention de la Fédération nationale des SAFER :

1. Considérant que la Fédération nationale des SAFER (sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural) a intérêt au maintien du décret attaqué ; que son intervention est donc recevable ;

Sur la légalité du décret attaqué :

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution :

2. Considérant que l'article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime institue au profit des SAFER un droit de préemption en cas d'aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ; que, pour l'application de cet article, l'article R. 143-2 du même code, tel qu'il résulte de l'article 4 du décret attaqué, définit les biens mobiliers comme " les cheptels mort ou vif, les stocks nécessaires à l'exploitation ou tout autre élément ou investissement réalisé en vue d'améliorer le fonds ou de diversifier et de commercialiser la production, attachés aux biens immobiliers définis au même article " ; que, contrairement à ce qui est soutenu, cette définition, qui reprend celle qui figurait à l'article R. 143-2 dans sa version antérieure au décret attaqué et procède d'une exacte interprétation de la notion de biens mobiliers ruraux au sens de la loi, n'a ni pour objet ni pour effet d'étendre le champ du droit de préemption défini par le législateur ; que le moyen tiré de ce que le pouvoir réglementaire aurait méconnu sa compétence doit dès lors être écarté ;

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de saisine préalable de la CNIL :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 : " Constitue un traitement de données à caractère personnel toute opération ou tout ensemble d'opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction " ;

4. Considérant que l'article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime institue à la charge du notaire ou du cédant une obligation d'informer la SAFER de toute cession entre vifs conclue à titre onéreux ou gratuit portant sur des biens ou droits mobiliers ou immobiliers mentionnés au II de l'article L. 141-1 de ce code situés dans son ressort, ainsi que des cessions d'usufruit ou de nue-propriété ; que l'article R. 141-2-1 du même code, tel qu'il résulte de l'article 1er du décret attaqué, a pour seul objet de préciser les conditions du respect de cette obligation, eu égard aux modifications que le législateur lui a apportées, et la nature des informations concernées ; qu'est dès lors inopérant le moyen tiré ce que le décret attaqué serait illégal faute de saisine préalable de la CNIL ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que l'ingérence dans l'exercice du droit de toute personne au respect de sa vie privée que constituent la collecte, la conservation et le traitement, par une autorité publique, d'informations personnelles nominatives ne peut être légalement autorisée que si elle répond à des finalités légitimes et si le choix, la collecte et le traitement des données sont effectués de manière adéquate et proportionnée au regard de ces finalités ;

6. Considérant que l'obligation d'information des SAFER instituée par l'article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime implique notamment que ces sociétés, qui sont des personnes privées chargées d'une mission de service public, collectent certaines informations personnelles et nominatives relatives aux parties à une opération de cession ; qu'elle constitue, dans cette mesure, une ingérence dans le droit garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

7. Considérant que cette obligation a pour objet de permettre l'accomplissement par les SAFER de leurs missions de service public définies à l'article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime, qui sont notamment de " favoriser l'installation, le maintien et la consolidation d'exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable " et d'assurer " la transparence du marché foncier rural " ; qu'elle a également pour objet de garantir l'exercice effectif par les SAFER du droit de préemption qu'elles tiennent de l'article L. 143-1 du même code et de lutter contre la fraude à ce droit ; que ces objectifs constituent des finalités légitimes au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime mentionné ci-dessus énumère limitativement les opérations soumises à l'obligation d'information ; qu'ainsi le moyen tiré de ce qu'il ne circonscrirait pas le champ de cette obligation et serait pour ce motif contraire aux stipulations précitées ne peut qu'être écarté ; que, en deuxième lieu, l'article R. 141-2-1 du même code précise notamment la nature des informations qui doivent faire l'objet d'une transmission aux SAFER et l'article R. 142-1, tel qu'il résulte de l'article 3 du décret attaqué, permet aux SAFER d'exiger du candidat à la rétrocession d'un bien la production de tout document de nature à établir sa situation financière, afin de permettre notamment aux SAFER de s'assurer de la capacité du candidat à mettre en valeur le bien cédé dans des conditions économiques viables, conformément aux missions de service public rappelées au point 7 ; que si la fédération requérante soutient que les informations qui doivent leur être transmises permettront aux SAFER de créer des bases de données importantes relatives au patrimoine foncier des individus, que les données ne sont pas anonymisées et que le champ de l'obligation d'information inclut les biens mobiliers ruraux, il ne ressort pas des pièces du dossier que les informations demandées revêtiraient un caractère disproportionné au regard de la nature des missions confiées aux SAFER ; qu'enfin, l'article R. 141-2-2 de ce code, tel qu'il résulte de l'article 1er du décret attaqué, peut légalement prévoir la communication aux SAFER des éléments nécessaires à l'identification des droits à paiement cédés, lesquels constituent des biens mobiliers soumis au droit de préemption en application de l'article L. 143-1 ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ingérence dans le droit des parties à une opération de cession au respect de leur vie privée et familiale qui résulte des dispositions rappelées ci-dessus est proportionnée aux finalités d'intérêt général poursuivies par le législateur et le pouvoir réglementaire ; qu'ainsi, le moyen tiré ce que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 143-1-1 du code rural et de la pêche maritime

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 143-1-1 du code rural et de la pêche maritime : " La société d'aménagement foncier et d'établissement rural est autorisée à n'exercer son droit de préemption que sur une partie des biens aliénés lorsque l'aliénation porte simultanément sur des terrains à usage agricole ou à vocation agricole et sur une ou plusieurs des catégories de biens suivantes : / 1° Des bâtiments à usage agricole et les biens mobiliers qui leur sont attachés ; / 2° Des bâtiments mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 143-1 ; / 3° Des biens pour lesquels elle ne bénéficie pas d'un droit de préemption. / Ce droit de préemption peut ne s'exercer que sur les terrains à usage ou à vocation agricole et les biens mobiliers qui leur sont attachés, ou sur ces terrains et l'une des catégories de biens mentionnées aux 1° et 2° ou sur ces deux catégories. / Lorsque la société d'aménagement foncier et d'établissement rural fait part au vendeur de son intention de ne préempter qu'une partie des biens mis en vente, le propriétaire peut exiger qu'elle se porte acquéreur de l'ensemble des biens aliénés. S'il accepte la préemption partielle, il peut exiger que la société d'aménagement foncier et d'établissement rural l'indemnise de la perte de valeur des biens non acquis. A défaut d'accord amiable sur le montant de l'indemnisation, celui-ci est fixé par le tribunal de grande instance " ;

11. Considérant que, pour l'application de ces dispositions, l'article R. 143-4 du même code, tel qu'il résulte de l'article 4 du décret attaqué, prévoit que : " Si le vendeur accepte l'offre d'achat sous réserve d'être indemnisé de la perte de valeur des biens non compris dans cette offre, la société dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître au notaire sa décision d'acceptation, de refus ou de renonciation à l'achat, en indiquant l'avis des commissaires du Gouvernement. (...) Si le vendeur n'accepte pas une préemption partielle et exige que la société d'aménagement foncier et d'établissement rural se porte acquéreur de l'ensemble des biens aliénés, cette société peut soit accepter cette acquisition aux prix et conditions d'aliénation, soit renoncer à préempter (...) " ;

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 143-1-1 n'ont ni pour objet ni pour effet de priver la SAFER de la possibilité de renoncer à exercer son droit de préemption lorsque le propriétaire exige d'elle qu'elle se porte acquéreur de l'ensemble des biens aliénés ou qu'elle l'indemnise de la perte de valeur des biens non acquis ; qu'il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, l'article R. 143-4 ne méconnaît pas les dispositions de cet article en définissant les conditions et modalités de cette renonciation ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme et du principe de sécurité juridique :

13. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime : " II. - Pour la réalisation des missions définies au I, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural peuvent :/ 1° Acquérir, dans le but de les rétrocéder, des biens ruraux, des terres, des exploitations agricoles ou forestières ; (...) " ; que la seule circonstance que l'article R. 141-2-1 du même code ne définisse pas la notion de biens ruraux, à laquelle se réfèrent plusieurs dispositions du code rural, ne saurait en tout état de cause conduire à le regarder comme méconnaissant l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme et le principe de sécurité juridique ;

14. Considérant qu'aux termes de l'article R. 141-2-1 du code rural et de la pêche maritime, tel qu'il résulte de l'article 1er du décret attaqué : " La société d'aménagement foncier et d'établissement rural peut, en outre, demander au notaire ou au cédant, dans le délai prévu au premier alinéa, des éléments d'information complémentaire nécessaires à l'appréciation des conditions de transmission des parts ou actions. Le délai de deux mois prévu pour l'exercice du droit de préemption est suspendu à compter de la réception de cette demande par le notaire ou le cédant. Il reprend à compter de la réception par la société des documents ou de l'indication par le notaire ou le cédant des raisons pour lesquelles il est dans l'impossibilité de les communiquer " ; qu'en faisant dépendre la durée de la suspension du délai de préemption de la réponse du vendeur et en prévoyant que ce dernier peut se déclarer dans l'impossibilité de communiquer les informations demandées, le pouvoir réglementaire n'a pas, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, ouvert à la SAFER la faculté de suspendre ce délai unilatéralement et sans terme défini ; que le moyen tiré de ce qu'elle aurait, ce faisant, méconnu le principe de sécurité juridique doit par suite être écarté ;

15. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, dans le cas d'une préemption partielle, l'article L. 143-1-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que le propriétaire peut exiger de la SAFER qu'elle se porte acquéreur de l'ensemble des biens aliénés ou, s'il accepte la préemption partielle, qu'elle l'indemnise de la perte de valeur des biens non acquis ; qu'aux termes de l'article R. 143-4 de ce code, tel qu'il résulte de l'article 4 du décret attaqué : " Si le vendeur n'accepte pas l'offre d'achat, ou si la société n'accepte pas l'indemnisation demandée, cette décision de refus manifeste le désaccord des parties sur le montant de l'indemnisation et ouvre à la partie la plus diligente un délai de quinze jours pour saisir le tribunal de grande instance compétent afin qu'il en fixe le montant " ; qu'il résulte nécessairement de ces dispositions que l'abstention tant du vendeur que de la SAFER de saisir le tribunal dans le délai imparti emporte renonciation des deux parties à la préemption ; que, dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, le moyen tiré de ce que ces dispositions créeraient une insécurité juridique ne peut qu'être écarté ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation du décret attaqué ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des SAFER est admise.

Article 2 : La requête de la Fédération nationale de la propriété privée rurale est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération nationale de la propriété privée rurale, au Premier ministre, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et à la Fédération nationale des SAFER.


Synthèse
Formation : 5ème - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 393894
Date de la décision : 15/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mar. 2017, n° 393894
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Leforestier
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion
Avocat(s) : SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:393894.20170315
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