Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 juin 2015 et 7 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association des comédiens et intervenants audiovisuels (ACIA) et M. A...B...demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 31 mars 2015 portant extension de la convention collective nationale de la production cinématographique du 19 janvier 2012 et d'avenants à ladite convention collective nationale (n° 3097), en tant qu'il porte extension du sous-titre II du titre III de cette convention ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat du syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et du syndicat français des artistes interprètes ;
1. Considérant que, par deux décisions n° 370629 du 24 février 2015 et n° 375882 du 7 mai 2015, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé, respectivement, l'arrêté du 1er juillet 2013 portant extension de la convention collective nationale de la production cinématographique et l'arrêté du 24 décembre 2013 portant extension de l'avenant du 1er juillet 2013 qui ajoutait un titre III à cette convention, en tant qu'il étendait les stipulations du sous-titre II de ce titre III ; que, par un arrêté du 31 mars 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a étendu à nouveau les titres I, II et III de cette convention qui avait, entre temps, été modifiée en ses deux premiers titres par un avenant du 8 octobre 2013 et signée par de nouvelles organisations professionnelles d'employeurs ; que l'association des comédiens intervenants audiovisuels (ACIA) et M. B...demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il étend le sous-titre II du titre III de la convention ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail : " La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles " ;
3. Considérant que l'article 4.1.2 du sous-titre II du titre III de la convention collective nationale de la production cinématographique prévoit que, pour les tournages en décors naturels nécessitant cinquante acteurs de complément ou plus, un temps d'émargement pouvant aller jusqu'à trente minutes à partir de l'heure de la convocation ne sera pas décompté comme temps de travail effectif ; qu'il ressort des stipulations de la convention que, pendant le temps d'émargement, qui est la conséquence de l'organisation imposée par l'employeur, les acteurs de complément sont à la disposition de celui-ci et se conforment à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation que, dans une telle hypothèse, la période en cause fait partie de la durée du travail effectif ; que, dès lors, ainsi que le Conseil d'Etat l'a d'ailleurs jugé dans sa décision du 7 mai 2015 citée ci-dessus, il apparaît manifestement que le temps d'émargement prévu par la convention doit être inclus dans la durée du travail effectif ; que, par suite, la contestation relative à la validité de la convention sur ce point peut être accueillie par le Conseil d'Etat, saisi de la légalité de l'arrêté prononçant l'extension de ces stipulations ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation qu'une convention collective ne peut prévoir de différences de traitement entre salariés relevant de la même catégorie professionnelle et placés dans la même situation que si ces différences reposent sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence ; que l'annexe III.2 du sous-titre II du titre III de la convention collective litigieuse prévoit un barème de salaires minimaux garantis aux acteurs de complément et un barème d'indemnités applicable aux seuls " films se tournant à Paris et sa banlieue contenue dans un rayon inférieur ou égal à 40 km autour de la ville ainsi qu'à Marseille, Lyon, Bordeaux Nice, Lille, Nantes et leurs banlieues respectives contenues dans un rayon inférieur ou égal à 25 kilomètres autour de ces villes " ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les acteurs de complément seraient placés dans une situation différente, au regard de la rémunération, selon le lieu du tournage tel qu'il est défini par la convention collective ni que la différence de traitement prévue reposerait sur des raisons objectives pertinentes ; que, par suite, ainsi que le Conseil d'Etat l'a d'ailleurs jugé dans sa décision du 7 mai 2015, il apparaît manifestement que la contestation relative à la validité de la convention sur ce point peut également être accueillie par le Conseil d'Etat, saisi de la légalité de l'arrêté prononçant l'extension du sous-titre II du titre III ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2261-22 du code du travail : " I. - Pour pouvoir être étendue, la convention de branche conclue au niveau national contient des clauses portant sur (...) : (...) / II. - (...) / 4° Le salaire minimum national professionnel des salariés sans qualification et l'ensemble des éléments affectant le calcul du salaire applicable par catégories professionnelles, ainsi que les procédures et la périodicité prévues pour sa révision " ; qu'aux termes de l'article L. 2261-27 du même code : " Quand l'avis motivé favorable de la Commission nationale de la négociation collective a été émis sans opposition écrite et motivée soit de deux organisations d'employeurs, soit de deux organisations de salariés représentées à cette commission, le ministre chargé du travail peut étendre par arrêté une convention ou un accord ou leurs avenants ou annexes : (...) / 2° Lorsque la convention ne comporte pas toutes les clauses obligatoires énumérées à l'article L. 2261-22. (...) / En cas d'opposition dans les conditions prévues au premier alinéa, le ministre chargé du travail peut consulter à nouveau la commission sur la base d'un rapport précisant la portée des dispositions en cause ainsi que les conséquences d'une éventuelle extension. / Le ministre chargé du travail peut décider l'extension, au vu du nouvel avis émis par la commission. Cette décision est motivée " ; qu'il résulte de ces dispositions que le ministre chargé du travail peut légalement procéder à l'extension d'une convention collective ne comportant pas toutes les clauses obligatoires énumérées à l'article L. 2261-22 du code du travail, sous réserve du respect de la procédure prévue à l'article L. 2261-27 du même code ;
6. Considérant, en l'espèce, que le sous-titre II du titre III de la convention collective nationale de la production cinématographique ne comporte pas, pour l'ensemble de son champ d'application géographique, de clauses relatives au salaire minimum national professionnel des salariés sans qualification et aux éléments affectant le calcul du salaire applicable par catégories professionnelles ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'avis favorable de la commission nationale de la négociation collective sur le projet d'extension de cette convention n'a pas fait l'objet de l'opposition écrite et motivée de deux organisations d'employeurs ou de deux organisations de salariés représentées à cette commission ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 2261-22 du code du travail faisaient obstacle à l'extension de la convention collective en l'absence de telles clauses doit être écarté ; que, par ailleurs, l'absence de telles clauses ne méconnaît pas, en tout état de cause, l'article 1er du titre I de la convention ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que l'article 4.1.1 du sous-titre II du titre III de la convention collective litigieuse stipule que si la durée quotidienne du travail effectif ne peut excéder dix heures, elle peut être portée à douze heures pour la " terminaison d'une séquence en cours ", en cas de " nécessité de combler un retard dû à un imprévu exceptionnel ", de " disponibilité limitée de personnes, de matériels ou de décors ", et de " temps exceptionnel de préparation et/ou de mise en place de l'équipe artistique " ; que contrairement à ce que soutiennent les requérants, eu égard à la définition de ces critères, cette clause ne fait pas dépendre l'exécution de la convention d'un événement qu'il serait au pouvoir de l'employeur de faire arriver ou d'empêcher ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, sur ce point, de la règle prévue à l'article 1174 du code civil, figurant désormais à son article 1304-2, relative à la nullité des obligations contractées sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur[j1], qui ne soulève pas une contestation sérieuse, doit être écarté ;
8. Considérant, en cinquième lieu, que l'article 3.7 du sous-titre II du titre III, qui se borne à prévoir qu'une indemnité constitutive de frais professionnels est versée lorsqu'il est demandé à l'acteur de complément de fournir lui-même un costume spécifique ou un accessoire de jeu, ne comporte, par lui-même, aucune différence de traitement entre salariés relevant de la même catégorie professionnelle ; que le moyen tiré de l'illicéité de ces stipulations, qui ne soulève pas une contestation sérieuse, doit être écarté ;
9. Considérant, en sixième lieu, que, lorsqu'elles sont opérées par voie de convention ou d'accord collectifs, les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d'une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle ; que si les requérants font valoir que les majorations prévues pour les heures effectuées au-delà de la huitième heure de travail effectif, prévues par l'article 4.4.1 du sous-titre II du titre III pour les acteurs de complément, diffèrent des majorations prévues en pareil cas, par l'article 34 du titre II, pour les techniciens employés à la journée, les acteurs de complément et les techniciens exercent des fonctions distinctes ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette différence de traitement résultant de la convention collective litigieuse serait étrangère à toute considération de nature professionnelle ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'elle ne serait pas justifiée, qui ne soulève pas une contestation sérieuse, doit être écarté ;
10. Considérant qu'il résulte de ce tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête dirigés contre l'arrêté en tant qu'il étend ces mêmes stipulations, l'ACIA et M. B...sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 31 mars 2015 en tant seulement qu'il porte extension, d'une part, du deuxième alinéa de l'article 4.1.2 du sous-titre II du titre III de la convention collective nationale de la production cinématographique et, d'autre part, de l'annexe III.2 à ce même sous-titre ;
Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté attaqué :
11. Considérant qu'eu égard, d'une part, aux conséquences susceptibles de résulter de l'annulation de cet arrêté en tant qu'il étend le deuxième alinéa de l'article 4.1.2 du sous-titre II du titre III de la convention collective nationale de la production cinématographique et, d'autre part, à la nature de l'illégalité constatée ci-dessus, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de limiter dans le temps les effets de l'annulation sur ce point ;
12. Considérant, en revanche, que l'annulation rétroactive de l'arrêté attaqué en tant qu'il étend l'annexe III.2 du sous-titre II du titre III de la convention collective nationale de la production cinématographique serait à l'origine de graves incertitudes pour la rémunération des salariés des entreprises non affiliées aux syndicats d'employeurs signataires de la convention et de son avenant et aurait, dans les circonstances de l'espèce, des conséquences manifestement excessives ; que, compte tenu de ces effets et des motifs de l'annulation de l'extension des stipulations de l'annexe III.2, il y a lieu de prévoir qu'en tant qu'il étend les clauses de cette annexe III.2, et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de l'arrêté du 31 mars 2015 antérieurs à la date de la présente décision sont définitifs ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'ACIA et à M. B... de la somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que l'ACIA et M.B..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, versent à la fédération CGT spectacle et au syndicat français des acteurs la somme qu'ils demandent à ce même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 31 mars 2015 portant extension de la convention collective nationale de la production cinématographique et d'avenants à ladite convention nationale (n° 3097) est annulé en tant qu'il prononce l'extension, d'une part, du deuxième alinéa de l'article 4.1.2 du sous-titre II du titre III de cette convention et, d'autre part, de l'annexe III.2 au sous-titre II du titre III de cette convention.
Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets produits antérieurement à cette date par l'arrêté en tant qu'il prononce l'extension de l'annexe III.2 du sous-titre II du titre III de la convention collective nationale de la production cinématographique sont regardés comme définitifs.
Article 3 : L'Etat versera à l'association des comédiens et intervenants audiovisuels et à M. B... une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par l'association des comédiens et intervenants audiovisuels et M. B...est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la fédération CGT spectacle et le syndicat français des acteurs au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'association des comédiens intervenants audiovisuels, à M. A...B..., au syndicat national des techniciens et travailleurs de la production cinématographique et de télévision, à la fédération CGT spectacle et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Le syndicat français des acteurs sera informé de la présente décision par la SCP Lyon Caen-Thiriez, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui le représente devant le Conseil d'Etat.
Copie en sera adressée à l'association des producteurs indépendants, à la fédération de la culture, de la communication et du spectacle CFE-CGC, à la fédération de la communication CFTC et au syndicat national des acteurs de complément cinéma et télévision.