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13/01/2017 | FRANCE | N°391196

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 13 janvier 2017, 391196


Vu la procédure suivante :

La SAS Ingram Micro a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie, d'une part, au titre des années 2005 et 2006 et, d'autre part, au titre des années 2007 et 2008. Par deux jugements, n° 1009892 du 15 mars 2012 et n° 1206436 du 5 mai 2014, le tribunal a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n°s 12VE01779, 14VE01972 du 14 avril 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rej

eté les appels formés par la SAS Ingram Micro contre ces jugements.

Par un ...

Vu la procédure suivante :

La SAS Ingram Micro a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie, d'une part, au titre des années 2005 et 2006 et, d'autre part, au titre des années 2007 et 2008. Par deux jugements, n° 1009892 du 15 mars 2012 et n° 1206436 du 5 mai 2014, le tribunal a rejeté ces demandes.

Par un arrêt n°s 12VE01779, 14VE01972 du 14 avril 2015, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté les appels formés par la SAS Ingram Micro contre ces jugements.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois autres mémoires, enregistrés les 22 juin et 22 septembre 2015 et les 11 janvier, 16 juin et 29 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Ingram Micro, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Villette, auditeur,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la SAS Ingram Micro ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 23 et 26 décembre 2016, présentées par la SAS Ingram Micro ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, sur le fondement des dispositions de l'article 39 du code général des impôts, la SAS Ingram Micro a déduit de son résultat imposable des charges financières au titre des exercices 2005 à 2008. Elle a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité, à l'issue desquelles le service vérificateur a remis en cause cette déduction. L'administration fiscale a en effet estimé que la réalisation concomitante, par la société requérante, de deux opérations d'un montant proche, l'une de distribution de son report à nouveau sous forme de dividendes au profit de son unique actionnaire, l'autre d'émission d'obligations remboursables en actions (ORA) auxquelles a souscrit ce même actionnaire, était constitutive d'un abus de droit. Appliquant les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration a ainsi estimé que les décisions de l'assemblée générale de la société relatives à ces opérations ne lui étaient pas opposables et a, par suite, remis en cause la déductibilité des intérêts versés à raison de ces ORA et rehaussé en conséquence les cotisations à l'impôt sur les sociétés dues par la SAS Ingram Micro au titre des exercices 2005 à 2008. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, après les avoir joints, rejeté ses appels contre les jugements du tribunal administratif de Montreuil, rejetant sa demande en décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie.

2. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux exercices 2005 et 2006, lesquels ont fait l'objet d'une proposition de rectification notifiée avant le 1er janvier 2009 : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / a) Qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; / b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; / c) Ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une convention. / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. ". Aux termes de l'article L. 64 du même livre, applicable aux exercices 2007 et 2008 : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public. ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confèrent ces textes dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

3. En premier lieu, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'arrêt est insuffisamment motivé en ce qu'il n'explicite pas en quoi l'objectif poursuivi par le législateur aurait été méconnu par les opérations regardées comme constitutives d'un abus de droit dès lors qu'un tel moyen n'a pas été soulevé devant le juge du fond. De même, eu égard aux écritures de la requérante devant le juge du fond, la cour n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation en estimant que les affirmations de l'administration fiscale selon lesquelles elle avait réalisé " deux opérations contradictoires qui, au terme du contrat d'émission des obligations, produiront les mêmes effets qu'une incorporation de réserves au capital social mais en permettant, sur la durée de ce contrat, la déduction des intérêts correspondants " et que la distribution exceptionnelle réalisée en 2004 et l'émission d'ORA n'avaient " généré aucun flux financier " mais avaient donné lieu " à un simple jeu d'écritures comptables ", n'étaient pas sérieusement contredites.

4. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a estimé que, compte tenu de leur caractère contradictoire, ces deux opérations synchrones, qui ne se sont traduites par aucun flux financier, révélaient l'intention du contribuable d'atténuer ses charges fiscales normales, en déduisant artificiellement de son résultat les intérêts afférents aux ORA émises alors même, au demeurant, que ces intérêts n'étaient pas imposés, dans l'Etat du Delaware (Etats-Unis d'Amérique), dans le chef de la société actionnaire, détentrice des ORA. Il ressort également des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a ensuite examiné les autres motifs avancés par la société requérante pour justifier les opérations en litige. La SAS Ingram Micro faisait état d'un motif social, tiré de ce que la réduction de ses capitaux propres, induite par la distribution de son report à nouveau, avait automatiquement permis une hausse, au profit des salariés, de la dotation à la réserve spéciale de participation aux résultats de l'entreprise. La cour a estimé que les opérations litigieuses, alors même qu'elles auraient pu avoir pour effet indirect de satisfaire, en tout état de cause de façon temporaire, les revendications des salariés, ne pouvaient procéder, même en partie, de la recherche d'une telle finalité sociale. La cour a également refusé de prendre en compte l'objectif de réorganisation avancé par la société requérante, au motif que les opérations litigieuses avaient en définitive conduit à ce que les actions de la SAS Ingram Micro soient détenues, à nouveau, par son actionnaire d'origine. Enfin, en réponse à la société qui soutenait que ces opérations étaient justifiées par une volonté de maintenir sa note de crédit, la cour a relevé que les opérations litigieuses n'étaient pas cohérentes au regard de cet objectif, lequel était, en tout état de cause, exposé de façon imprécise. En déduisant de ces appréciations souveraines, exemptes de dénaturation, que la société n'avait pu être inspirée, en réalisant les opérations en cause, par aucun motif autre que celui d'atténuer ses charges fiscales normales, la cour, qui n'a pas entendu juger que le choix de financer une distribution de dividendes en recourant à l'emprunt était, en lui-même, constitutif d'un abus de droit, n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

5. Enfin, c'est de façon suffisamment motivée que la cour a, en se référant à la situation d'abus de droit qu'elle venait de caractériser, jugé que l'administration avait pu légalement faire application, de la majoration de 80 % prévue en cas d'abus de droit par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, contre laquelle la requérante ne soulevait au demeurant aucun moyen spécifique.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Ingram Micro n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la SAS Ingram Micro est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SAS Ingram Micro et au ministre de l'économie et des finances.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 391196
Date de la décision : 13/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CONTRIBUTIONS ET TAXES - GÉNÉRALITÉS - RÈGLES GÉNÉRALES D'ÉTABLISSEMENT DE L'IMPÔT - ABUS DE DROIT ET FRAUDE À LA LOI - ABUS DE DROIT (ART - L - 64 DU LPF) - RÉALISATION PAR UNE SOCIÉTÉ DE DEUX OPÉRATIONS CONCOMITANTES D'UN MONTANT PROCHE - L'UNE DE DISTRIBUTION DE SON REPORT À NOUVEAU SOUS FORME DE FORME DE DIVIDENDES AU PROFIT DE SON UNIQUE ACTIONNAIRE - L'AUTRE D'ÉMISSION D'OBLIGATIONS REMBOURSABLES EN ACTIONS (ORA) AUXQUELLES A SOUSCRIT CE MÊME ACTIONNAIRE - EXISTENCE - EN L'ABSENCE DE FINALITÉ SOCIALE - DE RÉORGANISATION OU DE MAINTIEN DE SA NOTE DE CRÉDIT [RJ1].

19-01-03-03 Société redressée sur le fondement des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF), ayant réalisé deux opérations d'un montant proche, l'une de distribution de son report à nouveau sous forme de dividendes au profit de son unique actionnaire, l'autre d'émission d'obligations remboursables en actions (ORA) auxquelles a souscrit ce même actionnaire.... ,,La cour a estimé que ces deux opérations synchrones, de caractère contradictoire, et ne s'étant traduite par aucun flux financier, révélaient l'intention du contribuable d'atténuer ses charges fiscales normales, en déduisant artificiellement de son résultat les intérêts afférents aux ORA émises. Elle a ensuite écarté les autres motifs avancés par la requérante pour justifier les opérations en litige, tenant à la recherche d'une finalité sociale, à la poursuite d'un objectif de réorganisation ainsi qu'à la volonté de maintenir sa note de crédit. En déduisant de ces appréciations souveraines, exemptes dénaturation, que la société n'avait pu être inspirée, en réalisant les opérations en cause, par aucun motif autre que celui d'atténuer ses charges fiscales normales, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

CONTRIBUTIONS ET TAXES - IMPÔTS SUR LES REVENUS ET BÉNÉFICES - RÈGLES GÉNÉRALES - IMPÔT SUR LES BÉNÉFICES DES SOCIÉTÉS ET AUTRES PERSONNES MORALES - DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE IMPOSABLE - ABUS DE DROIT (ART - L - 64 DU LPF) - RÉALISATION PAR UNE SOCIÉTÉ DE DEUX OPÉRATIONS CONCOMITANTES D'UN MONTANT PROCHE - L'UNE DE DISTRIBUTION DE SON REPORT À NOUVEAU SOUS FORME DE FORME DE DIVIDENDES AU PROFIT DE SON UNIQUE ACTIONNAIRE - L'AUTRE D'ÉMISSION D'OBLIGATIONS REMBOURSABLES EN ACTIONS (ORA) AUXQUELLES A SOUSCRIT CE MÊME ACTIONNAIRE - EXISTENCE - EN L'ABSENCE DE FINALITÉ SOCIALE - DE RÉORGANISATION OU DE MAINTIEN DE SA NOTE DE CRÉDIT [RJ1].

19-04-01-04-03 Société ayant réalisé deux opérations d'un montant proche, l'une de distribution de son report à nouveau sous forme de dividendes au profit de son unique actionnaire, l'autre d'émission d'obligations remboursables en actions (ORA) auxquelles a souscrit ce même actionnaire, redressée sur le fondement des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF).... ,,La cour a estimé que ces deux opérations synchrones, de caractère contradictoire, et ne s'étant traduite par aucun flux financier, révélaient l'intention du contribuable d'atténuer ses charges fiscales normales, en déduisant artificiellement de son résultat les intérêts afférents aux ORA émises. Elle a ensuite écarté les autres motifs avancés par la requérante pour justifier les opérations en litige, tenant à la recherche d'une finalité sociale, à la poursuite d'un objectif de réorganisation ainsi qu'à la volonté de maintenir sa note de crédit. En déduisant de ces appréciations souveraines, exemptes dénaturation, que la société n'avait pu être inspirée, en réalisant les opérations en cause, par aucun motif autre que celui d'atténuer ses charges fiscales normales, la cour n'a pas commis d'erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.


Références :

[RJ1]

Rappr, sur la notion de but exclusivement fiscal, Cons. const., 29 décembre 2013, n° 2013-685 DC, Loi de finances pour 2014 ;

cons. 112 à 118.


Publications
Proposition de citation : CE, 13 jan. 2017, n° 391196
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Villette
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:391196.20170113
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