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30/01/2017 | FRANCE | N°400996

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 30 janvier 2017, 400996


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 novembre 2016 et le 12 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. et Mme B...demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi contre l'arrêt du 26 avril 2016 de la cour administrative de Bordeaux, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de fi

nances pour 1964.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés le 22 novembre 2016 et le 12 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. et Mme B...demandent au Conseil d'Etat, à l'appui de leur pourvoi contre l'arrêt du 26 avril 2016 de la cour administrative de Bordeaux, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de finances pour 1964.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 62-401 du 11 avril 1962 ;

- la loi n° 63-1241 du 19 décembre 1963 ;

- le décret n° 62-941 du 9 août 1962 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, avocat de M. et Mme A...B...;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a exercé à temps partiel les fonctions de directeur adjoint de la caisse régionale mutuelle d'assurances sociales agricoles de Bône (Algérie) jusqu'au 5 mars 1963, date de son retour en France. M. et Mme B...ont saisi le ministre de l'agriculture, par un courrier en date du 26 novembre 2013, d'une demande d'indemnisation des préjudices résultant selon eux du refus opposé par le ministre de l'agriculture à la demande, présentée par M. B...à son retour en France, de le réintégrer dans des fonctions semblables à celles qu'il occupait en Algérie jusqu'au 5 mars 1963. Par une ordonnance du 28 avril 2014, le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté leur requête tendant d'une part à l'annulation de la décision implicite de rejet opposée par le ministre à cette demande d'indemnisation et d'autre part au versement de la somme de 755 000 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la non-réintégration de M. B...dans des fonctions semblables à celles qu'il occupait en Algérie. Sous le même n° 400996, M. et Mme B...se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 26 avril 2016 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur appel contre cette ordonnance et contestent, à l'occasion de ce pourvoi, l'ordonnance du 2 septembre 2014 par laquelle le président de la 2ème chambre de la cour administrative de Bordeaux a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de finances pour 1964. En outre, ils demandent au Conseil d'Etat, à l'appui du même pourvoi, de transmettre la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de finances pour 1964.

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " (...) Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 771-16 du code de justice administrative : " Lorsque l'une des parties entend contester devant le Conseil d'Etat, à l'appui d'un appel ou d'un pourvoi en cassation formé contre la décision qui règle tout ou partie du litige, le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité précédemment opposé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de présenter cette contestation avant l'expiration du délai de recours dans un mémoire distinct et motivé, accompagné d'une copie de la décision de refus de transmission ".

3. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une cour administrative d'appel a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, que le refus de transmission précédemment opposé l'ait été par une décision distincte de l'arrêt, dont il joint alors une copie, ou directement par cet arrêt. Les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en dernier ressort de s'affranchir des conditions, définies par les dispositions citées plus haut de la loi organique et du code de justice administrative, selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge de cassation.

4. En premier lieu, si pour demander au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de finances pour 1964, M. et Mme B...soutiennent que ces dispositions sont contraires à l'exigence de mise en oeuvre d'une politique de solidarité nationale qui résulte du Préambule de la Constitution de 1946, il ne peut être fait droit à leur demande en tant qu'elle est fondée sur ce moyen dès lors que la question prioritaire de constitutionnalité ainsi posée porte sur la même question que celle qui a été soumise, par le même moyen, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

5. En second lieu, M. et Mme B...soutiennent que les dispositions du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de finances pour 1964 sont contraires au droit des cotisants à percevoir une pension de retraite ainsi qu'à la garantie des droits et qu'elles portent atteinte au droit de propriété. Il y a lieu d'examiner ces moyens qui sont soulevés pour la première fois devant le Conseil d'Etat.

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que celui-ci est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur l'applicabilité au litige de la disposition contestée :

7. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 11 avril 1962 relative aux conditions d'intégration dans les services publics métropolitains des fonctionnaires et agents des services publics algériens et sahariens, " Le reclassement, par une procédure d'intégration des agents permanents français des sociétés nationales, des sociétés concessionnaires de service public, des organismes jouissant de la personnalité civile ct de l'autonomie financière dont la majeure partie des ressources est constituée par des cotisations légalement obligatoires, des offices et établissements publics d'Algérie et du Sahara, y compris ceux à caractère industriel ct commercial, dans les établissements publics, les sociétés et les organismes métropolitains exerçant une activité analogue, pourra être assuré par voie réglementaire ou contractuelle (...) ". Aux termes de l'article II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963, " Les dispositions des articles 2 et 3 de l'ordonnance n° 62-401 du 11 avril 1962 sont modifiés ainsi qu'il suit : (...) / Art. 3. - Le reclassement par une procédure d'intégration des agents permanents français en service à temps complet des sociétés nationales, des sociétés concessionnaires des services publics... " (le reste sans changement) ". Aux termes du III du même article, " Les dispositions des I et II ci-dessus ont un caractère interprétatif, sauf à l'égard des agents dont la situation a été réglée par une décision d'une juridiction administrative devenue définitive ".

8. Il résulte de ces dispositions que l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 est venu modifier rétroactivement l'article 3 de l'ordonnance du 11 avril 1962 sous l'empire duquel avait été adoptée la décision du 11 mai 1963 refusant l'intégration de M. B...dans des fonctions équivalentes à celles qu'il exerçait en Algérie. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient le ministre de la fonction publique, les dispositions législatives contestées doivent être regardées comme applicables au litige.

Sur le caractère nouveau de la question posée :

9. Les requérants soutiennent qu'en restreignant aux seuls agents publics ayant travaillé à temps complet le bénéfice des dispositions de l'ordonnance du 11 avril 1962 relative aux conditions d'intégration dans les services publics métropolitains des fonctionnaires et agents des services publics algériens et sahariens, le II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 porterait atteinte au droit constitutionnel des cotisants à percevoir une pension de retraite.

10. Toutefois, dès lors que les dispositions contestées n'ont ni pour objet, ni pour effet de modifier les conditions et règles relatives au versement des pensions, les requérants ne sauraient utilement soutenir que la question qu'ils soulèvent revêtirait un caractère nouveau dans la mesure où ils invoquent une atteinte au droit constitutionnel des cotisants à percevoir une pension de retraite.

Sur le caractère sérieux de la question posée :

11. En premier lieu, M. et Mme B...soutiennent que les dispositions du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 de finances pour 1964 sont contraires à la garantie des droits dans la mesure où elles portent atteinte à des situations légalement acquises et, partant, au principe de confiance légitime. Toutefois, si l'ordonnance du 11 avril 1962 ouvre le bénéfice de l'intégration dans les services publics métropolitains des fonctionnaires et agents des services publics algériens et sahariens sans distinguer entre les agents à temps complet et les agents à temps partiel, l'article 2 du décret du 9 août 1962 relatif aux conditions de reclassement des agents permanents français, pris pour son application, précise que : " Bénéficient du présent décret les agents qui (...) occupent à temps complet un emploi permanent ". Sous l'empire du droit applicable antérieurement à l'intervention de la loi du 19 décembre 1963, le droit à réintégration ne visait donc que les agents permanents ayant exercé à temps complet. Dans ces conditions, et alors même que les dispositions du II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 ont modifié rétroactivement l'ordonnance du 11 avril 1962 en portant au niveau législatif la condition relative à l'exercice d'un service à temps complet, elles n'ont pas eu pour effet de porter atteinte aux situations légalement acquises et aux effets qui pouvaient en être attendus. Il s'ensuit que la question de la conformité de ces dispositions à la garantie des droits découlant de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne présent aucun caractère sérieux.

12. En second lieu, les requérants soutiennent qu'en retirant aux agents publics non permanents le droit que leur avait reconnu l'ordonnance du 11 avril 1962 à être réintégrés dans des fonctions équivalentes à celles qu'ils occupaient en Algérie, le II de l'article 66 de la loi du 19 décembre 1963 porterait une atteinte disproportionnée au droit de propriété garanti par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, dès lors que les dispositions contestées n'ont ni pour objet, ni pour effet de faire obstacle au versement de traitements ou de pensions auxquels les intéressés pouvaient légalement prétendre antérieurement à leur intervention, les requérants ne sauraient utilement invoquer la méconnaissance du droit de propriété.

13. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et MmeB....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B....

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'agriculture.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 400996
Date de la décision : 30/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 30 jan. 2017, n° 400996
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Marie Gautier-Melleray
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : SCP DELAPORTE, BRIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/02/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:400996.20170130
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