Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 septembre 2015 et 11 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société eNova Santé demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande du 3 juin 2015 tendant à l'abrogation de l'article 3 du décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments et à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger l'article 3 du décret du 31 décembre 2012, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information ;
- la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 5125-33 du code de la santé publique : " On entend par commerce électronique de médicaments l'activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. / L'activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d'une officine de pharmacie. (...) ". Aux termes de l'article L. 5125-36 du même code : " La création du site internet de commerce électronique de médicaments de l'officine de pharmacie est soumise à autorisation du directeur général de l'agence régionale de santé territorialement compétente. Le pharmacien informe de la création du site le conseil compétent de l'ordre des pharmaciens dont il relève ". Ces dispositions, complétées par le décret du 31 décembre 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments et à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet, ont été prises pour assurer la transposition des dispositions de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain issues de la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 qui l'a modifiée en ce qui concerne la prévention de l'introduction dans la chaîne d'approvisionnement légale de médicaments falsifiés. La société eNova Santé demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande du 3 juin 2015 tendant à l'abrogation de l'article 3 du décret du 31 décembre 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments et à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet, en soutenant que les dispositions de cet article constituent une règle technique relative à un service de la société de l'information, au sens de la directive 98/34/CE, et auraient dû, dès lors, faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa du 1 de l'article 8 de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, alors applicable : " Sous réserve de l'article 10, les Etats membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet ". Constitue notamment une règle technique au sens de la directive, selon les termes du 11 de son article 1er, " (...) une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s'y appliquent, dont l'observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l'établissement d'un opérateur de services ou l'utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l'article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l'importation, la commercialisation ou l'utilisation d'un produit ou interdisant de fournir ou d'utiliser un service ou de s'établir comme prestataire de services ". Une " règle relative aux services " est définie au 5 du même article comme : " une exigence de nature générale relative à l'accès aux activités de services visées au point 2 et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l'exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis au même point ". Selon le 2 du même article, on entend par " service ", pour l'application de la directive : " tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services ". Enfin, aux termes du 1 de l'article 10 de la directive : " Les articles 8 et 9 ne sont pas applicables aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres ou aux accords volontaires par lesquels ces derniers : / - se conforment aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l'adoption de spécifications techniques ou de règles relatives aux services (...) ".
3. D'autre part, aux termes du 1 de l'article 85 quater de la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain : " Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l'offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l'information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information tels que définis dans la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, aux conditions suivantes : / a) la personne physique ou morale offrant des médicaments est autorisée ou habilitée à délivrer des médicaments au public, également à distance, conformément à la législation nationale de l'État membre dans lequel cette personne est établie ; / b) la personne visée au point a) a notifié à l'État membre dans lequel elle est établie, au minimum, les informations suivantes : / i) le nom ou la raison sociale et l'adresse permanente du lieu d'activité à partir duquel ces médicaments sont fournis ; / ii) la date de début de l'activité d'offre à la vente à distance de médicaments au public au moyen de services de la société de l'information ; / iii) l'adresse du site internet utilisé à cette fin et toutes les informations nécessaires pour identifier ce site internet ; / iv) le cas échéant, la classification, conformément au titre VI, des médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information. / S'il y a lieu, ces informations sont mises à jour, / (...) / (...) le site internet offrant des médicaments contient au minimum : / i) les coordonnées de l'autorité compétente (...) ; / ii) un lien hypertexte vers le site internet de l'État membre d'établissement (...) ; / iii) le logo commun (...) ". Aux termes du 2 de ce même article : " Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l'information ".
4. Il résulte des dispositions des directives 98/34/CE et 2001/83/CE citées ci-dessus que la vente en ligne de médicaments a le caractère d'un service de la société de l'information au sens de la directive 98/34/CE.
5. En premier lieu, le I de l'article 3 du décret du 31 décembre 2012 modifie le 1° de l'article R. 5125-26 du code de la santé publique pour tirer les conséquences de la possibilité du commerce électronique de médicaments par une pharmacie d'officine sur la publicité autorisée en faveur des officines de pharmacie dans la presse écrite. Il ne comporte ainsi aucune règle technique au sens de la directive 98/34/CE.
6. En second lieu, le II de l'article 3 du décret du 31 décembre 2012 crée, dans la partie réglementaire du code de la santé publique, un chapitre intitulé : " Commerce électronique de médicaments par une pharmacie d'officine ", comprenant les articles R. 5125-70 à R. 5125-74. L'article R. 5125-70, qui détermine les personnes qui peuvent créer ou exploiter le site internet de commerce électronique de l'officine de pharmacie et les informations que ce site doit obligatoirement comporter, assure la transposition du a) et du d) du 1 de l'article 85 quater de la directive 2001/83/CE. L'article R. 5125-71, qui précise la procédure d'autorisation de commerce électronique de médicaments et de création d'un site internet de commerce électronique de médicaments et dresse la liste des éléments que doit comporter la demande, assure la transposition du même a) ainsi que du b) du 1 de l'article 85 quater, lequel mentionne les informations que la personne délivrant des médicaments au public à distance doit " au minimum " notifier à l'Etat membre dans lequel elle est établie. Les articles R. 5125-72 et R. 5125-73, relatifs aux obligations d'information pesant sur le titulaire de l'autorisation en cas de modification substantielle des éléments de l'autorisation, de suspension ou de cessation d'exploitation du site internet, assurent la transposition du dernier alinéa du b) du 1 de l'article 85 quater. Enfin, l'article R. 5125-74, qui prévoit les informations que l'ordre national des pharmaciens et le ministère chargé de la santé doivent mettre à disposition du public et ne fait ainsi peser aucune obligation sur les professionnels exerçant l'activité considérée, ne comporte aucune règle technique qui aurait dû faire l'objet d'une communication en vertu de la directive 98/34/CE.
7. En adoptant celles de ces dispositions qui constituent des règles techniques au sens de la directive 98/34/CE, le Premier ministre n'a pas fait usage, contrairement à ce que soutient la société requérante, de la faculté ouverte par le 2 de l'article 85 quater de la directive 2001/83/CE d'imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, allant au-delà des exigences prévues par le 1 de cet article, mais a assuré la simple transposition de dispositions de la directive 2001/83/CE, dans sa rédaction issue de la directive 2011/62/UE, comportant des obligations spécifiques pour les Etats membres et a adopté des règles prises pour se conformer à des actes contraignants de l'Union européenne, au sens de l'article 10 de la directive 98/34/CE, au demeurant soumises, après leur adoption, à l'obligation de communication à la Commission prévue par le 4 de l'article 2 de la directive 2011/62/UE.
8. Dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de l'article 3 du décret du 31 décembre 2012, faute d'avoir été notifiées à la Commission européenne préalablement à leur adoption, auraient été adoptées en méconnaissance de l'obligation prévue par la directive 98/34/CE.
9. Il résulte de ce qui précède que la société eNova Santé n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, dès lors, obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société eNova Santé est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société eNova Santé, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.