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24/02/2017 | FRANCE | N°391716

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 24 février 2017, 391716


Vu la procédure suivante :

L'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise, la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 avril 2011 par lequel le préfet du Val-d'Oise a accordé à l'établissement Lebossé 2 Roues, situé sur le territoire de la commune de Montigny-lès-Cormeilles, une dérogation au principe du repos hebdomadaire dominical des salariés, pour u

ne durée de cinq ans. Par un jugement n° 1108238 du 27 mai 2013, le tribuna...

Vu la procédure suivante :

L'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise, la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 avril 2011 par lequel le préfet du Val-d'Oise a accordé à l'établissement Lebossé 2 Roues, situé sur le territoire de la commune de Montigny-lès-Cormeilles, une dérogation au principe du repos hebdomadaire dominical des salariés, pour une durée de cinq ans. Par un jugement n° 1108238 du 27 mai 2013, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 13VE02376 du 12 mai 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé par l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise, la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise contre ce jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juillet et 13 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 12 mai 2015 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention internationale du travail n° 106 concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux adoptée à Genève le 26 juin 1957 ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Sirinelli, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Jean Lessi, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, de l'Union départementale des syndicats CGT Force ouvrière du Val-d'Oise et du syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 3132-25-1 inséré dans le code du travail par la loi du 10 août 2009, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l'intervention de la loi du 6 août 2015 : " (...) dans les unités urbaines de plus de 1 000 000 d'habitants, le repos hebdomadaire peut être donné, après autorisation administrative, par roulement, pour tout ou partie du personnel, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d'usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l'importance de la clientèle concernée et l'éloignement de celle-ci de ce périmètre ". Aux termes de l'article L. 3132-25-2 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " La liste et le périmètre des unités urbaines mentionnées à l'article L. 3132-25-1 sont établis par le préfet de région sur la base des résultats du recensement de la population. / Sur demande du conseil municipal, au vu de circonstances particulières locales et (...) d'usages de consommation dominicale au sens de l'article L. 3132-25-1 (...) le préfet délimite le périmètre d'usage de consommation exceptionnel au sein des unités urbaines (...) ".

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 22 février 2010, le préfet du Val-d'Oise a créé et délimité sur le territoire de la commune de Montigny-lès-Cormeilles un périmètre d'usage de consommation exceptionnel correspondant au secteur des zones UL1 et UL du plan local d'urbanisme de l'axe de la route départementale n° 14. Dans ce cadre, par un arrêté du 4 avril 2011, il a accordé à la société Lebossé 2 Roues Montigny, pour le compte de son établissement de vente Yamaha situé dans ce périmètre, une dérogation au principe du repos hebdomadaire des salariés le dimanche pour une période de cinq ans, en application des articles L. 3132-25-1 et suivants du code du travail. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté présentée par la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise, par un jugement du 27 mai 2013, confirmé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 12 mai 2015. Ces organisations syndicales se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il se prononce sur la contrariété de la loi à la convention internationale du travail n° 106 :

3. Aux termes de l'article 6 de la convention internationale du travail n° 106 concernant le repos hebdomadaire dans le commerce et les bureaux : " 1. Toutes les personnes auxquelles s'applique la présente convention auront droit, sous réserve des dérogations prévues par les articles suivants, à une période de repos hebdomadaire comprenant au minimum vingt-quatre heures consécutives au cours de chaque période de sept jours. / 2. La période de repos hebdomadaire sera, autant que possible, accordée en même temps à toutes les personnes intéressées d'un même établissement. / 3. La période de repos hebdomadaire coïncidera, autant que possible, avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région (...) ". Aux termes de l'article 7 de la même convention : " 1. Lorsque la nature du travail, la nature des services fournis par l'établissement, l'importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ne permettent pas l'application des dispositions de l'article 6, des mesures pourront être prises, par l'autorité compétente ou par l'organisme approprié dans chaque pays, pour soumettre, le cas échéant, des catégories déterminées de personnes ou des catégories déterminées d'établissements comprises dans le champ d'application de la présente convention à des régimes spéciaux de repos hebdomadaire, compte tenu de toute considération sociale et économique pertinente. (...) ".

4. La loi du 10 août 2009, qui a rappelé que, conformément aux stipulations du 3 de l'article 6 de la convention, le repos hebdomadaire est, dans l'intérêt des salariés, donné le dimanche, a institué un nouveau régime spécial de repos hebdomadaire en prévoyant que les établissements de vente au détail, situés dans un périmètre d'usage de consommation exceptionnel au sein d'une unité urbaine de plus de 1 000 000 d'habitants, peuvent être autorisés à donner à tout ou partie de leur personnel le repos hebdomadaire par roulement, ce nouveau régime spécial ayant pour objet de répondre aux besoins d'une clientèle importante résidant dans de grandes agglomérations. En jugeant que ces motifs constituaient des considérations pertinentes au sens des stipulations précitées de l'article 7 paragraphe 1 de la convention, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit, ni d'insuffisance de motivation.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il se prononce, par la voie de l'exception, sur la légalité de l'arrêté du 22 février 2010 :

5. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 3132-25-1 du code du travail, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 10 août 2009, que le législateur a entendu créer un régime de dérogation au repos dominical adapté à des situations locales particulières marquées par des usages de consommation de fin de semaine. Pour l'application de ce régime, la délimitation d'un tel périmètre est subordonnée à la constatation d'usages, en matière de consommation dominicale, suffisamment anciens, durables et réguliers pour être constitutifs d'habitudes, quelles que soient les conditions dans lesquelles celles-ci se sont formées. Dans ces conditions, les organisations syndicales requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, aurait commis une erreur de droit en jugeant que le préfet pouvait tenir compte d'usages découlant de l'ouverture dominicale d'établissements situés sur le secteur retenu pour le périmètre, quand bien même ces ouvertures auraient été acquises en méconnaissance des dispositions législatives et réglementaires alors applicables.

6. En deuxième lieu, l'arrêté du 22 février 2010, en procédant à une délimitation de périmètre d'usage de consommation exceptionnel où pourraient être accordées, par dérogation aux règles du droit commun, des autorisations administratives afin que le repos hebdomadaire soit donné par roulement dans les établissements de vente au détail, a fait application des dispositions précitées de l'article L. 3132-25-1 du code du travail, sans en modifier l'objet ou la portée, rappelés au point 5. D'une part, en jugeant que la distinction opérée entre commerces, selon qu'ils étaient situés ou non au sein du périmètre d'usage de consommation exceptionnel, résultait, dans son principe, de la loi elle-même, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce. D'autre part, eu égard à l'argumentation des organisations requérantes, qui ne soutenaient pas, devant la cour, que les choix opérés dans la délimitation du périmètre d'usage de consommation exceptionnel auraient eu, dans les circonstances de l'espèce et au regard des principes d'égalité et de libre concurrence, des effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par la loi, elle n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation.

7. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 3132-25-2 du code du travail, " sur demande du conseil municipal ", le " préfet délimite le périmètre d'usage de consommation exceptionnel au sein des unités urbaines, après consultation de l'organe délibérant de la communauté de communes, de la communauté d'agglomération, de la métropole ou de la communauté urbaine, lorsqu'elles existent, sur le territoire desquelles est situé ce périmètre ". Il ne résulte pas de ces dispositions que la demande ainsi adressée par le conseil municipal au préfet devrait, au-delà de la désignation de la zone concernée, indiquer la délimitation exacte du périmètre d'usage de consommation exceptionnel dont la mise en place est sollicitée, et dont la détermination précise relève de la compétence du préfet. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par la délibération du 14 décembre 2009, le conseil municipal de la commune de Montigny-lès-Cormeilles a demandé au préfet la création d'un tel périmètre, en précisant que sa demande portait sur le secteur commercial situé autour de l'axe de la route départementale 14. Par suite, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point et ne s'est pas méprise sur la portée de la délibération en cause, a pu juger sans commettre d'erreur de droit que le préfet avait été régulièrement saisi pour délimiter le périmètre dont la création était demandée.

Sur l'arrêt attaqué, en tant qu'il se prononce sur les autres moyens soulevés contre l'arrêté du 4 avril 2011 :

8. En premier lieu, dès lors qu'il résulte de l'objet même de la loi que celle-ci entend assurer un même traitement à l'ensemble des commerces de détail qui sont implantés dans les périmètres de dérogation concernés, la cour pouvait, sans entacher son arrêt d'insuffisance de motivation, écarter pour les motifs mentionnés au point 4 le moyen tiré de la contrariété de l'arrêté du 4 avril 2011 avec l'article 7 paragraphe 1 de la convention internationale du travail n° 106, sans examiner la catégorie d'établissement auquel était accordée la dérogation individuelle en cause.

9. En deuxième lieu, il ressort des écritures d'appel des organisations syndicales requérantes que les moyens tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ainsi que du principe de libre concurrence étaient seulement invoqués à l'appui de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 22 février 2010 portant création du périmètre d'usage de consommation exceptionnel, et non à l'encontre de l'arrêté attaqué portant dérogation au repos dominical. Les organisations requérantes ne sont, par suite, pas fondées à soutenir que la cour aurait insuffisamment motivé son arrêt en s'abstenant d'examiner ces moyens en tant qu'ils auraient été dirigés contre l'arrêté du 4 avril 2011.

10. En dernier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 3132-25-3 du code du travail dans leur rédaction alors en vigueur que les autorisations prévues à l'article L. 3132-25-1 précité sont accordées au vu d'un accord collectif ou, à défaut, " au vu d'une décision unilatérale de l'employeur, prise après avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu'ils existent, approuvée par référendum organisé auprès des personnels concernés par cette dérogation au repos dominical. La décision de l'employeur approuvée par référendum fixe les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d'emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées. Dans ce cas, chaque salarié privé du repos du dimanche bénéficie d'un repos compensateur et perçoit pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente ".

11. En l'espèce, d'une part, la cour a relevé que la décision unilatérale de la société Lebossé 2 Roues Montigny, en date du 18 janvier 2011, soumise à référendum, comportait des contreparties précises, dont la majoration de 100 % de la rémunération des heures effectuées le dimanche, un repos compensateur d'une durée équivalente et le respect du volontariat du personnel, et exprimait son engagement à étudier l'aménagement du parking en vue de son accès aux personnes handicapées et à envisager des partenariats avec des associations de travailleurs handicapés pour effectuer certaines tâches. Dès lors qu'il ne ressort pas des dispositions précitées de l'article L. 3132-25-3 du code du travail que les engagements pris en termes d'emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou des personnes handicapées devraient être formalisés au-delà de l'expression d'un projet ainsi déterminé, la cour, qui a souverainement apprécié les faits de l'espèce sans les dénaturer, n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que la décision de l'employeur comportait des engagements satisfaisant à ces dispositions. D'autre part, elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit ni entaché son arrêt de dénaturation en jugeant que la circonstance que le référendum prévu par les mêmes dispositions avait été organisé par correspondance n'impliquait pas que le secret du scrutin n'aurait pas été respecté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise et le syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles qu'ils attaquent.

Sur les conclusions incidentes du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

13. L'intérêt à se pourvoir en cassation s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. Ainsi, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles, qui rejette comme non fondé l'appel des organisations requérantes, ne fait pas grief au ministre, qui n'est donc pas recevable à en demander l'annulation au juge de cassation.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par les organisations requérantes.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, de l'Union départementale des syndicats CGT-Force ouvrière du Val-d'Oise et du syndicat Force ouvrière des employés et cadres du commerce du Val-d'Oise est rejeté.

Article 2 : Le pourvoi incident du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée, pour l'ensemble des requérants, à la Fédération des employés et cadres CGT-Force ouvrière, première dénommée, et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée à la société Lebossé 2 Roues Montigny.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 391716
Date de la décision : 24/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2017, n° 391716
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Sirinelli
Rapporteur public ?: M. Jean Lessi
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO

Origine de la décision
Date de l'import : 07/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:391716.20170224
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