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14/12/2016 | FRANCE | N°387182

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 14 décembre 2016, 387182


Vu la procédure suivante :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser une somme de 829 456,50 euros en réparation du préjudice résultant des dysfonctionnements des services vétérinaires du département de la Moselle, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'Etat de la demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1004005 du 28 février 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à M. B...une somme de 44 626,33 euro

s, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 août 2010 et de la capital...

Vu la procédure suivante :

M. D...B...a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser une somme de 829 456,50 euros en réparation du préjudice résultant des dysfonctionnements des services vétérinaires du département de la Moselle, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'Etat de la demande préalable et de la capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n° 1004005 du 28 février 2013, le tribunal administratif de Strasbourg a condamné l'Etat à verser à M. B...une somme de 44 626,33 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 août 2010 et de la capitalisation de ces intérêts à partir du 21 août 2011 en réparation des préjudices subis par l'intéressé.

Par un arrêt n° 13NC00773 du 18 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le ministre contre ce jugement et, sur l'appel incident de M.B..., l'a réformé en portant la somme que l'Etat a été condamné à verser à M. B... à 204 022 euros.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 janvier et 17 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire du fond, de faire droit à son appel et de rejeter l'appel incident de M.B....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- l'arrêté du 20 mars 1990 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la police sanitaire et à la prophylaxie collective de la brucellose bovine ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de M. D...B....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'élevage de M. B..., situé à Pontoy (Moselle), a été infecté à partir du mois de janvier 1994 par la maladie de la brucellose bovine, entraînant la mise en place de diverses mesures de police sanitaire relatives à la prophylaxie de cette maladie à partir du mois de février, dont l'abattage des animaux malades. Ces animaux ont, néanmoins, contaminé les troupeaux d'une pâture voisine. Par un arrêt du 15 juillet 1998, la cour d'appel de Metz, a reconnu M. B... coupable de cette contamination et l'a condamné à indemniser les préjudices des exploitants en cause, M. A...et la familleC..., à hauteur de 68 000 et 541 359,30 euros. M. B..., estimant avoir subi un préjudice propre, notamment en raison de l'abattage, en août 1994 et septembre 1995, de la totalité de son troupeau a sollicité une expertise judiciaire visant à déterminer la responsabilité des services vétérinaires de la Moselle, laquelle a été déposée le 8 juin 2006. Il a saisi l'administration puis le juge administratif d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 829 456,40 euros. Par un jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 février 2013, l'Etat a été condamné à lui verser une somme de 44 626,33 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 août 2010 et de la capitalisation des intérêts. Le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a interjeté appel de ce jugement tandis que M. B... présentait des conclusions par la voie de l'appel incident. Le ministre se pourvoit contre les articles 1er à 3 de l'arrêt du 18 novembre 2014 par lesquels la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel, a porté les montants dus à M. B... à la somme de 204 022 euros toujours assortie des intérêts capitalisés et a réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

2. Aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, la prescription ne court pas contre le créancier " qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ". Il en résulte que le délai de prescription ne court pas à l'encontre d'une victime qui n'est pas en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de la personne publique.

3. La cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que l'éventualité d'une mise en cause des services de l'Etat dans le préjudice subi par M. B...n'avait pu apparaître de manière suffisamment nette, au plus tôt, qu'avec le rapport d'expertise déposé le 8 juin 2006. Elle a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit et par un arrêt qui est suffisamment motivé, que la créance éventuelle de l'intéressé n'était pas atteinte par la prescription quadriennale à la date du 20 août 2010 à laquelle il a adressé sa demande préalable d'indemnisation à l'administration.

Sur la responsabilité :

4. Aux termes l'article 27 de l'arrêté du 20 mars 1990 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la police sanitaire et à la prophylaxie collective de la brucellose bovine : " Tout avortement ou ses symptômes chez une femelle, toute affection de l'appareil génital chez un mâle constituent une suspicion de brucellose bovine réputée contagieuse (...). La confirmation du diagnostic de brucellose bovine conduit à l'application sans délai des mesures prévues à la section 2 du présent chapitre". Aux termes de l'article 28 du même arrêté : " La mise en évidence par des épreuves de laboratoire de la brucellose bovine non réputée contagieuse, quel que soit le motif qui a présidé à la réalisation de l'analyse, conduit à l'application sans délai des mesures prévues à la section 2 du présent chapitre, excepté dans les cas visés aux articles 15 et 20 ". Aux termes de l'article 15 du même arrêté : " Lorsque dans un cheptel reconnu officiellement indemne ou indemne de brucellose depuis au moins deux ans, une infection brucellique est suspectée sur un ou plusieurs bovins, et sous réserve que leur nombre ne dépasse pas 2 p. 100 de l'effectif pour les cheptels de cinquante bovins et plus contrôlés, au lieu du retrait de la qualification de cheptel, celle-ci peut être provisoirement suspendue. Après visite et recensement de tous les animaux présents dans l'exploitation, l'animal ou les animaux suspects sont isolés et contrôlés dans le délai de quatre semaines selon les modalités suivantes : (...) ". Aux termes de l'article 20 du même arrêté : " Tout bovin reconnu non indemne de brucellose bovine, selon la définition de l'article 9 (3°), à l'occasion d'une transaction commerciale doit être marqué, sur les lieux mêmes où il se trouve, dans les quinze jours qui suivent la notification du diagnostic, (...). Ces animaux sont transportés directement, sans rupture de charge et sous couvert d'un laissez-passer-titre d'élimination, depuis l'exploitation de départ jusqu'à l'abattoir conformément aux dispositions de l'article 5 ci-dessus (...) ". Il résulte de ces dispositions que la constatation, dans un cheptel de plus de cinquante bovins, d'une contamination par la brucellose de plus de 2 p. 100 de l'effectif conduit à l'application sans délai des mesures prévues notamment à l'article 29 de l'arrêté précité, en vertu duquel l'exploitation d'appartenance est placée sous surveillance du directeur des services vétérinaires lorsque la brucellose n'est pas réputée contagieuse et, si elle est réputée contagieuse, sous arrêté préfectoral portant déclaration d'infection et prévoyant les mesures de police sanitaire énumérées du 1° au 6° de cet article. Doivent être regardés comme atteint de la brucellose réputée contagieuse, les bovins qui ont avorté et dont un examen montre qu'ils sont atteints de la brucellose ainsi que ceux dont le placenta est contaminé par le microbe brucella.

5. Il ressort des énonciations non contestées de l'arrêt attaqué qu'au sein du cheptel de M. B..., qui comportait cent quatre-vingt-sept animaux, une vache a été déclarée positive à l'infection par la brucellose à la suite des analyses effectuées le 11 janvier 1994 et trois autres l'ont été à l'issue des analyses complémentaires effectuées le 16 février 1994. Il ressort, en outre, des pièces du dossier soumis aux juges du fond que si aucun avortement n'a alors été constaté, les placentas de plusieurs vaches se sont révélés être contaminés par le microbe brucella à l'issue d'un contrôle réalisé le 8 mars 1994. Après avoir relevé que le préfet avait alors seulement prescrit, par courrier du 22 février 1994, l'abattage des quatre premiers animaux infectés, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit et par un arrêt qui est suffisamment motivé, estimer que les services de l'Etat n'avaient pas pris les mesures sanitaires qui s'imposaient pour éviter l'apparition puis la propagation de la maladie, alors qu'il résulte de ce qui a été dit aux point 4 et 5 qu'ils auraient dû, ainsi que l'a d'ailleurs relevé l'expertise du 8 juin 2006, publier un arrêté de surveillance après réception des résultats des analyses du 16 février 1994 et un arrêté d'infection après le contrôle réalisé le 8 mars suivant.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à demander l'annulation des articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et à M. D...B....


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 387182
Date de la décision : 14/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 14 déc. 2016, n° 387182
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Christian Fournier
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP ORTSCHEIDT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:387182.20161214
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