Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire et trois autres mémoires enregistrés les 17 février, 18 mai et 21 septembre 2015 et le 11 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCEA Château Siaurac, la SCEA Vignobles Silvestrini, l'EARL Vins Bel, la SCEA Vignobles Daniel Ybert, la SARL C. Estager et Fils, la SCEA Vignobles Michel Coudroy et le GFA du Château Haut-Surget demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2014-904 du 18 août 2014 modifiant le décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 relatif à l'appellation d'origine contrôlée (AOC) " Pomerol " en tant qu'il ne délimite aucune zone de proximité immédiate au titre de cette appellation et, d'autre part, la décision implicite de rejet du recours gracieux qu'ils ont formé contre ce décret ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- le règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2011-1613 du 22 novembre 2011 ;
- le décret n° 2014-904 du 18 août 2014 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Château Siaurac, de la société Vignobles Silvestrini, de la société Vins Bel, de la société Vignobles Daniel Ybert, de la société C. Estager et Fils, de la société Vignobles Michel Coudroy et du groupement foncier agricole du Château Haut-Surget, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat du Syndicat viticole et agricole de Pomerol et à la SCP Didier, Pinet, avocat de l'Institut national de l'origine et de la qualité ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 18 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par le Syndicat viticole et agricole de Pomerol.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Château Siaurac et autres ;
Considérant ce qui suit ;
1. Le Syndicat viticole et agricole de Pomerol a intérêt au maintien du décret attaqué. Son intervention, régulièrement présentée, est, dès lors, recevable.
2. Le décret du 22 novembre 2011 visé ci-dessus a homologué le cahier des charges de l'AOC " Pomerol " qui délimitait l'aire géographique de production à l'ensemble de la commune de Pomerol (Gironde), une partie de celle de Libourne et une parcelle de la commune de Lalande-de-Pomerol et prévoyait que les opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage des vins pourraient aussi être effectuées dans une zone de proximité immédiate incluant la partie du territoire de la commune de Libourne non comprise dans l'aire géographique de production. Toutefois, par une décision n° 356102 du 17 décembre 2013, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a annulé ce décret en tant qu'il homologuait les dispositions du cahier des charges délimitant la zone de proximité immédiate, au motif que cette délimitation n'était pas justifiée par des critères objectifs et rationnels et que la différence de traitement entre producteurs qu'elle introduisait ne correspondait pas à une différence de situation ou à un motif d'intérêt général en rapport avec les objectifs poursuivis par le cahier des charges.
3. Par le décret attaqué du 18 août 2014, le Premier ministre a homologué une modification du cahier des charges de l'AOC " Pomerol ", qui se borne à compléter la liste des opérateurs autorisés à vinifier leurs raisins et à élever leurs vins en dehors de l'aire géographique de production jusqu'au terme des opérations liées à la récolte 2021. La SCEA Château Siaurac et autres demandent au Conseil d'État l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret, en tant qu'il s'abstient de délimiter une zone de proximité immédiate au titre de l'AOC " Pomerol ".
4. Aux termes du a) du 1 de l'article 93 du règlement (CE) n° 1308/20013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole : " (...) on entend par appellation d'origine le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, d'un pays, qui sert à désigner un produit (...) satisfaisant aux exigences suivantes : i) sa qualité et ses caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement à un milieu géographique particulier et aux facteurs naturels et humains qui lui sont inhérents ;/ ii) il est élaboré exclusivement à partir de raisins provenant de la zone géographique considérée ; / iii) sa production est limitée à la zone géographique considérée (...) ". L'article 109 du même règlement a toutefois habilité la Commission à adopter, afin de tenir compte des spécificités de la production dans une zone géographique délimitée, des actes délégués en vue notamment d'établir des règles dérogatoires concernant la production dans cette zone géographique. L'article 6 du règlement (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009, qui définit la production comme " toutes les opérations réalisées, depuis la récolte des raisins jusqu'à la fin du processus d'élaboration du vin, à l'exception des processus postérieurs à la production " , prévoit que, par dérogation au iii) du a) du 1 de l'article 93 du règlement n° 1308/2013 cité plus haut : " sous réserve que le cahier des charges le prévoie, un produit bénéficiant d'une appellation d'origine protégée (...) peut être transformé en vin : / a) dans une zone à proximité immédiate de la zone délimitée concernée (...) ".
5. Pour justifier l'absence de délimitation d'une zone de proximité immédiate pour l'AOC " Pomerol ", le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, l'Institut national de l'origine et de la qualité et le Syndicat agricole et viticole de Pomerol se bornent à soutenir que l'institution d'une telle zone, qui permet de vinifier les raisins et d'élaborer et élever les vins en dehors de l'aire géographique de production, constitue une simple faculté offerte aux Etats membres par la réglementation de l'Union européenne.
6. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le cahier des charges de l'AOC " Pomerol ", qui ne comporte aucun élément de nature à justifier la nécessité de localiser les opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage à l'intérieur de l'aire géographique de production, se borne à exiger, dans son chapitre IX intitulé " Transformation, élaboration, élevage, conditionnement et stockage ", que la vinification s'effectue " conformément aux usages locaux, loyaux et constants " et ne mentionne, dans ses développements consacrés au " lien à l'origine ", que les facteurs naturels et techniques de conduite de la vigne. Il ressort également des pièces du dossier que les requérants ont pu, pendant des décennies, réaliser leurs opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage en dehors de l'aire géographique de production de l'AOC " Pomerol " tout en bénéficiant de cette appellation. Par ailleurs, il ne ressort ni des pièces du dossier ni de l'argumentation développée par le ministre de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la forêt, l'Institut national de l'origine et de la qualité et le Syndicat agricole et viticole de Pomerol que la localisation de chais comme ceux des requérants, à proximité immédiate de la zone géographique de production, et les opérations de transport de raisin qu'elle implique soient de nature à porter atteinte à la qualité et aux caractéristiques propres aux vins de l'AOC " Pomerol ". Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, en tant qu'il homologue une modification du cahier des charges de l'AOC " Pomerol " qui ne prévoit la délimitation d'aucune zone de proximité immédiate et exclut donc du bénéfice de cette appellation tous les producteurs qui ne procèdent pas aux opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage à l'intérieur de l'aire géographique de production, le décret attaqué est entaché d'une erreur d'appréciation.
7. Dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leur requête, la SCEA Château Siaurac et autres sont fondés à demander l'annulation du décret attaqué en tant qu'il homologue une modification du cahier des charges de l'AOC " Pomerol " s'abstenant de procéder à la délimitation d'une zone de proximité immédiate au titre de cette appellation.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCEA Château Siaurac et autres d'une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention du Syndicat viticole et agricole de Pomerol est admise.
Article 2 : Le décret n° 2014-904 du 18 août 2014 est annulé en tant qu'il ne procède pas à la délimitation d'une zone de proximité immédiate au titre de l'AOC " Pomerol ".
Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros à la SCEA Château Siaurac, à la SCEA Vignobles Silvestrini, à l'EARL Vins Bel, à la SCEA Vignobles Daniel Ybert, à la SARL C. Estager et Fils, à la SCEA Vignobles Michel Coudroy et au GFA du Château Haut-Surget au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCEA Château Siaurac, premier requérant dénommé, au Premier ministre, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, au ministre de l'économie et des finances, à l'Institut national de l'origine et de la qualité et au Syndicat viticole et agricole de Pomerol. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.